— Par Jeanne Ferney —
En France, les études sur l’impact du confinement ne traduisent pas une explosion des addictions. Mais la crise sanitaire qui dure, et les conséquences économiques qui vont en découler, pourraient exposer les plus fragiles à une surconsommation d’alcool et de drogues illicites.
Marie en est convaincue : son « problème » avec l’alcool n’est pas né avec la crise sanitaire, « mais il l’a aggravé. » « Je buvais déjà beaucoup, plusieurs fois par semaine, et à chaque fois, une bouteille entière. Ce n’était pas raisonnable », confie cette assistante commerciale de 31 ans.
Avec le premier confinement, un nouveau rituel s’installe, celui de l’« apéro » à distance, derrière son écran d’ordinateur. « Dès 18 heures, mon mari et moi, on s’y mettait. Lui a fini par se calmer car il a repris le travail. Pas moi. »
Seule à la maison, Marie boit de plus en plus, pour chasser l’ennui mais aussi « le stress du virus ». « À l’automne, j’ouvrais ma première bouteille de blanc à 15 heures. À la fin de la journée, j’étais à deux bouteilles et demie. Un matin, j’ai loupé l’école des enfants. Et puis j’ai eu un accident de voiture, ce qui m’a valu une convocation au tribunal et surtout une grosse frayeur », raconte Marie, désormais suivie dans un Centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA).
L’explosion n’a pas eu lieu
Au printemps dernier, les associations alertaient sur le risque de surconsommation d’alcool et de drogues illicites. « Rester à la maison, ne pas faire grand-chose, cela représentait un contexte favorable », souligne le professeur Laurent Karila, psychiatre et addictologue à l’hôpital Paul-Brousse de Villejuif, dans le Val-de-Marne. Près d’un an plus tard, les études sur l’impact du confinement semblent indiquer que l’explosion tant redoutée n’a pas eu lieu.
« Les consommations sont globalement restées stables, » confirme le président de l’association Addictions France, Bernard Basset, avant de nuancer : « certains facteurs, comme une consommation excessive antérieure ou l’isolement, ont pu conduire à une consommation plus grande. À l’inverse, des consommateurs d’alcool qui buvaient essentiellement lors de rencontres entre amis ou au restaurant, ont diminué leur consommation car ces occasions avaient disparu. »
Une consommation de benzodiazépines en hausse
Les premiers temps de la pandémie sont en revanche allés de pair avec une hausse notable de la consommation de benzodiazépines, des anxiolytiques. « C’est particulièrement sensible en France, où les usagers disent y avoir eu recours contre l’angoisse, la déprime ou un sentiment de solitude », analyse la sociologue Marie-Jauffret Roustide, chercheuse à l’Inserm et coordinatrice en France de l’enquête internationale « Global drug survey », dont une édition spéciale est consacrée au Covid. D’où ressort que les Français ont globalement délaissé les « drogues stimulantes », comme l’alcool et la cocaïne, pour les drogues à visée apaisante.
Une chose est sûre : la crise n’a pas eu raison des trafiquants. « Ils se sont adaptés », remarque Marie Jauffret-Roustide, qui parle « d’une ubérisation de la circulation et de l’approvisionnement des substances, de plus en plus souvent livrées à domicile. La majorité des personnes qui ont moins consommé ne l’ont pas fait par manque de stock, mais souvent en vue d’améliorer leur santé. »
Le « piège » du télétravail
Une tendance que Laurent Karila a pu observer au sein de son service. « Pendant le premier confinement, certains de mes patients addicts à la cocaïne ou au cybersexe ont stoppé net. Mais cela n’a pas tenu sur le long terme », regrette le médecin. Selon lui, la période actuelle, qu’il qualifie de « pseudo-confinement », reste à haut risque.
Dans son hôpital, il a constaté « 20 à 25 % de nouvelles demandes. » « Certains patients étaient déjà addicts, d’autres viennent pour la première fois après une consommation excessive d’alcool ou de cannabis », détaille le médecin, qui s’inquiète d’un « boom inexpliqué de la consommation de cocaïne, qui a donné lieu à plus d’hospitalisations ces derniers mois. »
Pour Erwan Gramand (1), l’angoisse liée à la crise sanitaire est à blâmer, mais aussi la généralisation du télétravail, une exception devenue la règle. Et un « piège » pour les plus fragiles, ajoute cet ancien alcoolique. « Travailler chez soi, c’est avoir le produit à portée de main sans devoir se cacher des collègues », souligne-t-il, convaincu qu’il ne serait plus « là aujourd’hui » s’il n’avait pas « posé la bouteille » quelques mois avant la pandémie.
Au-delà de l’épidémie, la crise économique à venir pourrait faire des dégâts. « On sait d’expérience que les crises économiques ont tendance à entraîner une augmentation problématique des usages », signale Marie Jauffret-Roustide.
Jeanne Ferney
(1) Auteur d’un livre de témoignage, Un détour par l’enfer, paru aux éditions Lemart.
Source : La Croix.com