— Par Gary Klang —
Lorsqu’un ami m’a suggéré d’écrire un article sur Christophe Colomb, je me suis dit : Mais qu’ai-je à dire de lui que l’on n’ait déjà dit ? D’ailleurs, l’homme ne me touche guère. Je suis certes fasciné par ce qu’il a fait, car découvrir l’Amérique ce n’est pas rien, mais le personnage, je ne sais pourquoi, me fait penser à un clerc de notaire. Rien qui puisse faire rêver. Bien sûr, il se pourrait que j’aie tout faux; c’était peut-être un bel homme fier à l’allure de conquérant, mais rien n’y fait. Sans doute son nom qui ne passe pas, tout simplement : Colomb (colon), l’ancêtre de ces gus qui ont conquis sans remords et sans honte l’Algérie, le Congo, le Vietnam, etc., ces Cortez et autres zigues qui croient que la terre des autres leur appartient, ceux contre lesquels Césaire a écrit son inoubliable Discours sur le colonialisme. Livre ultime que je vous conseille de lire si vous ne l’avez déjà fait, car tout est dit sur cette engeance qui pense que tout lui est dû et qui, pour justifier ses forfaits, vous dira qu’elle a accompli une œuvre de bienfaisance en apportant la civilisation à des barbares (siphylisation serait plus approprié).
Lisez aussi, pendant que vous y êtes, l’oncle Gide et son Voyage au Congo. Renseignez-vous sur Léopold, roi des Belges, un paisible garçon qui massacrait à tour de bras (passez-moi ce cliché) et qui a inspiré Mario Vargas Llosa dans Le Rêve du Celte. Et, soit dit en passant, Vargas est sans doute moins réac qu’on ne le dit, car ce livre est une charge impitoyable contre le colonialisme, et son héros, Roger Casement, devrait être beaucoup plus connu. Irlandais de naissance et vaillant comme tous les Irlandais, il a défendu les Congolais et les amis de James Joyce, et a fini pendu par la très civilisée Couronne d’Angleterre. Le même Vargas a aussi pondu un formidable pamphlet contre Trujillo, le foutu fasciste qui fit régner pendant 30 longues années la terreur en République Dominicaine, tout en massacrant 40 000 Haïtiens, Dieu sait pourquoi. Gaza avant la lettre.
Mais revenons à notre Christophe qui, parti à la recherche des Indes, découvre le continent américain où je suis né et plus précisément Haïti qui s’est appelée Hispaniola et Saint-Domingue. Les pieux amis de Christophe ont trouvé des Indiens dans mon île et les ont tous éliminés. Voyez la reine Anacaona et le cacique Henri. La terre d’Haïti est née dans la violence et n’en est jamais sortie. Après la mort des Indiens, on a émigré de force les Noirs d’Afrique pour servir d’esclaves. Des millions de morts et des souffrances indescriptibles. Le bon roi Louis XIV, dans son Code noir, a fait du Noir un bien meuble, lequel n’ayant pas d’âme pouvait être, selon l’humeur du colon, torturé, fouetté ou enterré vivant. Pas grave, puisqu’il n’était qu’un meuble. Suite de l’aventure de Colomb. Et reparlant de lui, permettez-moi de vous raconter une histoire personnelle. Je me suis marié un 24 juillet (date anniversaire de la naissance d’Alexandre Dumas, lui aussi lié quelque part à ce récit), et puis j’ai convolé comme on dit en justes noces chez notre ami Colomb, avec ma femme Maggy. Destination : Barcelone, où j’ai pu admirer la réplique de l’une de ses trois caravelles, la Santa Maria. C’était de petits navires et je me suis demandé comment cet homme avait eu le courage de traverser un océan sur de si frêles embarcations. Chapeau, Christophe ! Je salue ta témérité.
À Port-au-Prince, ma ville natale, il y avait autrefois une statue de toi, mais le peuple un beau jour (était-il beau ?) en a eu marre et t’a déchouké, mot créole qui signifie détruire. Sur mon île aujourd’hui il n’y a plus rien de toi, contrairement à la République Dominicaine qui a conservé la maison de ton fils Diego.
Ce déchoukage de Christophe Colomb en Haïti marque symboliquement la fin de la révolte des esclaves de Saint-Domingue.
J’aurais pu encore longtemps dérouler mes souvenirs à la manière de Proust, qui a le don d’allonger la sauce, mais je crois avoir assez parlé du grand aventurier d’Espagne, un homme qui, malgré tous nos légitimes reproches, a réalisé quelque chose d’immense, digne d’un héros d’épopée. Ayons au moins la décence de le reconnaître.
Gary Klang