— Par Selim Lander —
Qui ne connaît Philippe Caubère, cet acteur qui tourne avec ses seuls en scène – et cette Danse du diable, en particulier – depuis maintenant 35 ans ? Au fil de ces pérégrinations, le voici pour deux soirées en Martinique, quelques décennies après s’y être produit dans 1789, un spectacle du Théâtre du Soleil dirigé par Ariane Mnouchkine. La Danse du diable fut le premier épisode d’une geste de onze spectacles, d’une durée de trois heures chacun, qui racontait son enfance marseillaise et sa carrière théâtrale. Remanié, il s’inscrit désormais dans une nouvelle geste de huit spectacles, L’homme qui danse. Si cette pièce est donc bien rodée, ce grand comédien – qui fut un Molière inoubliable dans la pièce et le film éponymes – ne donne pas l’impression de répéter un texte appris par cœur. Il avoue d’ailleurs laisser toujours une certaine place à l’improvisation. La Danse du diable n’en est pas moins savamment construite ; on se plaît à retrouver au moment le plus inattendu une notation posée plus tôt. En trois heures de temps, Caubère fait défiler une galerie de personnages, plus ou moins réussis, il faut le dire, tous inspirés de souvenirs personnels de l’acteur. Celui de la mère qui sert en quelque sorte de fil conducteur est le plus attachant, et encore davantage, peut-être, dans Le Bac 68 également présenté en Martinique. Cette mère a beau être un peu dépassée par sa progéniture, elle fait preuve d’un brio aussi remarquable que son humour, ce qui en fait un personnage comique qui séduit par son franc-parler et sa vivacité. Pour jouer la mère, Caubère pose simplement un « fichu » (comme on dit dans le midi, soit un foulard) de couleur rouge sur ses épaules. Autres personnages particulièrement hauts en couleur, au début du spectacle, le copain de Ferdinand (alias Philippe Caubère), fan de Johnny Haliday ou, à la fin du spectacle, la professeure de théâtre et son régisseur. Le passage au cours duquel le régisseur décide de prendre les choses en mains et de montrer au jeune comédien novice (Ferdinand toujours) comment interpréter le rôle qui lui a échu par hasard est particulièrement savoureux. Moins réussi, par contre, le rêve au cours duquel le même Ferdinand convoque les personnalités qui ont marqué sa jeunesse. Les imitations de Mauriac, Malraux, Sartre, et d’autres moins intellectuels, ne sont pas vraiment convaincantes, à l’exception, il est vrai, de celle du général de Gaulle.
Si les amateurs du théâtre ne peuvent s’empêcher d’aimer Caubère, en dépit de certaines outrances, c’est parce qu’il est, à l’évidence, un authentique fou de théâtre. Il peut passer sans transition du registre un peu snob – avec la grossièreté de bon aloi qui convient – de la bourgeoise de province, à la gouaille du « cagole » marseillais ou à la préciosité ridicule de la professeure de théâtre, toutes ces caricatures ayant un incontestable fond de vérité. On admire la facilité avec laquelle Caubère s’empare de personnages aussi divers. On admire également sa vitalité d’autant plus remarquable que, né en 1950, il n’est pas de la première jeunesse. Il saute, bondit, tombe, s’époumone comme le jeune homme qu’il n’est plus. Il se démène comme un diable : la pièce ne vole pas son titre ! On a peur, parfois, pour lui, on craint qu’il n’en fasse trop, mais il souffle un instant, il s’ébroue et repart comme si de rien n’était. Il n’a pas besoin d’accessoires, ou si peu. Outre le châle de la mère, celle-ci bénéficie d’un petit banc où elle se pose, à l’occasion, pour faire (c’est-à-dire mimer) un peu de couture. Deux costumes complètent la panoplie : une houppelande et une toque pour la professeure, un grand manteau et un chapeau pour le régisseur, manteau dont les pans habilement agités par le comédien serviront – dernier tableau poétique du spectacle – à l’évocation d’un vent violent.
À voir ou à revoir.
La Danse du diable, le 25 février et Le Bac 68, le 26 février 2016 Tropiques Atrium, Fort-de-France.