— Par Roland Sabra —
Le 52ème festival culturel de Fort-de-France a fermé ses portes dimanche soir sur la place de la Savane avec ce qui semble être au cœur de l’identité martiniquaise : la déambulation d’orchestres de rue. Des milliers de spectateurs, après avoir conduit, dans l’après-midi, leurs progénitures aux jeux gonflables du Village des enfants sur la pelouse de la place, se sont entassés sur les trottoirs attenants pour photographier, filmer, enregistrer les groupes à pieds-marrons qui avaient ressorti, pour l’occasion, leurs tenues de carnaval. Et pour clore le défilé, cerise sur le gâteau, l’atelier des masques du Sermac a présenté ses spectaculaires réalisations.
D’autres manifestations du festival ont connu, elles aussi, un énorme succès populaire. La Jazz Night, qui avec Mélodie Spartacus Fuentes, Yissy Garcia et YolanDa Brown, agréable clin d’œil féministe, accordait une belle place aux femmes, a fait salle comble. Il a fallu aux derniers arrivants installer leurs fauteuils derrière la tribune pour écouter, à défaut de voir les prestations musicales ! Taty Eyong et Maleika Pennont, chanteuses elles aussi, deux semaines auparavant, n’avaient pas démérité, loin d’en être faut ! L’assentiment du public à leur duo était on ne peut plus probant.
La très étonnante exposition « Verre de terre » a parfaitement illustré l’alliance indéfectible de la force et de la fragilité. On lira avec intérêt l’article que lui a consacré Philippe Charvein sur ce site.
Succès populaire disait-on ? Pour qui en douterait, plus de 3500 personnes se sont pressées au requiem pour Le Boléro de Ravel, Cion ! Les balcons du deuxième étage de la salle Aimé Césaire à Tropiques-Atrium, chose tout à fait inhabituelle, étaient occupés ! Ce show était la parfaite illustration de la thématique de ce Festival, en un mot sa quintessence. On ne peut qu’acquiescer au propos d’Isabelle Calabre rapporté sur Madinin’Art : « Dès les premières minutes, le chorégraphe superpose ainsi avec brio les couches de son millefeuille culturel : la musicalité des voix, expression première de la musique, une danse forte et incarnée qui puise son énergie au pantsula des ghettos noirs de Johannesburg, un texte brûlant pour dire les souffrances humaines, et liant le tout, ce chef-d’œuvre intemporel et universel qu’est le Boléro de Ravel. »
Bèlè, jazz, blues, gospel, zouk, compas ont été à l’honneur. C’est cette même diversité, ce même souci d’échanges, de dialogue dans une logique d’éclectisme assumée et affichée que l’on retrouve dans l’ensemble des évènements proposés à la fois au jardin du Parc, au Grand Carbet mais aussi dans des structures décentralisées au plus près des habitants des nombreux quartiers de Fort-de-France. Les centres culturels, les anciennes MJC, ont accueilli les ateliers d’arts plastiques, les master classes de danse, d’art africain. Par exemple, c’est au CC F. Pavilla à Trenelle, qu’on a eu le bonheur de découvrir un talent, jusqu’alors ignoré, de Dominique Guesdon, celui de scénariste de contes pour marionnettes. L’ingénieur lumières, bien connu du public martiniquais – il a assuré les éclairages de dizaines et de dizaines de spectacles ici en Martinique – présentait « Monsieur Lapousyè », co-écrit avec son compère Jean-Claude Leporter. Une histoire d’émigré, bümödomisé (?), qui fait un retour, réel ou rêvé, au pays. Un travail d’une grande finesse, à mille lieues de tout discours didactique, et qui, respectueux du spectateur, laisse la possibilité d’imaginer, d’inventer le pourquoi du comment du récit. Il y a hâte à voir ce spectacle dans un vrai théâtre, qui permettant d’effacer un peu plus la présence des marionnettistes, mettrait en valeur la beauté des figurines. Les enfants du pays ou de passage auront eu la possibilité de fabriquer des cerfs-volants, d’apprendre à peindre sur cartons, de s’initier aux arts du cirque, les adolescents à la danse bikutsi, à la fabrication de babouches Tip Top, etc. Les parents auront pu découvrir l’art et la subtilité de la cuisine camerounaise… et tant d’autres choses.
Les anciens n’auront pas été oubliés, avec par exemple, le « Chanté an tan lontan » en hommage à Loulou Boislaville.
La seule petite réserve concerne la prestation des présentateurs, homme et femme, incapables d’apprendre le texte d’annonce des artistes qui allaient se produire et qui s’accrochaient à leur portable pour découvrir, un peu tardivement, ce qu’ils avaient à dire, quand ils ne s’aventuraient pas à improviser dans des élucubrations qui avaient peu à voir avec ce pourquoi ils étaient sur scène !
N’en déplaise aux esprits chagrins, on ne le dira pas assez, ce 52ème Festival Culturel de Fort-de-France a été une belle réussite. Reflet vivant de la culture martiniquaise, il a su valoriser la richesse d’un enracinement se nourrissant d’échanges avec l’ailleurs. Il a été à la hauteur du nom qu’il s’était donné cette année : Symbiose, à savoir « association durable et réciproquement profitable, entre deux organismes vivants. » Que Lydie Bétis, mais pas seulement elle, toute son équipe du Sermac au même titre, soient félicitées pour le travail accompli.
Le 52ème Festival de Fort-de-France est mort ! Vive le 53ème Festival de Fort-de-France !
Fort-de-France, le 25/07/2023
R.S.