— Par Yves-Léopold Monthieux —
Plusieurs manifestations avaient été prévues pour perturber le séjour de Jean-Marie Le Pen en Martinique au cours de l’année précédant l’élection présidentielle de 1988. Le comité d’accueil de l’intéressé à l’aéroport du Lamentin avait pour objectif un remake de l’accueil réservé, une dizaine d’années plus tôt, à Paul Dijoud, secrétaire d’Etat de l’Outre-Mer par les fonctionnaires : l’empêcher de rejoindre son hôtel par la route. La perspective de la possible suppression des 40% des fonctionnaires avait fait grand bruit et suffi à mobiliser bien au-delà des syndicats, de sorte que l’ampleur de la manifestation avait obligé le ministre à rejoindre par hélicoptère la résidence préfectorale. En ce qui concerne Jean-Marie Le Pen, il n’avait pas été question, sauf quelques initiatives isolées et marginales, d’empêcher l’avion d’atterrir. Mais les choses se sont produites presque naturellement.
En l’absence de service d’ordre adéquat, les manifestants ont traversé comme dans du beurre la ligne de contrôle des passagers. Des militants connus en témoignent encore aujourd’hui : ce n’était pas l’attaque du Moncada. Entourés de la foule dense des accompagnateurs des passagers arrivant et partant, enfants compris, les manifestants se sont retrouvés sans vraiment sans rendre compte sur le tarmac qui était devenu inapte à l’atterrissage de l’avion.
Du côté du service d’ordre, la défaillance était manifeste. Un nouveau préfet avait rejoint son poste la veille ou l’avant-veille. Son directeur de cabinet n’avait pas cru devoir annuler son voyage d’agrément (week-end) à New Orléans et le préfet ne l’en avait pas dissuadé. Le directeur de la PAF de l’époque était d’une incompétence reconnue dès avant son affectation en Martinique. Il n’avait pas su mesurer l’importance de la situation. Il devait néanmoins terminer son séjour, mais à son départ il fut mis au placard. Payé sans affectation 2 ou 3 ans il a aurait pu, paraît-il, construire sa piscine dans sa propriété de Corse.
Ainsi donc, malgré le raffut fait par les partis politiques et les associations, le service d’ordre s’est limité à la présence d’une section de gendarmes sur le tarmac. Jean-Marie Le Pen dira plus tard que c’est la première fois qu’il voyait des gardes mobiles immobiles. Les plus étonnés de la perméabilité de l’aéroport ont été les militants indépendantistes qui avaient participé à de précédentes manifestations bien plus musclées.
L’atmosphère bon enfant avait permis à Loulou Pulvar de démontrer le ridicule de la situation, côté forces de l’ordre. Lorsque l’avion fut dérouté vers la Guadeloupe, il demanda au directeur de la PAF, qui accepta volontiers, l’autorisation de passer un coup de fil. Ainsi, du bureau de ce dernier il put alerter ses amis syndicalistes de Guadeloupe de l’arrivée proche chez eux de l’avion et de son sulfureux passager, dont les Martiniquais avaient empêché l’atterrissage. D’où un mouvement au sein de l’aéroport du Raizet qui conduisit à l’arrêt de l’avion en bout de piste et son retour à Paris le soir même avec son unique passager.
J’aurais voulu rapporter certaines déclarations d’hommes politiques se frappant aujourd’hui la poitrine au sujet de leurs faits d’armes cet après-midi-là. Mais faute de pouvoir les prouver, je ne suis pas sûr que les radios aient conservé leurs enregistrements. Par ailleurs, si les rumeurs concernant le vote en Martinique du Rassemblement national se confirme, cela voudrait dire que la boucle du « Le Pen déwò » est bouclée et qu’il ne resterait plus à Marine Le Pen, présidente ou non, qu’à venir remercier ses électeurs et se faire acclamer à l’aéroport Aimé Césaire.
Fort-de-France, le 24 avril 2022
Yves-Léopold Monthieux