— Par Roland Tell —
Le défi de l’exigence totale et inconditionnelle de démocratisation du système éducatif amène le nouveau Ministre de L’Education Nationale, Jean-Michel Blanquer, à considérer comme idéal pédagogique la chute de l’effectif des classes de CP en REP à 12 élèves. Car, selon lui, la démocratisation qualitative exige cette mutation générale, dès la prochaine rentrée scolaire, compte tenu de la persistance de ce que l’on appelle le handicap socio-culturel, susceptible de dénaturer, de façon profonde, le fonctionnement de l’orientation. A partir de là, on voit surgir l’importance de l’autorité ministérielle dans le domaine pédagogique, non seulement en matière de décision, ce qui est normal, mais également en matière de doctrine. D’où des modes de pensée nouveaux, des directives nouvelles, s’agissant, par exemple, des devoirs en classe, et surtout de l’appel à la technologie éducative, pour apprendre aux élèves à tirer parti des sources d’information, pour leur propre perfectionnement, et donc utiliser des outils numériques pour cette fin. Ce qui, en petit effectif, change complètement la structure de transmission des connaissances, et l’attitude pédagogique du professeur d’école. Voilà ce dernier, confronté davantage à la nécessaire continuité entre l’éducation scolaire et l’éducation familiale, sous l’angle des méthodes et des procédures, susceptibles de réussir dans le domaine extra-scolaire. Car la question se pose de constater si vraiment l’enseignement est forcément meilleur, quand le groupe d’élèves est petit. Certes, le redoublement traditionnel de 30% au CP est vraiment absurde. Derrière cela, il y a, certes, une idéologie implicite de la précocité, paradoxalement associée à la démocratisation formelle. Autrement dit, il y a là une idéologie du « don », dont il faut se méfier, tout comme l’importance accordée à la première chance.
Ce qui importe, c’est une véritable attention qualitative, et non seulement quantitative, et donc enseigner dans cette perspective. Il faut cesser cette projection des finalités dans les élèves, cesser d’attribuer à ces derniers, par auto-gratification naturelle, cet élan qui porte le professeur d’école vers l’enseignement. Et surtout, en classe, il faut se méfier des périodes de grâce, de talent. L’enseignant doit regarder les élèves, et se regarder lui-même comme un élément du système, regarder quelle est sa rentabilité, son efficacité. C’est une chose difficile à réaliser. On y est porté par des considérations technologiques. Si l’organisation du travail pédagogique entraîne le travail en équipe, alors l’auto-gratification ne sera plus possible.
C’est en ce sens que la démocratisation qualitative consiste surtout dans la lutte contre les handicaps ou les diminutions, que certains capitaux intellectuels ont pu supporter en raison de conditions socio-économiques défavorables pour certains. Elle consiste donc dans la remise en place d’une égalité plus profonde, par un redoublement réflexif. C’est à cette condition qu’il y aura une philosophie des institutions, c’est-à-dire qu’il y aura, dès l’école élémentaire, création d’un réseau central d’interrogation, d’orientation, et de volonté d’action.
Les enseignants, chargés de CP en REP, doivent découvrir ensemble les forces profondes, qui soutiennent la recherche de solutions pédagogiques, et maintenir vivantes leur lucidité, l’imagination, et l’attention au réel. Cet effort de recherche de solutions s’appelle le dialogue, véritable objectif de l’innovation. C’est lui qui rétablit l’unité entre les options proprement pédagogiques, et la transformation structurelle intervenue, qui obligent à prendre des responsabilités à l’égard de l’école, s’agissant de tous ceux qui y sont concernés : les élèves, les parents, les enseignants, les autorités municipales. Il n’y a pas d’autre solution, parce qu’on introduit par là l’adaptabilité, d’autant plus que le dialogue détermine une maturation, qui dépasse toujours la signification des problèmes posés, et qui transforme les partenaires peu à peu, en élargissant leur structure de compréhension. De sorte que le dialogue est en même temps un instrument d’éducation, et un instrument opérationnel. Actuellement, les professeurs d’école ne peuvent plus éduquer les enfants tout seuls. Tout cela est en question. D’où la nécessité de manifester une certaine rigueur doctrinale, en même temps qu’une nouvelle conception du métier. Le dialogue, ainsi préconisé, rend possible les avancées pédagogiques. C’est, avec le travail en équipe, un axe essentiel de la dynamique des rapports humains.
Car deux pôles méthodologiques complémentaires sont l’apanage de nos professeurs de CP en REP : instruire et éduquer. L’articulation, qui existe entre ces deux directions pédagogiques, est très forte au CP, notamment à travers les technologies éducatives, par l’audio-visuel, le numérique, en vue de la prise en charge de séquences de création, de communication, de libération, pour amener chaque élève à un haut niveau de développement de ses facultés créatrices, et d’épanouissement personnel. Car la rénovation préconisée des CP de 12 élèves en REP vise la construction individuelle active des instruments de la connaissance et des pouvoirs d’application, surtout au niveau de la créativité. La réforme proposée porte à la fois sur l’intelligence et la sensibilité, qui se développent par leur exercice même, en plus petit effectif.
Certes, il s’agit de placer les 12 élèves dans un processus de conquête des instruments du savoir à ce niveau ( lire, écrire, mathématiser ), mais aussi de renforcement de leur développement personnel. Il y a, dans l’enseignement attendu, ce qui effectivement relève du cerveau, en tant qu’organe de conception et d’action, par la manipulation des codes linguistiques, notamment, par lesquels celui-ci travaille, et par ailleurs, tout ce qui relève de la mobilisation de la personnalité enfantine. En REP, plus qu’ailleurs, le professeur d’école doit être conscient de la nécessité de cette double conversion méthodologique, d’une part l’instrumentalité, soit le développement des pouvoirs logiques, expressifs, scientifiques, d’autre part vers ce qu’on appelle l’induction, l’éveil, en vue du développement individuel.
La rénovation pédagogique du CP à 12 élèves est la conversion simultanée vers l’instrumentalité et vers l’induction, sans chercher à confondre les deux exigences, comme le faisait auparavant la pédagogie traditionnelle. Dans la nouvelle situation, il n’est pas possible non plus de chercher à se placer dans une zone médiane et incertaine, certainement sécurisante, où l’on poursuit à la fois les deux objectifs d’instruire et d’éduquer. Au contraire, il s’agit d’étudier soigneusement l’articulation entre la conversion vers les disciplines instrumentales, et la conversion vers les disciplines inductrices. A cet égard, les technologies éducatives seront bien utiles, qui peuvent prendre en charge aussi bien l’une que l’autre de ces directions.
ROLAND TELL