— Par Chris Maurice —
A l’heure où les politiques publiques de la Martinique publient le classement de nos 36 lycées, ou encore construisent des structures d’excellence, à l’heure où nos dirigeants célèbrent le centenaire d’Aimé Césaire se régalant « d’avoir fait de cette foule qui ne sait pas faire foule, de ce paradis absurdement raté, une ville, une cité, un pays, un peuple, une nation ! » (Discours du centenaire d’Aimé Césaire prononcé au Grand Carbet le 26/01/2013). Les étudiants , eux, gisent impavides sur les « eaux écroulées » d’une Martinique qui ne fait rien pour construire des jalons suffisants à la culture théâtrale. Oui, un volcan gronde à l’horizon, vide de sens et d’étincelle, car vide de sa semence : la culture.
Je suis actuellement étudiant en Martinique, je recherche toujours la « boussole de ce négrier » qui me formera en tant qu’homme. Mais cette boussole semble détraquée, oubliée dans les méandres du dédale mortifère de politiciens avides de pouvoir et éteints de devoir.
Aujourd’hui je suis perdu, prisonnier au milieu du « triangle infernal. » En effet, Après l’obtention de mon baccalauréat, j’ai décidé de rester sur mon île pour continuer mon cursus scolaire, pensant trouver une équité par rapport aux formations dispensées en métropole, par amour de la Martinique, mais surtout pour soutenir les établissements scolaires locaux. Croyant à cette époque pouvoir bénéficier des meilleurs enseignements, baigné par les discours des politiciens déclamant avec folle ferveur l’idée que : « Notre île, fragment du cosmos, notre île qui n’est pas une clôture, notre île qui est ouverture. » ( Discours du centenaire d’Aimé Césaire prononcé au grand Carbet le 26/01/2013) me permettrait de me nourrir dans une culture théâtrale.
Mais il n’en était rien. Passionné de théâtre, j’ai passé mon baccalauréat littéraire avec cette spécialité, ensuite par sevrage intellectuel sans doute, j’ai décidé de continuer mes études au sein d’une Classe préparatoire aux grandes écoles littéraires au Lycée de Bellevue, à Fort-de-France. Durant ces trois années, je n’ai cessé de chercher des structures théâtrales pour continuer en parallèle ma passion.
A l’issue de ces années, je décide de me lancer à l’aventure et de passer un concours d’entrée d’une école théâtrale. J’ai donc envoyé un dossier de candidature pour la rentrée prochaine.
En effet, voulant intégrer ENSATT à Lyon (École Nationale Supérieur des Arts et des Techniques Théâtrales). Il y a quelques jours j’ai reçu une nouvelle qui m’a rappelé à la triste réalité de mon île. La réponse fut immédiate : » l’école a le regret de vous annoncer que vous n’avez pas les compétences théâtrales suffisantes pour passer le concours. »
Que dois-je comprendre par là ? Il est nécessaire donc de faire une école de théâtre avant de tenter ce concours. Mais moi, comment aurais-je pu le faire en Martinique ? Je n’ai pas pu défendre mes chances puisqu’il n’y a pas de formation adaptée en Martinique.
La France compte plus de 1 000 établissements publics d’enseignement artistique, plus de 25 000 enseignants et 280 000 élèves tous enseignements confondus. La Martinique ne compte à ce jour aucune structure capable de former des étudiants au métier de comédien. Au plein de la France répond le vide de la Martinique.
Ainsi, quand ces derniers politiciens revendiquent sans cesse un Aimé Césaire déifié, et reprennent ses paroles en disant : « Je viendrais à ce pays mien et je lui dirais : Embrassez-moi sans crainte … » (Cahier d’un retour au pays natal, 1939), ils doivent surement faire référence à un baiser nul de fécondité intellectuelle, un baiser sans administration locale, à un baiser putréfié par des discours enflammés, déposant une salive amère sur les joues frêles de jeunes encore naïfs.
En conséquence, Dois-je m’excuser auprès de l’ENSATT de l’inefficacité latente de nos « Pères » dans le domaine de la politique artistique ? Dois-je leur écrire pour leur dire qu’il n’y a sur ma petite-Île aucune structure artistique pouvant me permettre de passer le concours ?
Pourtant il existe des projets sclérosés qui sont en phase d’être mis en place par mon île ; mais elles subissent un usage polémique comme objet politique. Doit-on dormir sur les souvenirs d’un Aimé Césaire illustre, ou ne devraient-ils pas penser à en assurer une digne relève ?
Permettez- moi de rappeler à ces mêmes politiciens une citation de leur cher Aimé Césaire : « une nouvelle bonté ne cesse de croître à l’horizon … »(Moi, Laminaire, 1982), et de voir en cet horizon, cette France qui me tend les bras après avoir été abandonné par la Martinique. Aujourd’hui, Je suis contraint de m’arracher de mon île car il n’y a rien, rien pour me permettre de me former dans le domaine de l’art théâtral, rien pour me permettre de passer un concours de niveau nationale. Sommes nous donc si en retard ? Sommes nous à l’image de la superficie de notre île, dans une étroitesse d’esprit et de culture ?
Que dois-je attendre des politiques publiques ? Êtes vous simplement là pour une masturbation intellectuelle de souvenir ou Gestateurs de futurs talents martiniquais ?
Signé : un « rejeton » d’Aimé Césaire, un amoureux naïf de son pays.
Chris Maurice.