— Par Noël Mamère —
L’ancien maire de Bègles (Gironde) et candidat à la présidentielle de 2002 appelle, dans une tribune du journal Le Monde, les écologistes à chercher, avec leurs alliés, la voie d’une écologie populaire, au risque sinon de se voir rejeter dans les marges du débat politique.
L’écologie est partout, réjouissons-nous ! Mais les écologistes commettraient une grossière erreur en pensant que le choix politique de l’extrême droite de prioriser l’écologie plutôt que l’immigration comme thème de campagne serait la confirmation de leur victoire culturelle.
Si cet hommage du vice à la vertu, aussi opportuniste que réfléchi, confirme en effet la place que tient l’écologie dans les préoccupations des Français, il lui assigne en même temps le statut d’ennemi à abattre pour une bonne partie de la société, toute à sa joie de trouver là un allié de poids au service de ses intérêts.
Les « dénialistes » de tout poil vont désormais pouvoir exprimer, encore plus haut, encore plus fort, leur haine des écologistes, accusés, en boucle, d’être « aveuglés par leur sectarisme » et d’empêcher leur monde de tourner. Les caciques de l’agroalimentaire et du productivisme agricole, aux méthodes mafieuses pour faire taire leurs opposants, les lobbys de la chimie, des énergies fossiles et du nucléaire, la droite qui peste contre les éoliennes et traite les écologistes d’« écoterroristes », les libéraux macronistes qui ne croient qu’au techno-solutionnisme et au marché… Tous vont profiter plus que jamais d’un tel alignement des planètes.
Double mise en abyme
Au moment où la crise écologique fragilise chaque jour un peu plus les conditions de vie de l’ensemble de l’humanité et du vivant, la coalition du déni se renforce pour faire obstacle à toutes les réformes démocratiques de nos modes de vie et de production. Rapport après rapport, les scientifiques rappellent pourtant leur urgence.
Nous sommes devant la menace d’une double mise en abyme, environnementale et démocratique :quand la « maison » ne sera plus qu’une ruine à rafistoler, il n’y aura de place que pour la contrainte et la limitation autoritaire de nos libertés. Voilà où risque de nous conduire l’« écologie du bon sens » de l’extrême droite. Elle n’est plus une simple déclinaison des refrains sur les mérites de l’écologie« pragmatique » ou « réaliste », versus l’écologie « punitive », chantés pendant des décennies par les chœurs de droite, de gauche et du centre. Elle devient la nouvelle bannière de ces troupes qui veulent la peau des écologistes.
Car nous en sommes là : jamais le niveau de détestation entre les écologistes et leurs ennemis n’a été aussi élevé qu’aujourd’hui. C’est ce que l’extrême droite s’apprête à instrumentaliser en lieu et place de ses thèmes traditionnels.
A qui la faute ? L’attribuer aux seuls ennemis des écologistes ou aux médias, malades du poison de la simplification, à la recherche obsessionnelle de l’affrontement plutôt que du débat, serait faire preuve de cécité politique. Les écologistes, d’hier comme d’aujourd’hui, portent leur part de responsabilité dans cette situation explosive où il est devenu impossible d’établir des passerelles avec des milieux qui les ont proscrits ; celui de l’agriculture, par exemple.
L’extrême droite et ses alliés auront beau jeu d’exalter la « ruralité du bon sens » – comme l’avaient fait avant eux les chasseurs de Chasse, pêche, nature et traditions – contre les « théories des bobos nantis des villes » ; les uns seraient enracinés dans « la terre qui ne ment pas » et les autres, perdus dans le hors-sol du « mondialisme ».
Dans un contexte aussi hostile, les écologistes souffrent d’un double handicap pour faire comprendre leur projet de société au plus grand nombre : leur pensée de la complexité est mal adaptée à un monde qui la refuse pour mieux se rassurer, leurs croisades contre les « vices » de certaines catégories sociales,qui pourtant vivraient moins mal grâce à leur projet de société, contribuent à cette tension. Cette incompréhension obscurcit toute perspective de compromis.
Boucs émissaires
De lanceurs d’alerte, ils deviennent boucs émissaires rejetés dans les marges par leurs ennemis, alors que l’inévitable bifurcation écologique du monde se fera autour des questions qu’ils posent depuis longtemps. Sans eux ? Voilà la principale menace qui se profile derrière le choix stratégique de l’extrême-droite. Elle devrait les obliger à chercher avec leurs alliés – politiques, activistes, organisations non gouvernementales… – le meilleur chemin qui mène à une écologie enfin populaire capable de démonter l’imposture de l’écologie populiste de l’extrême droite et de ses complices.
Avant la convention de refondation des écologistes le 14 octobre, les journées d’été d’Europe Écologie-LesVerts (du 24 au 26 août) devraient être l’occasion d’examiner les voies et moyens pour y parvenir. Au lieu de cela, les écologistes suscitent la polémique en invitant un rappeur sulfureux, un cadeau pour leurs ennemis, tandis que l’essentiel risque d’être encore remis à demain.
Noël Mamère a été mairede Bègles (Gironde) de 1989 à 2017, et député écologiste de 1997 à 2017