— Par Robert Berrouët-Oriol (*) —
À la mémoire de Pradel Pompilus,
pionnier de la lexicographie créole contemporaine et auteur, en 1958, du premier Lexique créole-français (Université de Paris).
À la mémoire de Pierre Vernet,
fondateur de la Faculté de linguistique appliquée de l’Université d’État d’Haïti et précurseur du partenariat créole-français en Haïti.
À la mémoire d’André Vilaire Chery, rédacteur d’ouvrages lexicographiques
de haute qualité scientifique et auteur
du Dictionnaire de l’évolution du vocabulaire français en Haïti
(tomes 1 et 2, Éditions Édutex, 2000 et 2002).
La lexicographie, discipline différentielle de la linguistique appliquée, est très peu connue en Haïti. Il est attesté que nombre de personnes qui s’intéressent au créole à des titres divers, y compris des professeurs de créole, ne savent même pas qu’il existe une lexicographie créole, qu’elle a eu ses pionniers, qu’elle compte une histoire déjà vieille de 67 ans, qu’elle est dépositaire d’une production langagière, certes inégale, de plus de 75 titres comprenant des lexiques et des dictionnaires, et qu’elle est porteuse depuis ses débuts d’une embryonnaire réflexion théorique. Il est également attesté que la créolistique, depuis l’œuvre pionnière de la linguiste anthropologue haïtienne Suzanne Comhaire-Sylvain –auteure de « Le créole haïtien : morphologie et syntaxe », Éditions Caravelle, Port-au-Prince, 1936, Éditions Slatkine Reprints, Genève, 1979)–, a élaboré peu d’études historiques et théoriques sur la lexicographie créole. Pareille lacune s’éclaire pour l’essentiel sur deux registres liés : d’une part la lexicographie est enseignée depuis une dizaine d’années seulement à la Faculté de linguistique appliquée de l’Université d’État d’Haïti. Haïti n’a donc pas encore franchi le cap de l’institutionnalisation du métier de lexicographe. D’autre part, la production lexicographique créole contemporaine, notamment celle élaborée en Haïti, n’a pas fait l’objet d’une véritable entreprise de communication auprès des enseignants et des directeurs d’écoles. Une telle carence de communication perdure encore de nos jours en dépit des acquis positifs de la coopération inter-institutionnelle, notamment celle mise en œuvre durant la rédaction du remarquable « Dictionnaire de l’écolier haïtien » (Éditions Hachette-Deschamps, 1996) entre l’équipe que dirigeait alors le doyen de la Faculté de linguistique appliquée, Pierre Vernet, et celle dirigée par André Vilaire Chery aux Éditions Henri Deschamps.
Le présent article fournit l’information nécessaire à une adéquate connaissance de la lexicographie créole, et l’approche historique/analytique mise en œuvre contribuera à combler les relatives carences de communication plus haut évoquées. De surcroît, cet article aborde le champ réflexif de la lexicographie créole sur le registre de la cognition et de l’« herméneutique lexicographique » et un tel champ réflexif est appelé à être davantage élaboré plus tard.
L’étude attentive et documentée de l’histoire de la lexicographie créole est nécessaire à plusieurs titres. Au premier chef, elle permettra de situer le rôle des outils lexicographiques (dictionnaires, lexiques, glossaires) dans l’apprentissage scolaire parmi les 3 millions d’élèves en cours de scolarisation dans les écoles haïtiennes. Elle contribuera également à une meilleure compréhension du rôle que devrait jouer ces outils lexicographiques dans la formation des enseignants de créole, dans l’indispensable standardisation des manuels scolaires et dans ce qu’un enseignant de carrière désigne, en Haïti, sous l’appellation de « créole savant », autrement dit de « créole didactisé » (à ce sujet voir le livre collectif de référence « La didactisation du créole au cœur de l’aménagement linguistique en Haïti », par Robert Berrouët-Oriol et alii, Éditions Zémès et Éditions du Cidihca, 2021).
Il s’agira par ailleurs de soumettre à une commune réflexion l’idée centrale que la lexicographie, discipline spécifique de la linguistique appliquée, est appelée à jouer le rôle d’une passerelle dans la transversalité et la complémentarité des savoirs et des connaissances transmis dans l’École haïtienne, en particulier sur le registre de la cognition qui lie diverses séquences de l’apprentissage. Dans le jeune champ de la lexicographie créole, l’appel à la notion de cognition est à la fois inédit, nécessaire et incontournable : par sa centralité, cette notion permettra de décloisonner la lexicographie elle-même et de montrer combien le rôle de passerelle qu’elle doit assumer est constitutif du processus de transmission des savoirs et des connaissances. Cette dimension épistémologique/herméneutique de la lexicographie –que l’on pourrait désigner par le terme « herméneutique lexicographique »–, n’a pas encore été abordée par les linguistes créolistes et il est souhaitable qu’elle soit, dans un proche avenir, l’objet d’études approfondies notamment dans les deux laboratoires de recherche de la Faculté de linguistique appliquée de l’Université d’État d’Haïti. NOTE 1 – La cognition [est l’] « Ensemble des processus mentaux par lesquels une personne acquiert, interprète, emmagasine et utilise des informations, constituant ainsi l’assise du fonctionnement intellectuel et de l’interaction avec l’environnement, sur le plan tant conscient qu’inconscient. La cognition englobe des fonctions telles que la perception, l’attention, la mémoire, l’apprentissage, le langage, le raisonnement, la prise de décision et la résolution de problèmes » (Grand dictionnaire terminologique de l’Office québécois de la langue française). NOTE 2 – Les rapports entre herméneutique et linguistique ont fait l’objet d’études de premier plan, entre autres celle élaborée par François Rastier, sémanticien français, docteur en linguistique et directeur de recherche émérite au CNRS : « Herméneutique et linguistique : dépasser la méconnaissance » (version française inédite de « Hermeneutik und Linguistik : Die Überwindung des Mißverständnisses », Göttingen : Wallstein, 2003 ; version française parue dans Texto ! [en ligne], vol. X, n°4, décembre 2005). La dimension herméneutique de la lexicographie, que nous désignons ici par le vocable « herméneutique lexicographique », s’entend au sens princeps du terme herméneutique en sémiologie : « Théorie, science de l’interprétation des signes, de leur valeur symbolique. Appelons herméneutique l’ensemble des connaissances et des techniques qui permettent de faire parler les signes et de découvrir leur sens (M. Foucault, Les Mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966, p. 44) » / Ortolang, site Web du CNRTL (Centre national de ressources textuelles et lexicales / CNRS). L’« herméneutique lexicographique » entend décloisonner la lexicographie en circonscrivant son approche méthodologique non plus sur le registre d’un univoque décompte des unités lexicales mais plutôt sur celui d’un tout systémique dans lequel l’étude des unités lexicales met en œuvre différents mécanismes du procès de la connaissance sur le registre de la cognition. L’« herméneutique lexicographique » consiste dès lors à « faire parler les signes » non pas de manière isolée mais au creux d’un système de connaissances permettant « de découvrir leur sens ». Cette approche est particulièrement déictique et prometteuse en ce qui a trait à la sémantique du créole et à la problématique de la production néologique créole dans les domaines scientifiques et techniques. NOTE 3 – La problématique de l’« herméneutique lexicographique » devra à l’avenir être étudiée de près chez les auteurs qui l’ont auscultée. Voir par exemple Jacques Bouveresse, « Herméneutique et linguistique / Suivi de Wittgenstein et la philosophie du langage ». L’éditeur présente l’ouvrage en ces termes : « Herméneutique et linguistique est une tentative de confrontation entre l’approche du langage que préconisent les héritiers actuels de la tradition herméneutique et celle des philosophes qui s’inspirent plus directement des méthodes de la logique et de la linguistique contemporaines » (Éditions de l’éclat, 1991).
Sur le mode d’une brève synthèse, que faut-il retenir de l’histoire de la lexicographie créole de 1958 à 2025 ? L’histoire de cette lexicographie atteste que des linguistes ont inauguré une œuvre pionnière par l’élaboration et l’enrichissement d’une indispensable réflexion théorique, certes embryonnaire, sur l’objet même de cette jeune lexicographie. NOTE 4 – L’œuvre pionnière de la lexicographie créole, élaborée par le linguiste haïtien Pradel Pompilus, s’intitule « Lexique créole-français » ; elle a été publiée par l’Université de Paris en 1958. Il n’est pas fortuit que ce « Lexique créole-français » comprend en sous-titre la mention « Thèse complémentaire » : une telle mention est pleinement justifiée car ce travail lexicographique s’insère dans une recherche doctorale qui en fournit le cadre et l’appareillage conceptuel / théorique, une première dans le champ neuf de la lexicographie haïtienne.
Il est utile de savoir que la thèse de doctorat de Pradel Pompilus, « La langue française en Haïti », présentée à la Faculté des lettres et sciences humaines de l’Université de Paris, comprend 304 pages. Elle a été publiée à Paris en 1961 par l’Institut des hautes études de l’Amérique latine avec le concours du Centre national de la recherche scientifique. Cet ouvrage est accessible sur Gallica, le portail de la BnF, la Bibliothèque nationale de France, et l’un de ses descriptifs de classification est « Français (langue) – Lexicologie – Haïti ». La « Troisième partie » de l’ouvrage s’intitule « Le lexique » (page 131 et suivantes) et elle consigne notamment « Les haïtianismes » (page 136 et suivantes) ainsi que « Les anglicismes (page 141 et suivantes).
Plusieurs des primo théoriciens-bâtisseurs de cette jeune lexicographie, d’autre part, ont élaboré des lexiques et des dictionnaires que nous avons répertoriés et classés dans notre « Essai de typologie de la lexicographie créole de 1958 à 2022 » paru en Haïti dans le journal Le National daté du 21 juillet 2022. Cet essai taxonomique se situe dans le prolongement du travail inaugural réalisé par le linguiste Henry Tourneux comme en témoigne son remarquable article « Un quart de siècle de lexicographie du créole haïtien (1975-2000) » paru dans « À l’arpenteur inspiré – Mélanges offerts à Jean Bernabé », ouvrage dirigé par Raphaël Confiant et Robert Damoiseau (Éditions Ibis rouge, Matoury, Guyane, 2006).
Pour rendre compte de l’amplitude, de la variété, de la richesse et des objectifs de la réflexion théorique inaugurale sur l’objet même de la lexicographie créole, nous avons effectué une recherche documentaire à l’aune de paramètres dédiés : en quoi consiste la contribution théorique embryonnaire des pionniers de la lexicographie créole ? À quelles nécessités répondait cette contribution théorique et qu’est-ce qui la distingue des recherches conduites auparavant par la créolistique dans les domaines de la syntaxe et de la phonologie ? Et, de manière liée, cette contribution théorique inaugurale, conjointe à la production de lexiques et de dictionnaires créoles, nous a-t-elle légué un cadre méthodologique de référence ainsi que des perspectives, notamment celle du partenariat linguistique entre les deux langues officielles d’Haïti, le créole et le français ? NOTE 5 – Sur les notions de « cohabitation des langues » et de « partenariat linguistique », voir notre article « Le partenariat créole-français, l’unique voie constitutionnelle et rassembleuse en Haïti » (Fondas kreyòl, 15 mars 2023). La problématique de la cohabitation des langues a été diversement étudiée par les linguistes et les sociolinguistes. Le lecteur curieux d’explorer cette problématique pourra consulter, entre autres, les références suivantes : « Les langues en contact », par Louis-Jean Calvet (La sociolinguistique, 2013) ; « Plurilinguisme, contact ou conflit de langues », par Henri Boyer (L’Harmattan, 2000) ; « Sociolinguistique des contacts de langues / Un domaine en plein essor », par Jacky Simonin et Sylvie Wharton, dans « Sociolinguistique du contact : Dictionnaire des termes et concepts » (Lyon : ENS Éditions, 2013) ; « Contacts de langues, politiques linguistiques et formes d’intervention », par Véronique Castellotti, Daniel Coste, Diana-Lee Simon, dans « Contacts de langues » (L’Harmattan, 2003) ; Robert Chaudenson et Louis-Jean Calvet : « Les langues dans l’espace francophone : de la coexistence au partenariat », L’Harmattan, 2001.
Il y a lieu de préciser en amont que l’appellation générique « lexicographie créole » s’entend au sens englobant de « lexicographie haïtienne ». Elle recouvre les ouvrages lexicographiques (dictionnaires et lexiques) ciblant l’une ou les deux langues de notre patrimoine linguistique historique, le créole et le français, langues co-officielles selon l’article 5 de la Constitution de 1987. En raison de leur projet éditorial, les dictionnaires élaborés se déclinent sur le registre unidirectionnel ou sur le registre bidirectionnel. La lexicographie créole est principalement bidirectionnelle (exemples : « Ti diksyonè kreyòl – fransè », d’Alain Bentolila et al. (Éditions caraïbes, 1976) ; « Haitian Creole – English – French Dictionary », vol. I et II d’Albert Valdman et al. (Creole Institute, Indiana University, 1981). Elle comprend également quelques titres unidirectionnels (exemples : « Diksyonè kreyòl Vilsen » de Maud Heurtelou et Féquière Vilsaint (ÉducaVision, 1994) ; « Diksyonè kreyòl karayib » de Jocelyne Trouillot, Éditions CUC – Université Caraïbe, 2003 [?]. La lexicographie haïtienne comprend aussi des ouvrages rédigés en français mais traitant du créole (exemples : « Lexique du patois créole d’Haïti » de Pradel Pompilus, Paris : Syndicat national de l’édition, 1961 ; « Petit lexique créole haïtien utilisé dans le domaine de l’électricité » d’Henry Tourneux (CNRS/Cahiers du Lacito, 1986). NOTE 6 – Le linguiste Henry Tourneux a été un proche collaborateur de Pierre Vernet au Centre de linguistique appliquée, qui deviendra plus tard la Faculté de linguistique appliquée de l’Université d’État d’Haïti. Dans ce cadre institutionnel et en lien avec la tradition d’enquête sociolinguistique inaugurée en Haïti par Pradel Pompilus, il a séjourné dans les années 1980 à Saint-Marc où il a enquêté auprès des ouvriers de l’Ed’H (Électricité d’Haïti) puis à Port-au-Prince. Ce travail de terrain a permis à Henry Tourneux de rassembler des données lexicales pertinentes, elles ont ensuite servi à élaborer le « Petit lexique créole haïtien utilisé dans le domaine de l’électricité » qui est le premier ouvrage lexicographique français-créole du domaine spécialisé de l’électricité. Parmi les grandes qualités de cet ouvrage il convient de citer l’organisation du travail de terrain effectué avec rigueur, ainsi que la méthodologie d’analyse et de consignation des résultats, celle-ci ayant démontré qu’ils sont valides et fiables sur les plans lexical et sémantique.
La « lexicographie haïtienne » comprend par ailleurs des ouvrages rédigés en français et traitant de la variété de français en usage en Haïti (exemples : « Dictionnaire de l’écolier haïtien » (Hachette-Deschamps, 1996) ; « Dictionnaire de l’évolution du vocabulaire français en Haïti » d’André Vilaire Chery (tomes 1 et 2, Éditions Édutex, 2000 et 2002). Ces ouvrages sont répertoriés dans notre « Essai de typologie de la lexicographie créole de 1958 à 2022 » (Le National, 21 juillet 2022). Plusieurs autres ouvrages ont complété cet « Essai » en mars 2024 : le « New Jersey Judiciary Glossary of Legal (and Related) Terms – English/Haitian Creole » (New Jersey Courts, Administrative Office of the Courts, version de juillet 2023) ; le « Haitian-Creole Glossary of Legal and Related Terms » (The University of Arizona Press, 1998) ; le « English Haitian Creole Legal Glossary » de Jean-Robert Cadely et Joelle Haspil (Educa Vision, 1999). Notre évaluation analytique de ces trois lexiques est consignée dans les articles suivants : (1) « Le naufrage de la lexicographie créole au « New Jersey Judiciary Glossary of Legal (and Related) Terms – English/Haitian Creole » (Rezonòdwès, 16 septembre 2023) ; (2) « Le traitement lexicographique du créole dans le « Haitian-Creole Glossary of Legal and Related Terms » du National Center for Interpretation (University of Arizona) » (Rezonòdwès, 25 septembre 2023) ; (3) « Le traitement lexicographique du créole dans le « English Haitian Creole Legal Glossary » de Jean-Robert Cadely et Joelle Haspil » (Rezonòdwès, 15 février 2024). Une prochaine mise à jour de notre « Essai de typologie de la lexicographie créole de 1958 à 2022 » comprendra les titres publiés entre 2022 et 2025, notamment l’ouvrage paru en Haïti, en mai 2024, aux Éditions Charesso, « Le « Dictionnaire de droit du travail » de Me Philippe Junior Volmar, une œuvre de grande qualité lexicographique » (Madinin’Art, 1er octobre 2024). Cette mise à jour comprendra également le « Diksyonè jiridik kreyòl » de Price Cyprien et Nathalie Wakam Cyprien publié en Haïti à compte d’auteur en juin 2024 (voir notre évaluation analytique titrée « Le naufrage de la terminologie juridique créole dans le « Diksyonè jiridik kreyòl » de Price Cyprien et Nathalie Wakam Cyprien » (Rezonòdwès, 27 août 2024).
Présenté ci-après, tableau 1 comprend le listage des références documentaires qui consignent un éclairage sur l’un des registres suivants de la lexicographie créole : histoire, cadre analytique, cadre méthodologique de référence, problèmes et perspectives. Ce listage consigne quelques-unes des références documentaires rassemblées par Henry Tourneux dans son article « Un quart de siècle de lexicographie du créole haïtien (1975-2000) » paru dans « À l’arpenteur inspiré – Mélanges offerts à Jean Bernabé », ouvrage dirigé par Raphaël Confiant et Robert Damoiseau (Éditions Ibis rouge, Matoury, Guyane, 2006). Nous avons enrichi ce listage par l’ajout de plusieurs références qui ne figurent pas dans l’étude pionnière d’Henry Tourneux. Elles proviennent principalement des données consignées dans les articles regroupés dans l’excellente livraison thématique « Les créoles : des langues comme les autres » (Revue française de linguistique appliquée, 2005/1, vol. X). Enfin il nous a paru utile d’introduire dans ce listage la référence au livre du linguiste Renauld Govain, ancien doyen de la Faculté de linguistique appliquée de l’Université d’État d’Haïti : « Les emprunts du créole haïtien à l’anglais et à l’espagnol » (Éditions L’Harmattan, 2014). Pareil ajout est pleinement justifié puisque cet ouvrage est issu d’un travail de terrain –de nature dialectologique et lexicographique–, qui a permis au chercheur d’exposer de quelle manière et dans quels domaines le créole s’est enrichi de ses contacts avec l’anglais et l’espagnol.
Il aurait été utile d’enrichir et de compléter le tableau 1 par l’identification des ouvrages lexicographiques entreposés au fil des ans à la Bibliothèque nationale d’Haïti au titre du dépôt légal. Cela n’a pas été possible pour deux raisons. D’une part la Bibliothèque nationale d’Haïti, une institution de l’État fort active… sur Facebook, ne dispose même pas d’un élémentaire site Internet dédié à la recherche en ligne là où le Collège Catts Pressoir, une école de taille moyenne à Port-au-Prince, dispose de son propre site Internet. D’autre part, la composante « service aux usagers » de la Bibliothèque nationale d’Haïti, sorte de « lamayòt » ou d’OVNI, s’avère être aussi rachitique qu’inefficace. Dans un courriel que nous avons adressé le 23 juillet 2022 au directeur de la Bibliothèque nationale d’Haïti, nous avons sollicité l’aide de ses services pour obtenir la fiche signalétique détaillée de tous les documents classés sous les rubriques suivantes : Institut pédagogique national (IPN), réforme Bernard, dictionnaires créoles, lexiques créoles et didactique créole. Le directeur, dans un courriel responsif, nous a donné l’assurance que notre demande de références documentaires serait l’objet d’un « suivi rigoureux »… Le « suivi rigoureux » promis par le directeur de la Bibliothèque nationale d’Haïti s’est révélé être un piteux canular et, de juillet 2022 à avril 2025, nous n’avons pas été en mesure de savoir si parmi les 60 000 titres de la vénérable Bibliothèque nationale d’Haïti fondée en 1939 l’usager aurait à sa disposition des lexiques et des dictionnaires créoles…
TABLEAU 1 / Références documentaires fournissant, pour la lexicographie créole, un éclairage sur l’un des registres suivants : histoire, cadre analytique, cadre méthodologique de référence, problèmes et perspectives
Auteur |
Ouvrage |
Éditeur et date de parution |
Remarques de RBO |
1 Pradel Pompilus |
Lexique créole-français |
Université de Paris, 1958 |
Comprend la mention « Thèse complémentaire » |
2 Pradel Pompilus |
Lexique du patois créole d’Haïti |
Syndicat national de l Ȏdition, 1961 |
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3 Pradel Pompilus |
État présent des travaux de lexique sur le créole haïtien |
Études créoles, n° 1, 1978 |
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4 Pradel Pompilus |
Manuel d’initiation à l’étude du créole |
Port-au-Prince : Impressions Magiques, 1983 |
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5 Ernst Mirville |
Éléments de lexicographie bilingue – Lexique créole-français |
Bulletin de l’Institut de linguistique appliquée de Port-au-Prince (BILAP) 11, 1979 |
Comprend la mention « Numéro spécial » |
6 Ernst Mirville |
Ki jan yo fè mo nèf an kreyòl |
Creole Institute, Indiana University 1984 |
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7 Pierre Vernet |
Le créole haïtien face à son introduction en salle de classe : le champ sémantique du corps humain |
Études créoles, III, 2, 1980 |
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8 Marie-Christine Hazaël-Massieux |
La lexicographie et la lexicologie à l’épreuve des études créoles |
Études créoles 12/2, 1989 |
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9 Dominique Fattier |
La lexicographie créole saisie à l’état naissant (Ducoeurjoly 1802) |
L’Harmattan, 1997 |
Paru dans Marie-Christine Hazaël-Massieux / Didier de Robillard (éds), Contacts de langues, contacts de cultures, créolisation |
10 Dominique Fattier |
Contribution à l’étude de la genèse d’un créole : l’Atlas linguistique d’Haïti, cartes et commentaires |
Villeneuve d’Ascq, ANRT, Presses du Septentrion, 1998 |
Comprend 6 volumes |
11 Albert Valdman |
L’évolution du lexique dans les créoles à base lexicale française |
L’information grammaticale no 85, mars 2000 |
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12 Albert Valdman |
Vers un dictionnaire scolaire bilingue pour le créole haïtien ? |
La linguistique, vol. 41/1, 2005 |
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13 Albert Valdman |
Vers la standardisation du créole haïtien |
Revue française de linguistique appliquée, vol. X/1, 2005 |
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14 Albert Valdman |
Le cycle vital créole et la standardisation du créole haïtien |
Études créoles X-2, 1987 |
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15 Albert Valdman |
Sur les processus lexicogénétiques du créole haïtien |
Dans H. Schroeder, P. Kumschlies & M. Gonzalez (eds), Linguistik alks Kulturiwssenchaft. Festschrift für Bernd Spillner zum 60. Geburstag, Frankfurt am Main, Peter Lang, 2001 |
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16 Annegret Bollée |
Le découpage des unités lexicales |
TED, Textes, Études et Documents 9, Ibis rouge, 2001 |
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17 Annegret Bollée |
Lexicographie créole : problèmes et perspectives |
Revue française de linguistique appliquée, 2005/1 |
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18 Serge Colot |
Guide de lexicologie créole |
Ibis rouge, 2002 |
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19 Raphaël Confiant |
Katjil asou poblenm pawol-nef adan kréyol jôdijou |
Espace créole, 11/2002 |
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20 Marie-Christine Hazaël-Massieux |
Où l’on retrouve les dictionnaires créoles… à la recherche de l’impossible définition |
Hazaël-Massieux & de Robillard (éds.), 1997 |
Paru dans Marie-Christine Hazaël-Massieux / Didier de Robillard (éds), Contacts de langues, contacts de cultures, créolisation |
21 Élodie Jourdain |
Le vocabulaire du parler créole de la Martinique |
Éditions Klincksieck, 1956 |
|
22 Lambert-Félix Prudent |
Les nouveaux défis de la standardisation. Comment écrire les langages littéraires, techniques et scientifiques en créole martiniquais ? |
Éd. modulaires européennes, Univ. de La Réunion, 2003 |
Dans Anciens et nouveaux plurilinguismes -Actes de la 6eTable ronde du Moufia |
23 Michel Francard, Pergia Gkouskou-Giannakou, Axel Gauvin |
Les langues créoles : éclairages pluridisciplinaires |
L’Harmattan, 2017 |
|
24 Renauld Govain |
Les emprunts du créole haïtien à l’anglais et à l’espagnol |
Éditions l’Harmattan, 2014 |
|
25 Robert Berrouët-Oriol |
Essai de typologie de la lexicographie créole de 1958 à 2022 |
Le National, 21 juillet 2022 |
Sur le plan historique nous avons déterminé, en ce qui a trait à Haïti, que l’œuvre fondatrice de la lexicographie créole est le « Lexique créole-français » du linguiste Pradel Pompilus (Université de Paris, 1958). En ce qui a trait aux créoles apparus dans des aires géographiques différentes, les œuvres fondatrices sont beaucoup plus anciennes vu l’existence de « glossaires et dictionnaires créoles, dont les premiers datent du XVIIIe siècle et qui n’ont pas encore atteint l’étape finale du dictionnaire monolingue » (…). À l’instar de la description de beaucoup d’autres langues, la lexicographie créole commence par des glossaires et dictionnaires compilés par des missionnaires. Les tout premiers dictionnaires créoles sont l’œuvre de deux Frères Moraves : le Criolisches Wörterbuch de C.G.A. Oldendorp (1767-68), dictionnaire du negerhollands (‘hollandais des nègres’) qui était parlé aux Iles Vierges jusqu’au XXe siècle, et le Wörterbuch des Saramakkischen de J.A. Riemer (1779). Le dernier en date des ouvrages de religieux est le Dictionnaire du créole de Marie-Galante (1994) du Père Barbotin. « L’œuvre fondatrice » (Fattier, 1997, 256) de la lexicographie des créoles français, le vocabulaire français-créole dans le Manuel des Habitants de Saint-Domingue du missionnaire jésuite S.J. Ducœurjoly (1802), est une source très précieuse pour l’histoire du vocabulaire haïtien. Ce glossaire contenant 395 entrées, suivi de conversations français-créoles, était destiné aux futurs colons de Saint-Domingue. En vue de ce public, le vocabulaire concernant les réalités coloniales (flore, faune, alimentation, culture de la canne, etc.) est privilégié dans la nomenclature (Fattier, 1997, 260). (Annegret Bollée : « Lexicographie créole : problèmes et perspectives » (Revue française de linguistique appliquée, 2005/1).
La dette de la lexicographie créole contemporaine envers ses pionniers est historiquement consignée dans des études de premier plan, en particulier dans :
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« Prolégomènes à une néologie créole » de Marie-Christine Hazaël-Massieux, article paru dans la Revue française de linguistique appliquée, 2002/1, vol. VII, pour ce qui a trait à la néologie.
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« Vers un dictionnaire scolaire bilingue pour le créole haïtien ? » d’Albert Valdman, article paru dans La linguistique, 2005/,1, vol. 41, pour ce qui a trait à la dictionnairique créole.
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« Un quart de siècle de lexicographie du créole haïtien (1975-2000) » d’Henry Tourneux, pour ce qui a trait à la taxonomie de la lexicographie créole. Cet article est paru dans « À l’arpenteur inspiré – Mélanges offerts à Jean Bernabé », ouvrage dirigé par Raphaël Confiant et Robert Damoiseau (Éditions Ibis rouge, Matoury, Guyane, 2006).
Dans le prolongement de ces incontournables travaux de nos aînés-pionniers—dont nous nous réclamons et envers lesquels nous avons une haute dette–, nous avons proposé LA VISION MODÉLISÉE DE L’ANCRAGE DANS LA MÉTHODOLOGIE DE LA LEXICOGRAPHIE PROFESSIONNELLE. Cette vision est exposée dans plusieurs de nos articles, notamment dans :
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La lexicographie créole en Haïti : retour-synthèse sur ses origines historiques, sa méthodologie et ses défis contemporains (Rezonòdwès, 11 décembre 2023).
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La lexicographie créole en Haïti : pour mieux comprendre le rôle central de la méthodologie dans l’élaboration du dictionnaire créole, (Rezonòdwès, 16 décembre 2023).
Ces dernières années nous avons publié sur divers sites Web, en Haïti et en outre-mer, une trentaine d’articles de vulgarisation entièrement consacrés à la lexicographie créole. Ces articles paraîtront bientôt au format livre sous le titre « Plaidoyer pour une lexicographie créole de haute qualité scientifique » –aux Éditions Zémès en Haïti et aux Éditions du Cidihca au Canada–, et cet ouvrage est assorti d’une « Préface » du linguiste-lexicographe Albert Valdman. NOTE 7 – Fondateur du Creole Institute à l’Université d’Indiana, Albert Valdman a publié plusieurs dictionnaires anglais-créole reconnus à l’échelle internationale pour leur rigueur et leur fiabilité scientifique. Il est l’auteur, entre autres, du monumental « English-Haitian Creole Bilingual Dictionnary » (Indiana University, Creole Institute, 1 102 pages, 2017).
La dette de la lexicographie créole contemporaine envers ses pionniers se situe également sur le registre de ses enjeux, qu’il faut bien comprendre et adéquatement situer. L’on observe que les enjeux de la lexicographie créole contemporaine se situent au carrefour de plusieurs défis, ceux de la pédagogie et de la didactique en particulier, et également ceux relevant de la communication entre l’État et ses administrés.
Il s’agit :
(1) de contribuer à la description du créole haïtien sur le plan lexical (y compris dans sa dimension diatopique) ;
(2) de contribuer, par l’élaboration de dictionnaires et de lexiques de référence, à outiller l’intervention pédagogique et didactique dans l’apprentissage scolaire en langue créole ;
(3) de contribuer à la production en créole du métalangage indispensable à sa didactisation et à la diffusion en créole des savoirs et des connaissances ;
(4) par l’ancrage de la lexicographie créole dans son incontournable dimension institutionnelle, de modéliser de manière durable les travaux lexicographiques à venir en dépassant le stade artisanal et amateur d’un nombre élevé de productions lacunaires et erratiques.
En guise de conclusion générale
Pour conclure, nous reproduisons des extraits de l’excellent article des linguistes Frédéric Torterat (Université de Montpellier) et Roberson Pierre (Faculté de linguistique appliquée de l’Université d’État d’Haïti / Université de Versailles), « Une description philologique de quelques mots du français régional haïtien », paru dans Voix plurielles 9.2 / 36, (2012). Cet article décrit quelques exemples de mots relevant du français régional haïtien, autrement dit du français contemporain tel qu’il est représenté en Haïti. Dans une approche philologique, les auteurs sollicitent la méthodologie de la lexicographie différentielle francophone de manière à soulever, plus indirectement, quelques-unes des questions d’ordre sociolinguistique qui ont toujours préoccupé Pierre Vernet. Sont traités à titre d’illustration les mots bérégène, bouillon, calalou, camionette, carnet, chadèque, pistache, rigoise et suret(te). NOTE 8 – Sur le français régional haïtien, voir l’excellente publication dirigée par le linguiste Renauld Govain, « La francophonie haïtienne et la francophonie internationale : apports d’Haïti et du français haïtien » (JEBCA Éditions, 2021).
« Généralités
« Le créole haïtien inclut de multiples mots appartenant au français régional antillais (FRA) qui lui est spécifique, et dont l’aire d’extension ne coïncide pas forcément avec les frontières du pays. Un tel apport représente un patrimoine culturel et linguistique non négligeable, même s’il mérite d’être discuté. Au demeurant, qu’on envisage ces régionalismes d’un point de vue variationniste ou à l’appui d’autres types d’approches, l’existence du FRA en Haïti est historiquement avérée. Cette existence apparaît, par exemple, à travers des mots comme « carnet », « bouillon » ou « surette », mais aussi les éventuelles réanalyses dont ils sont l’objet. Leur persistance et leur diffusion confortent dans tous les cas l’utilité d’un ouvrage dictionnairique qui serait consacré au FRA (Thibault ; Zanoaga), dans la perspective d’une lexicographie différentielle francophone (LDF).
Pour exemplifier la démarche en question, nous rassemblerons ici des informations relevées dans divers dictionnaires (qui permettent de confronter les acceptions possibles), en apportant des compléments à caractère philologique pour une étude synchronique de quelques lexèmes, tout comme Pierre Vernet l’a effectué lui-même à plusieurs reprises (« Problématique » ; Analyse). Ce type de contribution, si l’on en suit à cet égard Thibault, se saisit de mots « dont la représentation lexicographique est lacunaire, alors que leur usage outre-mer est beaucoup plus fréquent [que sur le territoire français] et stylistiquement moins marqué. Cela est l’indice d’une fréquence relativement importante à l’époque coloniale dans le méconnu ‘français populaire véhiculaire’, que l’on tente de mieux caractériser » (« Français », 127). À ce titre, la LDF conduit notamment à « dégager tous les emplois lexicaux qui paraissent caractéristiques par rapport à un terme de comparaison commun : le français de référence » (Poirier 497). Or, cette analyse en appelle d’autres, dans la mesure notamment où ses implications sociolinguistiques sont tout à fait concrètes.
Brève étude contributive
bérégène n. m. « aubergine ».
Le mot venu du FRA d’Haïti bérégène désigne un légume potager de forme ovale, à peau lisse et violette, avec pour graphie en cr. h. [créole haïtien] berejèn. Un emploi abondant apparaît chez Justin Lhérisson, dans Zoune chez sa nainaine (2006). Cf. Le Nouvelliste du 15 novembre 2007 (article de Pierre Clitandre) :
À coté de soupières de pois-France et de pois et riz, on voyait de grandes assiettes de bérégènes farcis, de bananes mûres frites et de bols de riz au lait.
La ressource glossairistique de Potomitan apporte les éléments suivants : « Berejèn (berejenn), obèjin, famille des solanaceæ / nom sc. Solanum melongena / origine Asie trop. », à l’url http://www.potomitan.info/vedrine/kek_plant.php [consulté le 13 juin
2011].
BILAN BIBL. : subst. fém. bot. Aubergine, 1768 (VALMONT DE BOMARE, Suppl. à la 1re éd. du Dict. raisonné universel d’hist. nat., table lat., p. 72 : Melongena, fructu oblongo, violaceo, mayenne, ou mélongène, ou aubergine) TLFi.
bouillon n. m. « ragoût de viandes de bœuf ou de cabrit avec des produits vivriers ».
Il s’agit d’un plat prisé en milieu rural, dont la graphie en cr. h. [créole haïtien] est rendue par bouyon. En français de France, le sens est celui d’un potage clair, alors qu’en français régional d’Haïti le mot renvoie à un mélange de viandes diverses, ou encore de crustacés tels que le crabe et l’écrevisse, d’où l’expression en cr. h. [créole haïtien] krab la pa gra (litt. « crabe non gras ») pour bouyon. Par analogie, bouyon a la signification d’un « contexte de pis-aller ».
Une éventuelle extension de sens est envisageable, pour « plat préparé » (comme générique), ainsi qu’on peut le voir à travers cet extrait du Nouvelliste du 12 avril 2010 (propos recueillis par Nélio Joseph et Pierre-Raymond Dumas) :
Il y a eu des fêtes de carnaval ici. Pierre-Raymond est venu plusieurs fois manger son sandwich, son bouillon.
BILAN BIBL. : loc. v. « faire un bouillon » Telchid 27 ; loc. v. « boire un bouillon » (« avaler une gorgée d’eau en nageant », syn. de « boire la tasse ») Confiant 239 ; Confiant cite ou pa bezwen mande malad si lap bwè bouyon (litt. « on n’a pas besoin de demander au malade s’il veut du bouillon »), et d’autre part, par analogie, vante bouyon w (« vanter [son] bouillon » : faire [sa] promotion) ; par ailleurs, une loc. v. bwè kim e bouyon (« en voir de toutes les couleurs », « boire jusqu’à la lie ») est attestée par Ludwig et al.
carnet n.m. « Petit livre ou registre de poche où l’on inscrit des comptes ou des notes ». Ce mot a acquis un sens politico-juridique en Haïti à la faveur de l’organisation des élections présidentielles, à partir du début des années 1990. Il se rend en créole par kanè. Quand un candidat a récupéré (ou reçu) son « carnet » du CEP (Conseil électoral provisoire), cela signifie qu’il n’a pas été retenu ou que sa candidature a été rejetée. D’où la locution verbale du cr. h. [créole haïtien] bay kanè, « donner le carnet (à) » et celle de resevwa kanè (« recevoir son carnet [de quelqu’un] »).
Un exemple est donné en 2010 – 2011 lors de l’élection à la présidence où Jean Wyclef, d’abord inquiété dans ses vœux, s’est vu refuser le droit de participer aux débats et à la campagne comme certains autres non-résidents lors de la période pré-électorale. À ces moments, il sera question d’un KEP la bay anpil kandida kanè (litt. « le CEP [Conseil électoral provisoire] a rejeté la présentation de plusieurs candidats »), avec une expression proche dans katon wouj, « carton rouge » par analogie au football (réf. : Le Nouvelliste du 20 août 2010, article de Victor Junior Jean).
BILAN BIBL. : « consulter son carnet, noter sur son carnet » / 1. 1416, quernet « registre des impôts et gén. de ce qui est dû aux autorités » ; 2. 1819 « petit registre de poche pour notes, comptes, etc » TLFi ; loc. nom. « carnet de commission » Telchid 34.
rigoise n.f. « peau de chèvre séchée et entrelacée ».
Généralement transcrite en rigwaz ou rigwèz en cr. h. [créole haïtien], ce mot désigne une peau, travaillée manuellement, qui sert quelquefois de fouet pour châtier les enfants turbulents. Une allusion en est faite avec cette acception par Yannick Lahens, dans son ouvrage La Couleur de l’aube, paru en 2000 (Presses Nationales, coll. Souffle nouveau) :
Alors on se faufile, agile, entre trois mangues francisques, quatre bananes grosse botte et deux marmites de pois France étalées à même le sol. Les odeurs courent partout, partout et menacent de vous étouffer. Essences de tabac. Huile rance. Pelures de fruits et légumes. Rejets de viande que se disputent des chiens exsangues. Effluves qui montent des aisselles et des entrecuisses. Mère traversera ce flot en cognant contre les culs-de-jatte, les enfants aux narines effervescentes de mouches, les femmes maigres comme des clous, contre les boiteux et les aveugles et passera enfin devant l’étal tout au bout, là où sont suspendus les machettes, les rigoises et les coutelas avant de s’avancer vers le quartier de Sylvanie.
BILAN BIBL. : « gourdin » (Bouki men nan machwè ap kalkile pouki se yon rigwaz BonDye ba li : « Bouki, main à la mâchoire, se demandait pourquoi Dieu lui a fait cadeau d’un gourdin ») Telchid 280.
surette n. f. « sucrerie, bonbon ».
La graphie correspondante en cr. h. [créole haïtien] est sirèt. Un emploi métalinguistique en est effectué dans le Nouvelliste du 18 août 2008 (article de Pierre Clitandre) :
Certains markets ont pris l’habitude maintenant de remettre en guise de monnaie des bonbons, des « surettes » dans notre langage coutumier.
Le mot intègre de multiples locutions verbales en cr. h. [créole haïtien], telles que fè yon sirèt (manmzèl fè yon sirèt : « elle a fait un lapsus »), ou encore se yon baksirèt (misye se yon baksirèt li gen anba dyòl li : « ce type a un sérieux problème d’articulation »).
De nombreux composés existent, comme machannsirèt qui vient donc de machann (« revendeuse de produits de détail ») et de sirèt (bonbons) ou, comme évoqué, baksirèt (« petite barque à bonbons ») : machannsirèt sa a frekan ! (« cette petite marchande est hardie ! »). De ce fait, machannsirèt renvoie à une marchande revendeuse de bonbons et de sucreries du même genre. Une extension de sens est par ailleurs envisageable, comme en témoignent des exemples du type : bagay yo pa bon pou misye, li al louvri yon baksirèt (« Il a du mal à joindre les deux bouts, il a lancé une petite affaire »).
BILAN BIBL. : vieilli « sucrerie » Confiant 1245.
(*) Robert Berrouët-OriolLinguiste-terminologue
Conseiller spécial au Conseil national d’administration
du Réseau des professeurs d’universités d’Haïti (REPUH)
Montréal, le 7 avril 2025