—– Par Selim Lander —
Elle elle s’appelle Leïla Khane
Et la grâce où je l’exile lui donne le courage des vents du large
Les Martiniquais connaissent bien Alfred Alexandre (né en 1970 à Fort-de-France) essayiste, romancier et auteur de théâtre, sans oublier son action en faveur des auteurs martiniquais au sein de l’association ETC (Écritures Théâtrales Contemporaines) – Caraïbe qu’il préside. La Ballade de Leïla Khane ne se rattache à aucun des genres précédents. Dans ce long poème amoureux, une certaine Leïla s’adresse à son amant, lequel rapporte ses paroles, d’où l’anaphore « Leïla dit ».
Leïla promène (ou « balade ») son interlocuteur des îles du Rosaire en face de Carthagène des Indes en Colombie, jusqu’à Santa-Maria au nord du pays, et au-delà jusqu’à Carthage dans l’actuelle Tunisie. Elle ne vient pourtant pas de l’antique Carthage, laquelle a donné son nom à la Carthagène espagnole et par ricochet à celle de Colombie. Comme l’indique l’auteur dans le prologue, son prénom évoque l’héroïne d’un conte arabo-musulman, qui rendit fou d’amour le poète Qaïs au point qu’on le surnomma « Majnoun Leïla » (le fou [d’amour] de Leïla).
Ce texte en prose poétique recèle de bien belles formules pour évoquer les « tendresses d’îles blotties en archipel », « les corps amoureux qui continuent de s’aimer longtemps encore après l’absence », ceux qui « dorment penchés sur l’horizon » ou encore « le grain salé de sa bouche posé sur mon épaule comme une pépite éclose de l’air marin ». Avec parfois les accents d’un érotisme plus cru :
« Leïla dit que le soir les îles dansent le ventre nu
près des hôtels où une jeune fille qui lui ressemble aguiche ».
Dans un entretien à France-Antilles (2 octobre 2020) A. Alexandre explique son tournant vers la poésie et précise que La Ballade de Leïla Khane a été écrite pour être portée à la scène. A la fois poésie et théâtre, donc. Le texte a déjà été mis en lecture par Michel Richard dans le cadre des soirées d’été en Lubéron, puis mis en espace par José Exélis en Martinique.
La jeune comédienne Psyché Anne-Alex passe à la mise en scène avec ce texte à coup sûr difficile à adapter, à la fois parce que son écriture est complexe et parce qu’il évoque chez le lecteur d’innombrables images visuelles qu’il est compliqué de représenter (pas seulement faire entendre) sur un plateau du théâtre.
L’adaptation d’A.-A. Psyché est déroutante pour qui connaît le texte. On le reconnaît, certes, mais l’on ne le suit pas. Les longues poses musicales ou dansées, autant de partis pris de privilégier le montrer sur le dire qui peuvent s’avérer à la longue lassants. Certes l’attitude hiératique de la conteuse semble adéquate, on apprécie lorsque le musicien intervient en voix-off pour dire quelques morceaux du texte. Mais cela ne suffit pas à rendre cette adaptation convaincante. Aucune défaut criant pour autant. A.-A. Psyché qui s’est chargée du rôle du récitant passe bien la rampe ; la musique de Yannick Eugène est belle ; la danseuse, Lindy Callegari, a de beaux élans (même si elle paraît souvent crispée). Hélas, tout cela n’empêche pas que l’on s’ennuie un peu : un comble en partant d’une prose poétique si prenante !
Alfred Alexandre, La Ballade de Leïla Khane, Montréal, Mémoire d’encrier, 2020, 56 p., 12 €.