— Par Selim Lander —
Complètement à part dans l’univers du spectacle vivant, le Nouveau Cirque suscite chez les spectateurs des émotions sans pareille (à l’exception du patinage artistique, mais qui à l’occasion d’en voir ailleurs que sur un écran de télévision ?). Bien qu’il tende parfois à se rapprocher de la danse (comme c’est le cas dans certaines séquences de Knee Deep), il fait appel à un imaginaire différent, presque atavique, celui de l’enfance, des premiers émerveillements devant le gros nez des clowns, les lions rugissant, les écuyères debout sur leur monture, les jongleurs si adroits, les acrobates si audacieux. S’il n’y a plus d’animaux dans le Nouveau Cirque, et plus guère de clowns – bien que les adeptes de ce nouvel art mêlent volontiers l’humour à leurs exploits –, notre émerveillement demeure intact. Cela tient d’abord à l’étonnement suscité par des performances physiques que l’on peine à croire accessibles à des corps humains a priori semblables au nôtre. Or ce que nous voyons est bien réel : il n’y a pas de magie, pas de tour de passe-passe, tout cela qui paraît impossible à réaliser se produit sous nos yeux.
Cela ne serait rien s’il n’y avait chez les troupes du cirque contemporain la capacité de produire en nous ces émotions évoquées au début. Elles tiennent certes pour une part à la peur enfantine de voir l’un ou l’autre des artistes du cirque échouer dans son numéro, tomber peut-être et se faire mal. Les professionnels qui se produisent devant nous ont répété mille fois, leur spectacle a déjà tourné dans le monde entier, malgré tout nous restons convaincus, nos tripes nous le disent, qu’un accident est toujours possible. Cependant le danger est présent dans de nombreux sports sans produire le même effet sur les spectateurs. Il y a donc autre chose, une poésie visuelle qui nous enchante malgré nous, la vraie marque de fabrique du Nouveau Cirque, à laquelle participent la musique comme la mise en scène.
Knee Deep est un spectacle de la compagnie australienne Casus Circus qui fait appel à quatre circassiens, soit trois hommes et une femme, soit, comme à la Martinique, deux hommes et deux femmes, une formation sans doute plus équilibrée. Les numéros utilisent les accessoires habituels des acrobates : trapèze traditionnel, trapèze en cerceau, corde, ruban (ici double), plus quelques accessoires moins classiques (bouteilles, œufs !). A noter cependant l’absence de tremplin et donc des sauts qu’il permet. En contrepartie, Casus Circus s’est fait une spécialité des acrobaties au sol, en particulier pendant tout le début de la représentation : les circassiens se mélangent, grimpent les uns sur les autres en une chorégraphie très épurée qui prend son temps et nous oblige à accepter le tempo ralenti qui sera celui d’un spectacle ménageant par ailleurs des respirations entre chaque numéro.
Fort-de-France, Tropiques-Atrium, les 23-24 février 2018.