— Par Roxana Azimi —
Le café et lieu culturel parisien, QG de l’intelligentsia décoloniale, n’a pas réussi à survivre, en raison des règles sanitaires liées à l’épidémie
Un« lieu de savoir-vivre et de faire savoir », « un repère et un refuge une tribune pour « toutes les identités et toutes les histoires, en particulier celle des minorités ». C’est en ces termes que l’artiste Kader Attia décrivait en 2016 La Colonie (le mot est barré), l’espace mixte rempli de mobilier de brocante et de livres qu’il venait d’ouvrir avec son complice Zico Selloum à deux pas de la gare du Nord, dans un quartier de Paris où se mêlent les populations africaine, indienne et chinoise.
Pendant trois ans et demi, le public est venu y boire une bière ou un verre de vin, écouter des concerts ou assister à des débats de haute volée animés par des groupes universitaires, des artistes et acteurs sociaux. Las, la pandémie de Covid-19 a eu raison d’un lieu devenu au íl des ans le QG de l’intelligentsia décoloniale (qui attribue au colonialisme la cause majeure des fractures de la France d’aujourd’hui).
La Colonie a fermé définitivement ses portes, comme l’a annoncé Kader Attia le 20 juillet sur Facebook.« On avait trop de dettes, plus de 130 000 euros, et le coronavirus a asséché notre trésorerie » , confíe-t-il. Le modèle économique, sans subvention aucune, était fragile. , détaille Kader Attia. « Les recettes du bar permettaient de payer les loyers et une dizaine de salaires ainsi que l’activité culturelle qui représentait de 10 à 20 % du
chiffre d’affaires On a un budget entre 70 000 et 80 000 euros par mois, c’est lourd. On a dû payer la location du lieu pendant les quatre mois et demi de fermeture. Ce n’était plus tenable. » Depuis le déconfínement, La Colonie n’avait pas rouvert, la jauge imposée étant trop réduite pour en assurer la rentabilité, et les règles sanitaires trop contraignantes pour un lieu dépourvu de terrasse.
Des tables rondes très courues
Lorsque Kader Attia et Zico Selloum prennent cet espace du 10 arrondissement, ils le réaménagent de fond en comble, pour une facture évaluée à un million d’euros d’après le magazine Jeune Afrique . La Colonie ouvre symboliquement pendant la FIAC, un 17 octobre, date anniversaire de la répression meurtrière, en 1961, par la police française, d’une manifestation de militants du FLN réclamant l’indépendance de l’Algérie. D’emblée, ce lieu hybride fédérant un public de tous âges et milieux sociaux, croise les questions politiques et culturelles.
Des penseurs importants d’Afrique et d’ailleurs sont passés par ses locaux, le Prix Nobel de littérature Wole Soyinka, la militante féministe Françoise Vergès, la psychanalyste Karima Lazali et les philosophes Souleymane Bachir Diagne, Etienne Balibar ou Toni Negri. Les militants plus radicaux des Indigènes de la République y avaient aussi leurs habitudes. Certaines tables rondes sont très courues : le premier volet de la série « Décoloniser les arts » réunit 654 auditeurs.
La fermeture de La Colonie est d’autant plus regrettable qu’elle survient à…
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