La CPI, une  » justice de Blancs  » ?

— Par Stéphanie Maupas —
justice_de_blancsEn plus de dix ans d’existence, l’institution de La Haye a mené huit procédures, toutes sur le sol africain.

Le président de l’Union africaine accuse la Cour pénale internationale de mener une  » sorte de chasse raciale « , tandis que de plus en plus d’observateurs pointent les approximations des enquêteurs.

La Haye, correspondance
La Cour pénale internationale, née dans le sillage de tribunaux chargés de statuer sur les crimes de masse en ex-Yougoslavie, au Rwanda et en Sierra Leone dans les années 1990, n’a mené de procédures que contre des suspects africains. L’accusant de racisme, l’Union africaine envisage, en réaction, de se doter de sa propre cour.

L’accusation était retentissante. C’était le 27 mai, au terme du sommet marquant les 50 ans de l’Union africaine (UA). Pendant trois jours, les Etats avaient planché sur la meilleure stratégie pour contrer les poursuites engagées par la Cour pénale internationale (CPI) contre le président du Kenya, Uhuru Kenyatta, fraîchement élu, lorsque le président en exercice de l’UA et premier ministre d’Ethiopie, Hailemariam Desalegn, a accusé la Cour de mener  » une sorte de chasse raciale  » contre les Africains.

Etablie par traité en 1998, la Cour pénale internationale a ouvert ses portes en 2002. L’idée de créer une cour permanente, chargée de poursuivre les responsables de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre, est née dans le sillage du tribunal de Nuremberg, qui avait jugé les principaux dignitaires nazis après la seconde guerre mondiale. Elle faisait suite à la création de plusieurs tribunaux ad hoc chargés de statuer sur les crimes de masse en ex-Yougoslavie, au Rwanda et en Sierra Leone, dans les années 1990. Depuis lors, elle a ouvert des enquêtes dans huit pays, tous africains. De quoi donner corps à l’accusation d’Hailemariam Desalegn.

Parmi la trentaine de responsables poursuivis, Uhuru Kenyatta occupe une place particulière : le président kényan, élu le 4 mars, doit répondre avec son colistier, William Ruto, de crimes contre l’humanité pour des violences commises après l’élection présidentielle de décembre 2007. Le procès doit commencer à l’automne. L’Union africaine voit ces poursuites d’un très mauvais oeil. Dans une résolution, elle s’inquiète de la  » menace  » que ces actes d’accusation pourraient faire peser  » sur les efforts destinés à promouvoir la paix et la sécurité ainsi que la primauté du droit et de la stabilité en Afrique « . Uhuru Kenyatta fait l’objet de poursuites depuis 2010. Les pourfendeurs de la CPI voient dans son élection à la présidence un véritable référendum contre l’institution. Ses partisans, eux, assurent que les poursuites ont au contraire permis de tenir, cette fois, des élections dans le calme au Kenya.

Quoi qu’il en soit, le label  » criminel de guerre  » pèse sur Uhuru Kenyatta : ainsi le président américain, Barack Obama, a-t-il soigneusement évité la patrie de son père lors de sa récente tournée africaine. L’Union européenne, elle aussi, est embarrassée. Pourtant, lors d’une visite à Londres, le 7 mai, M. Kenyatta a été longuement reçu par le premier ministre, David Cameron. L’ancienne puissance coloniale ne souhaite pas ternir des relations diplomatiques et économiques fructueuses. Et personne n’a intérêt à susciter une crise politique au Kenya.

Uhuru Kenyatta  » ne fait pas l’objet d’un mandat d’arrêt, il s’est toujours présenté devant la Cour « , souligne Christian Behrmann, chargé pour Bruxelles des relations avec la CPI. Interrogé sur le risque de déstabilisation du Kenya, Christian Behrmann botte en touche… et invite à contacter l’organisation No Peace Without Justice ( » Pas de paix sans justice « ).

La bataille africaine contre la CPI remonte aux mandats d’arrêt pour génocide et crimes contre l’humanité émis en 2009 contre le président du Soudan Omar Al-Bachir, accusé de crimes de masse au Darfour. Depuis, l’Union africaine a pris plusieurs résolutions contre la Cour, permettant à ses membres de coopérer avec elle  » à la carte « . Aux accusations de ne s’attaquer qu’aux Africains, la Cour répond que ce sont les Etats africains eux-mêmes – République démocratique du Congo (RDC), Ouganda, République centrafricaine, Côte d’Ivoire et Mali – qui l’ont saisie.

Les raisons de cette situation sont multiples. Peu après l’ouverture de la CPI, en 2002, son premier procureur, Luis Moreno Ocampo, avait mené des tractations secrètes en vue d’obtenir de premières affaires  » rapides et faciles « , croyant offrir ainsi des victoires faciles à la toute jeune institution. En échange, les gouvernements s’assuraient une certaine protection. L’exemple de la RDC est criant : quelques chefs de milice ont été poursuivis sans qu’aucun haut responsable des guerres de l’Est congolais, qui ont fait des millions de morts, ne soit visé.

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