–Par Roland Sabra —
Olivier Larizza confirme :
il est écrivain.
Editeur : Orizons Collection : Littératures Nombre de pages : 202 Prix: 17 € |
Le dernier livre de Olivier Larizza est un livre formidable! Il existe aux environs de Madrid un homme de plus de quatre-vingts ans qui construit de ses propres mains une cathédrale. Vous avez bien lu une cathédrale! Pour qui en douterait il suffira de se reporter à l’article du Courrier international publié ci-dessous. C’est l’histoire romancée de cette folie plus qu’humaine qui est l’argument principal de l’ouvrage de Larizza, universitaire sur le campus de Schoelcher et auteur de plus d’une douzaine d’ouvrages malgré son jeune âge. Les jeunes lecteurs le connaissent bien par l’intermédiaire des nombreux contes caribéens, antillais, ou même britanniques qu’il a déjà publiés.
« La cathédrale » est un subtile mélange de fiction et d’autobiographie romancée. Un jeune cadre d’une maison de disque parisienne, fuit la France et sa famille, il arrive à Madrid et découvre à Merojada del Campo le personnage de Fernando constructeur donc de cathédrale à mains nues. Une affection mutuelle se développe aussitôt entre l’orphelin et le vieil ours illuminé. L’œuvre du vieux est menacée de destruction par un arrête municipal pris au nom de la sécurité. Le narrateur va œuvrer à faire connaitre médiatiquement le travail de l’ermite, à faire en sorte que la presse s’empare de cette histoire et que l’opinion s’oppose au funeste projet municipal.
A cette histoire vient s’en mêler deux autres, celle du parcours presque initiatique d’un écrivain en formation d’une part et celle d’autre part d’une euthanasie. Les raisons de la fuite du narrateur tiennent à ce qu’il a administré à sa mère, en phase ultime de la maladie de Charcot ou Sclérose Latérale Amyotrophique, ( SLA), la potion qui va la délivrer. Et il le fait sans en dire un mot à son père, comme pour, au niveau du fantasme, voler une dernière fois et définitivement la mère au père. Comme pour dire tu as eu sa vie et bien moi j’aurai plus fort, j’aurai sa mort et ce pour l’éternité. Il le fait même sans que la mère le lui en ai explicitement fait la demande car l’amour fusionnel n’a pas besoin de mot, il en sait plus sur le désir de sa mère qu’elle même! La rivalité avec le père est d’autant plus assumée que la culpabilité qui en découle se trouve atténuée, compensée par un amour filial naissant avec Fernando, le bâtisseur de cathédrale. S’inventer un père imaginaire, héroïque, pour mieux éliminer sans trop de remords le triste père de la réalité; Enfin croit-on. La sagesse du vieux incitera le narrateur à renouer avec ce père trop distant. Il sera écrivain, écrira un livre qu’il dédiera à son père pour faire connaître la cathédrale du vieux!! L’imbrication de ces deux histoires, il y en a d’autres beaucoup plus secondaires, semble parfois un peu artificielle. On euthanasie pas sa mère tous les jours, et les conséquences de cet acte somme toute peu anodin, semblent peu analysées. Il y avait là avec cette thématique de quoi faire un roman à part entière. C’est à dire qu’on se demande parfois en quoi cet acte revendiqué par le narrateur est un apport nécessaire à l’histoire de la cathédrale de Fernando.
Sinon le style de Larizza est traversé de fulgurances, d’images de toute beauté et il utilise des niveaux de langues assez variés, mais toujours inscrits dans la modernité d’aujourd’hui. On retourne sur la phrase pris dans un effet de sidération. Le livre est passionnant, il se lit d’une traite et s’il n’incite pas au débat sur la place de l’euthanasie dans nos sociétés il donne envie d’en savoir plus sur le devenir de la cathédrale. C’était sans doute l’objectif cherché.
Roland Sabra le 15-05-10 à Fort-de-France
Le vieux qui bâtit sa cathédrale à mains nues
Olivier Larizza en compagnie de Justo Gallego
Oui, il existe. Justo Gallego, le vieil homme de 80 ans qui bâtit près de Madrid une cathédrale de ses propres mains, rongées par le ciment, n’est pas un personnage de fiction. Ce protagoniste d’un spot publicitaire de la toute-puissante firme Coca-Cola défie depuis quarante-deux ans les lois de la résistance humaine pour réaliser son rêve : élever un temple à la Virgen del Pilar, sans plans ni permis de construire, sur le demi-hectare de pré qu’il a hérité de son père.
Pour l’instant – et jusqu’au jour où un architecte téméraire osera approuver de sa signature le projet de construction –, don Justo peut se targuer d’être l’habitant de Mejorada del Campo qui a le plus contribué à faire connaître sa localité. Plus de 1 000 personnes ont investi fin mai ce gros bourg de 20 000 âmes oublié des dépliants touristiques pour voir travailler ce papy excentrique qui symbolise à l’écran l’ère du Verseau. A l’entrée les attendaient une boîte de conserve destinée à recueillir les dons, un écriteau portant la phrase “Entrez avec précaution et respect” et un panneau d’affichage couvert de coupures de presse jaunies sur l’œuvre de Justo, provenant de journaux des cinq continents.
Le seul plan existant de la cathédrale se niche dans sa tête, sous son bonnet de laine rouge. Ses orteils sortent de ses chaussures usées par ses va-et-vient dans les gravats. Il a noué une corde à son pantalon en guise de ceinture. Justo partage un appartement dans le bourg avec sa sœur et vit avec le strict minimum. Ses revenus sont maigres, malgré les 30 000 à 40 000 euros qu’il a touché pour le spot.
“Vous venez de Barcelone ? Et où en est la Sagrada Familia ? Elle est bientôt terminée ?” demande-t-il avec un véritable intérêt, un balai entre ses mains calleuses. Un beau jour d’octobre 1961, il s’est mis au travail aidé de ses neveux et de quelques livres d’architecture italienne, avec les dons des habitants de la commune et une montagne hétéroclite de matériaux de rebut provenant de diverses usines et de chantiers achevés. Parmi les matières premières que manie le Gaudí de Mejorada – qui a vu la Sagrada Familia en 1951, lors d’un voyage à Barcelone (la seule fois où il est sorti de la Communauté autonome de Madrid) – figurent des pneus, des roues de bicyclette, des bidons de produits chimiques, des seaux en plastique et même des chaises pour bébé, qui pendent de la voûte centrale.
Né dans une famille d’éleveurs, il perd son père à l’âge de 12 ans. Tous les mois, sa mère l’envoie dans la rue Goya, à Madrid, pour récolter l’argent de la vente de lait. S’il lui est arrivé de s’attarder dans la capitale “pour voir des jolies femmes”, il ne s’est jamais marié. Il n’a pas fait d’études et n’a pas d’histoires d’amour à raconter parce qu’il a choisi de se consacrer corps et âme à sa foi. A 35 ans, il rejoint une communauté religieuse, le couvent de Santa Huerta, à Soria, où il restera sept ans avant de contracter la tuberculose et d’être expulsé par crainte de contagion.
Désespéré de ne pouvoir consacrer sa vie à Dieu entre les murs d’un couvent cistercien, il décide de le faire seul et en plein air.
“Je suis très croyant. Si je me suis lancé dans cette entreprise, c’est parce que j’ai la foi.” Son œuvre, toutefois, n’est pas le fruit d’une promesse faite à la Vierge après sa guérison. “Je ne fais pas de promesses, on ne sait jamais. Je me tais et je me donne tout entier, mais sans promettre. La seule chose qui compte, c’est la constance et le travail.”
Cet architecte de l’improbable a vendu tous les biens familiaux et investi 23 millions de pesetas dans sa cathédrale – “moins que le prix d’un appartement ici”. L’Eglise devrait retourner à son ancienne austérité, estime-t-il. “La pauvreté est un trésor que nous avons perdu. Ce que je fais est un exemple pour cette société frivole.” Apparemment, il ne lui est pas venu à l’esprit que le fait de prêter son image à une boisson pour sportifs urbains pourrait être considéré comme un acte frivole. “Tout est bon quand il s’agit de servir Dieu”, se justifie-t-il.
C’est aussi la raison pour laquelle Coca-Cola a créé un site web (www.aquariusesjusto.com) et un service SMS (“Envoyez un message avec le mot ‘justo’ au 5410”) destinés à collecter des fonds pour que l’ancien moine puisse achever les travaux.
Enclavée dans un quartier récent au milieu d’un lotissement, sa cathédrale a l’air d’avoir survécu à une bataille. Et il y a un peu de ça. L’œuvre est le fruit de la guerre silencieuse que Justo mène depuis quarante-deux ans contre tous ceux qui l’ont traité de fou. “Ils disaient que j’étais fou, et maintenant ils sont des milliers à venir voir le temple”, se rengorge-t-il.
“J’ai démarré le chantier du temps de Franco. A l’époque, on m’avait dit qu’on m’offrirait l’étude du projet pour pouvoir demander le permis de construire, mais ça ne s’est pas fait. Le maire actuel, lui, m’a fait cadeau des 50 000 pesetas d’impôts que me faisait payer celui d’avant. Manifestement, il veut m’aider.”
Le maire socialiste de Mejorada, Fernando Peñaranda, veut constituer une commission technique afin de régulariser la construction. “Aujourd’hui, on a les connaissances techniques pour faire tenir cet édifice. Je donne toujours l’exemple des monuments romains : on n’a ni plans ni études. Pourtant, la science actuelle a réussi à les faire tenir debout”, explique l’édile, qui, à moins d’y être contraint par une administration, n’a aucune intention de faire démolir l’édifice le plus visité de sa commune. Pour ne pas être privé de son principal patrimoine touristique et assurer la sécurité des visiteurs, le conseil municipal a voté à l’unanimité une motion demandant l’aide du gouvernement, de la Communauté de Madrid, du ministère de la Culture et de la Conférence épiscopale. “A Mejorada, tout le monde est fier de l’œuvre de Justo. Nous y sommes très attachés”, affirme l’élu.
Dans la pub, Justo expose certaines des caractéristiques de sa cathédrale, qu’il qualifie de temple “d’inspiration gréco-romaine”. Long de 50 mètres, l’édifice possède une coupole de 25 mètres de haut et 11 mètres de diamètre, 2 tours latérales de presque 30 mètres de haut, 26 voûtes, 2 cloîtres, 4 presbytères, une salle capitulaire, une bibliothèque, une sacristie fermée et une crypte. Il est orienté vers Jérusalem, comme les églises modernes.
Lorsqu’on est à l’intérieur, on comprend que l’architecte Norman Foster soit resté pantois lors de sa visite. “C’est la chose la plus extraordinaire que j’aie jamais vue”, avait-il confié.
Il s’agit en effet d’une construction très complexe, surtout pour quelqu’un qui n’a aucune notion d’architecture. “Je n’ai rien étudié du tout, ce sont des qualités que Dieu m’a données. Saint Paul dit que, dans l’Eglise, il y a des dons et des talents qui sont conférés par la grâce divine”, se contente de dire Justo. A force d’être enfermé dans son travail, cet ascète de la construction a fini par prendre le monde moderne en horreur. “Les chrétiens doivent fuir ce monde. Comme le disait sainte Thérèse, la victoire est dans la fuite [du péché]”, assure-t-il. Ce qui est sûr, c’est qu’une visite à sa cathédrale donne envie de croire en quelque chose. D’ailleurs, l’édifice tient toujours debout. N’est-ce pas la preuve de l’existence de Dieu ?
30.06.2005 | El Periódico de Catalunya
DE MEJORADA DEL CAMPO