— Par Roland Sabra —
Américain (2h12). Réalisation : Clint Eastwood. Scénario : Paul Haggis, d’après F.X. Toole. Avec : C. Eastwood (Frankie Dunn), Hilary Swank (Maggie Fitzgerald), Morgan Freeman (Eddie « Scrap »), Anthony Mackie (Shawrelle Berry).
C’est un film binaire, entre ténèbres et lumière, entre vieillesse et maturité, entre un monde d’homme et une vie de femme, entre sunlights de la gloire et crépuscule du destin, entre gagnants et « loosers ». Un film de clair-obscur fidèle à l’écriture de F.X. Toole,l’auteur des nouvelles, « La brûlure des cordes » (Albin Michel, traduit de l’américain par Bernard Cohen.302 pages. Prix : 20,9 €) dont est tirée la dernière livraison de Clint Eastwood, Million dollar baby, dûment récompenssée aux Oscars.
Le style des phrases, des répliques de F. X. Toole, se retrouvent dans les plans, le montage ramassé de C. Eastwood. Tout est vif , dur, resserré, efficace comme un uppercut. Et pourtant il ne s’agit pas pas d’un film sur la boxe, ou tout au moins la boxe sert de prétexte à raconter une autre histoire qui elle ne débute qu’au dernier quart de la projection. C’est toujours du binaire. Mais le vrai sujet du film n’est pas là. Et c’est pourquoi tout se complique.
La première partie, donc, est une sorte de success story à la gloire des valeurs individualistes américaines. Une battante, Maggie bien paumée, serveuse dans un restaurant choisit pour devenir championne de boxe, un camp d’entraînement minable un peu glauque, dirigé par deux entraîneurs sur le retour, dont l’un, Frankie , s’estime responsable de la perte de l’oeil de l’autre son ancien boxeur, Eddie , dans un combat de trop. L’un est blanc, l’autre noir, et c’est toujours du binaire. Si Frankie est assez bon pour « débourrer » comme on dit dans le domaine hippique, c’est un mauvais finisseur. Il refuse de prendre les risques inhérents aux combats pour le titre, ses boxeurs le quittent pour d’autres entraîneurs plus téméraires. Maggie veut Frankie pour manager. Lui ne veut pas entraîner de femme. On est toujours dans le binaire. Frankie, catholique pratiquant, a beau savoir que ce combat là est perdu d’avance, il va résister de plus en plus mollement. Ce que femme veut Dieu l’accomplit. Elle va cogner dur Maggie et de plus en plus dur jusqu’au championnat. C’est la meilleure partie du film. Les images sont superbes entre classicisme et modernité, entre épure et maniérisme, la bande son superbe restitue le bruit des coups mats et étouffés avec d’autant plus de violence que ces derniers sont suggérés plus que montrés. Les voix « off » délicieusement éraillées de Eastwood et Freeman semblent en accord parfait avec l’image. Et le piano de l’acteur cinéaste souligne toujours avec justesse le climat de la scène.
Mais la roche tarpéienne est proche du Capitole disait-on. Et c’est toujours le mode binaire. Le championnat bascule sur un coup de théâtre et c’est un autre film qui commence. Cette seconde partie a valu à Million dollar baby d’être traité de « pamphlet gauchiste » par une partie la droite américaine dont est issu Eastwood. On est toujours dans le binaire. De la success story on passe au mélo le plus pur, paradoxalement moralisateur, larmoyant à souhait. Préparez vos mouchoirs, on vous parle d’euthanasie. Les ficelles sont des câbles. Tout est tout d’un coup appuyé, plaqué et somme toute convenu. La fin largement prévisible est attendue avec soulagement. Qu’on en finisse!
Alors comment tiennent ces deux bouts? Par la présence d’un troisième, un peu à la façon les noeuds borroméens qui ne se tiennent que par une fonction de nomination : le Nom du Père. C’est bien de ça dont il s’agit.
Car en réalité le sujet du film ne porte ni sur la boxe ni sur l’euthanasie. Il est question de transmission d’une génération à l’autre, de filiation réelle et imaginaire, de repérage du sujet et de l’autre (avec un petit a) à partir du symbolique. On ne choisit pas ses enfants ? Et bien si ! On ne choisit pas ses parents? Et bien si !. D’une certaine manière car la mort rôde. Mais on en dira pas plus : le film est à voir ( impérativement en VO pour la bande son) et surtout pour ce qu’il nous interroge sur ce dont nous héritons et que nous transmettons à notre insu.
Roland Sabra