A l’Atrium les 17 & 18 octobre 2013
— Par M’A—
Écrivain, philosophe et dramaturge, Alain Foix, né en Guadeloupe, est un homme dérangeant. Et c’est tant mieux. Son théâtre « existentiel et humaniste » s’impose un impératif catégoriel, celui de ne jamais verser dans la facilité mais toujours s’imposer de penser avec une exigence éthique. Dans le combat entre existentialisme et essentialisme il est clairement du côté du premier terme. Il a d’ailleurs écrit dans Libération en 2001 un papier qui a fait date, notamment par les réactions d’incompréhension qu’il a suscité. Le titre était « Adieu négritude ». Fin lecteur de Sartre il déclare « la négritude [est] un concept opératoire qui a pour fin sa propre fin. La négritude ne peut pas exister au-delà du dépassement de cette condition-là, sinon, c’est l’essentialisme dans lequel tout est possible et d’abord le racisme. »
On trouvera l’illustration la plus récente de ce positionnent éthique dans l’écriture de la pièce qu’il nous est donnée à voir à Fort-de-France, « La dernière scène ». Dés les premières lignes il précise « « L’auteur prend, dans tout cet ouvrage, le parti, à l’encontre de la convention, d’écrire blanc ou noir, lorsqu’il s’agit de personnes, avec des minuscules. Ce, conformément à sa position qui vise à ne pas substantiver ce qui, de son point de vue, doit être considéré comme un simple qualificatif au même titre que blond, brun ou roux (cf. Noir de Toussaint Louverture à Barack Obama, Galaade, 2009) »
Contre le « négrisme » Alain Foix invite à ne pas se renier, à savoir d’où l’on vient mais aussi à ne pas se laisser enfermer et à « passer sans cesse cette ligne des couleurs. » Et c’est ce à quoi il nous convoque dans « La dernière scène » pièce écrite en 2012 concomitamment à l’essai publié chez Gallimard en octobre de la même année et consacré à Martin Luther King ». Ce débat entre existentialisme et essentialisme est déplacé sur le registre non-violence vs violence sous la forme d’un dialogue imaginaire entre Martin Luther King apôtre de la non-violence assassiné sur le balcon de la chambre 306 du Lorraine Motel à Memphis, et Mumia Abu-Jamal, dont la vocation d’activiste remonte à 1968, année de l’assassinat de Luther King. Arrété et battu pour avoir protesté, cette année là à l’âge de 14 ans contre le candidat pro-ségrégationniste à l’élection présidentielle, George Wallace, ancien gouverneur de l’Alabama. Il adhérera au Black Panther Party en 1969, deviendra journaliste radio suffisamment brillant pour être remercier par la station. Devenu chauffeur de taxi il est involontairement pris dans une fusillade au cours de laquelle un policier blanc est tué. Coupable idéal pour la justice blanche étasunienne il est condamné à mort au terme d’un procès bâclé. Un vaste mouvement de solidarité internationale va conduire à ce que cette condamnation à mort soit commuée en prison à vie mais sans possibilité de réduction de peine! La vie d’un homme noir ne pèse pas lourd face à l’orgueil de cette « justice » incapable de reconnaître qu’elle s’est trompée.
Martin Luther King et Mumia Abu-Jamal ne se sont jamais rencontrés, leur dialogue imaginé se fait par l’intermédiaire d’une « go-between » Coretta Scott King, la femme du pasteur. La confrontation porte sur le rôle de la violence et de la non-violence, la haine et l’amour, l’identité, le temps de l’action et celui de la réflexion, et la « nécessité d’aimer son meilleur ennemi ». L’autre est en nous. Le dialogue entre Luther King et Abu-jamal est aussi le reflet du conflit interne qui a traversé l’admirateur et le disciple de Gandhi. La non-violence de Luther King n’était pas de l’angélisme. Il avait en mémoire ce que Malcolm X avait glissé à l’oreille de Coretta lors de la marche de Selma « Si l’Amérique blanche ne veut pas entendre la voix du bon Martin Luther King, il devront entendre parler nos revolvers ». Prémonition d’un désâstre redouté quand le rapport de force est de 1 contre 10.
Le rôle unificateur de la musique et du chant comme passeurs de frontières est souligné par de nombreux morceaux musicaux. On reconnaît le Concerto pour violoncelle et orchestre de György Ligeti, « Sometimes I Feel Like a Motherless Child », « We Shall Overcome » etc.. C’est aussi une façon de rappeler que les grands rassemblements pour les droits civiques, comme celui de 1963, ont vu la mobilisation de musiciens comme Joan Baez, Bob Dylan et bien d’autres. Faudra-t-il toujours répéter que les avancées contre les lois ségrégationnistes dans les années soixante sont aussi le résultat d’une union politique entre les minorités étasuniennes qu’elles soient noires, hispanophones ou juives?
La mise en scène d’une grande rigueur, est comme un hommage, anticipé lors de la création à Avignon en 2012, et aujourd’hui post-mortem, à l’immense Antoine Bourseiller, avec qui Alain Foix à souvent travaillé. On se souvient, entre autres bonheurs, de sa présence à Fort-de Franc pour « Pas de Prison pour le vent ».
Sur la scène donc, un piano avec un bouquet de fleurs, coté jardin, sur la partie droite un panneau de plexiglas qui sera tantôt la vitre du parloir de la prison et tantôt celle de la fenêtre du balcon que Luther King franchira pour aller à la rencontre de la mort. Si le spectacle est captivant il le doit au formidable travail des deux comédiens qui non seulement donnent à entendre le texte mais laissent aussi entrevoir ou plutôt deviner l’entre-deux des mots. Mariann Mathéus dans le rôle de Coretta, joue sur le registre de la continuité maternelle et de la constance émotionnelle, elle est l’élément régulateur de l’étouffant huis-clos, et les moments émouvants où elle entonne des gospels comme le faisait dans la réalité l’ancienne chanteuse de gospels qu’était la femme de Luther King, une respiration bienvenue permet au public de reprendre son souffle. Assane Timbo n’investit pas le rôle, il ne se l’approprie pas , il l’incorpore, dans la mesure ou la totalité de son être semble être au service des tirades de Munia Abu-Jamal construites à partir d’extraits de livres ou d’émissions de radio écrits ou réalisées derrière les barreaux. Il est sur scène, non pas Munia, ce serait trop facile et déplacé, mais bien mieux que cela il est sa quête inépuisable de reconnaissance, son exigence de résultats immédiats, sa frustration, sa colère et sa violence verbale. Par moments regressant dans l’enfance il est la demande d’amour adressée à Martin, dont il se déclare le fils, et celui de Malcolm X, et celui de Coretta qu’il appelle « maman ». Sous les frusques de Luther King il est la sagesse lucide du Pasteur, il est sa patience inquiète, il est l’inscription de sa lutte dans la durée, il est la nécessité de déconstruire pierre après pierre les murs des ghetto parmi lesquels celui de l’assignation identitaire n’est pas le moindre.
On ne sort pas tout à fait indemne de ce spectacle. On savait en y entrant qu’Alain Foix était un homme dérangeant. Et c’est tant mieux !
M’A