— Par Joëlle Ferly Artiste —
A l’absurdité de nos sociétés, à la mondialisation qui nous mène, à notre impossibilité de retrouver l’harmonie avec notre environnement, nous répondons: CARNAVAL!
Si l’usage du corps est ce qui définit, en art contemporain, la performance, alors la procession carnavalesque que nous connaissons sous nos latitudes, relève bien de cette nouvelle forme d’expression que l’art moderne nous a léguée.
Qu’il soit nu, vêtu, peint, poudré, recouvert de boue, de cendres ou autre, le corps devient pour le performeur, son matériau premier de travail.
Dès les années 1920, l’artiste cherche à mettre en scène son corps et l’institue en tant qu’œuvre d’art.
Entre le théâtre et la danse, la performance se situe à la lisière du terrain connu et la sphère de l’esthétique. Le projet de la performance n’étant pas de connaître à l’avance le résultat de l’expérience qui se va se décliner -selon un manifeste, postulat, ou bien encore processus de réalisation- ni de chercher à être plaisant aux sens, comme le définirait Kant.
D’abord ludiques, les performances des premières années sur siècle dernier, se réalisaient en Europe, entre artistes en besoin de rompre radicalement avec l’art académique, en cette période d’entre-deux guerres. Inscrite au sein de l’Avant-Garde, la performance voyage avec les artistes qui fuient une terre en feu, pleine de haine et d’intolérance.
C’est sur le Nouveau Monde, que la performance va se décliner : Happenings par-ci ; improvisations par-là, au sein de groupes d’artistes en recherche de nouvelles proposition artistiques. Des danseurs (Cunningham), musiciens (Cage), peintres (Yves Klein), activistes (Yoko Ono), se feront tour à tour performeurs aux cotés des artistes puristes qui s’affirment par ce médium derrière les grandes figures de Joseph Beuys, Allan Kaprow, et Marina Abramovic pour ne citer que ces derniers.
A travers son propre corps l’artiste performeur en vient alors à tester l’endurance, les limites, la douleur et ce en directe, face à son public. Pas de répétition, pas d’artifice autre que le matériel nécessaire à sa réalisation, pas de trucage, encore moins de recherche d’élégance. L’artiste sera nu s’il juge cette nudité nécessaire. Il fera pleurer le public par ses actions qui sont loin d’être de toute « beauté » : ce matériau corporel est expérimenté jusqu’au sang, jusqu’aux larmes s’il le faut. Nombreux sont les spectateurs qui ne peuvent supporter la vision d’une performance.
Nombreux sont ceux, qui trouvent en cette expérience une forme de salut, permettant alors le dialogue avec le créateur : l’artiste d’une part, mais également, le grand Créateur, seul responsable de notre venue en ce monde.
Parce que le propos de l’art contemporain en occident s’étant aujourd’hui éloigné de sa mission première, pour en arriver à n’être plus qu’un ersatz de lui-même, le monde se tourne vers les pays du Sud dont les propositions restent encore authentiques, loin des préoccupations mercantiles, qui font d’une œuvre un produit d’investissement, et de l’artiste, « a business person ».
A l’absurdité de nos sociétés, à la mondialisation qui nous mène, à notre impossibilité de retrouver l’harmonie avec notre environnement, nous répondons: CARNAVAL!
Du Nord au Sud des Amériques, nos populations ont de cela en commun un passé marqué par les sociétés esclavagistes, dont les séquelles s’observent au quotidien, pour qui décide d’y prêter attention. Chômage, détresse mentale, violence conjugale, échec scolaire, conditions de vie précaires sont parmi tant d’autres, les symptômes de ce que la modernité nous a laissé à nous, sociétés post-coloniales.
Ainsi, devant l’esprit individualiste forcené de l’occident, nous répondons : CARNAVAL !
Devant les mesures politiques de nos politiciens, nous leur lançons : CARNAVAL !
Devant l’Etat Français nous imposant sa langue et sa structure, nous lui crions: CARNAVAL !
Devant ce monde qui continue de nous exploiter, nous lui rions au nez: CARNAVAL !
Devant ces touristes venus nous observer comme des animaux, nous les invitons à danser notre: CARNAVAL !
Devant l’enfant qui vient de naître et dont le sort sera comme le notre, nous chantons en cœur : CARNAVAL !
Car c’est bien de notre chair dont il s’agit (« CARNE »). Ce corps qui n’a pas succombé sous le fouet, ni sous les mots dévalorisants.
Ce peuple que nous sommes, et dont personne ne peut comprendre que sa force réside bel et bien en sa capacité de résister aux inconsidérations de ce monde en chantant, dansant, en faisant vibrer les tambours au rythme des battements de nos cœurs.
Que ces sons deviennent les nouveaux métronomes de la vie !
Que ces sons nous enivrent tous !
Que ces sons vous rappellent que jamais, non jamais, personne ne pourra nous imposer d’abolir cette trêve qui nous rassemble tous, jeunes et aînés, petits délinquants et petites bourgeoises, patrons et chômeurs, valides et non valides, noirs et blancs… Le CARNAVAL nous mutualise, forme nos jeunes aux valeurs du groupe, nous fait célébrer notre diversité, stimule petits et grands, nous fait respecter l’heure, nous évite l’ennui de notre poste de télévision, nous fait ressortir notre créativité, nous met en valeur et nous rend notre fierté.
Si manifeste il devait y avoir, alors il s’écrirait: RESISTANCE !
CARNAVAL pour résister à la folie
CARNAVAL pour résister à la Pwofitasyon
CARNAVAL pour résister à l’anéantissement de notre culture
CARNAVAL pour résister à l’apartheid qu’on nous impose
CARNAVAL pour résister à notre propre tentation de ne plus avoir la force de résister… (le tout ponctué par un rythme de Menndé)