— Par Véronique Séhier (co-présidente du Planning Familial) et Carine Favier (co-présidente du Planning Familial) —
Le terme « détresse » apparaît en 1974. A cette époque, les femmes qui le pouvaient avortaient à l’étranger. Des avortements clandestins avaient lieu en France où les femmes et les médecins qui le pratiquaient, risquaient la peine de prison. Dans ce contexte, il s’agissait de «mettre fin à une situation de désordre et d’injustice et d’apporter une solution mesurée et humaine à un des problèmes les plus difficiles de notre temps ».
Il est connu que des services sociaux, des médecins, des miltants et des militantes, aidaient des femmes à avorter. Le terme de « détresse » s’est justifié alors pour obtenir le consensus parlementaire permettant que l’avortement soit toléré en France pour mettre fin à une situation où la loi répressive était ouvertement bafouée, voire ridiculisée…
Ce terme, qui n’a rien de juridique, est ainsi maintenu dans la loi de 2001, au profit d’autres avancées estimées prioritaires comme l’allongement des délais de 10 à 12 semaines de grossesse, la suppression de l’entretien pré-interruption volontaire de grossesse obligatoire pour les femmes majeures, la possibilité pour les mineures d’avorter sans autorisation parentale et ce, pour faire reconnaitre l’avortement comme un droit légitime des femmes.
L’IMAGE INFANTILISANTE DES FEMMES EST EN TRAIN DE CRAQUER
Les femmes ne sont plus « mineures », elles pensent et agissent par elles-mêmes, elles sont libres, capables de décider pour elles-mêmes. Il ne s’agit donc plus de personnes victimes, inconséquentes ou écervelées, à mettre sous une tutelle quelconque comme celle du médecin par exemple, quand il est supposé qu’elles ne sont même pas capables de faire bon usage de la contraception et qu’elles avortent !
Cette image infantilisante des femmes est en train de craquer, de se fissurer, malgré les résistances des tenants d’une société traditionnelle et conservatrice où les femmes seraient «naturellement » complémentaires de l’homme, particulièrement plus douées pour la prise en charge de cette « sphère privée » qui les renvoient aux soins des personnes vulnérables, à l’entretien de la famille patriarcale, et de fait sous son autorité.
Il est donc tout à fait logique que cette progression sociale redonnant aux femmes leur plein statut de personne et de citoyenne s’inscrive dans la loi et s’exprime dans l’expression de la « banalisation » de l’IVG, qui devient un acte choisi librement parmi les aléas d’une vie procréative, et rend caduque la condition de détresse.
Lire aussi : « Une épreuve vécue sans légèreté ni regret »
Sa disparition des termes de la loi vient alors en confirmer le sens de cet amendement. En effet la lecture attentive de la loi inscrit l’IVG comme un acte légal. C’est la femme qui en prend la décision et c’est elle qui juge de sa situation. Il n’est pas demandé au professionnel de contribuer à l’appréciation de celle-ci, encore moins d’« autoriser » l’IVG selon des critères qui y seraient liés.
CE QUE LES OPPOSANTS AU DROIT DE CHOISIR NE SUPPORTENT PAS
La loi légitime donc les femmes qui prennent leur décision de façon autonome et responsable, en expertes de leur situation (couple quand il existe, nombre d’enfants, situation économique, psychologique, médicale, projets d’avenir et choix de vie …) Certaines hésitent, d’autres pas. Savoir les écouter sans jugement, donner à leur parole toute sa légitimité, permettre et respecter leur décision n’a rien de banal.
C’est reconnaître que les femmes sont autonomes et que cette autonomie peut leur faire refuser l’injonction à la maternité, une maternité sociale qu’elles rejettent en décidant d’arrêter un processus biologique en cours, la grossesse. C’est ce que les opposants au droit de choisir ne supportent pas ; ce droit donné aux femmes de choisir d’être mères ou pas, cette transgression qui subvertit les normes du genre féminin !
Le vécu des femmes décidant d’avorter est peu étudié en France souligne le rapport 2010 de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur l’application de la loi de 2001. Cette absence de données ouvre la brèche aux discours alarmistes véhiculant qu’il est impensable qu’une femme ne puisse pas vivre une IVG sans en être traumatisée.
Lire la suite
http://www.lemonde.fr/idees/article/2014/01/23/la-detresse-des-femmes-fruit-d-une-histoire-de-luttes_4353426_3232.html