— Déclaration de l’UPLG sur l’école en Guadeloupe —
Sans perturbations significatives selon les médias et les responsables de l’éducation nationale en Guadeloupe, la rentrée scolaire 2023/2024 s’est faite en Guadeloupe. Plus de 88 000 élèves de 3 à 18 ans ou parfois plus ont rejoint les écoles maternelles et élémentaires, collèges et lycées de Guadeloupe. Avec un peu plus de 7 300 enseignants, le service public d’éducation est censé assurer un enseignement de qualité répondant aux espérances des familles et des enfants de Guadeloupe.
Après des années de dénonciation de l’échec scolaire, des manques de moyens, des fermetures de postes, de l’expatriation systématique des enseignants réussissant aux concours nationaux français, de l’arrivée massive d’enseignants non guadeloupéens venant pour certains surtout pour le dépaysement, du nombre d’enseignants guadeloupéens qui semblent désabusés devant les difficultés de l’école et des enfants, aujourd’hui, nous nous proposons de regarder les choses autrement.
L’échec de l’école en Guadeloupe est un fait reconnu non discutable. Cet échec a pour conséquence la mise à l’écart et la marginalisation de la majorité de la jeunesse qui, si elle ne trouve pas de solution alternative à la déshumanisation, se retrouve entrainée dans toutes les déviances ou emportée dans une nouvelle errance vers les banlieues européennes ou ailleurs sans espoir de retour.
Les conséquences pour notre pays la Guadeloupe sont incommensurables. Une saignée sans précédent sur la population qui diminue et vieillit rapidement. Le démounaj de nos enfants par l’école doit cesser.
Un nombre trop important de nos jeunes ne croit pas en leur pays, ne le connaissent et ne s’y reconnaissent pas. Trop de nos vieux sont isolés, perdus, éloignés de leurs enfants qui ont choisi l’ailleurs pour leur devenir. Trop de détresse dans des familles déchirées par l’exil des enfants. Nous ne pouvons constater cette fracture grandissante sans nous interroger et essayer d’agir sans trop tarder pour tenter des solutions qui pourraient casser cette décomposition. L’éducation de nos enfants est l’un des points forts sur lesquels nous pouvons nous appuyer pour changer les choses.
Quelle école voulons-nous pour l’éducation de nos enfants ? Quels programmes scolaires et quels contenus pour permettre à nos enfants de s’enraciner dans leur culture, leur histoire, leur géographie, leur environnement caribéen afin qu’ils ne deviennent pas des adultes zombies qui ne savent pas qui ils sont et qui errent désespérément pour trouver une place dans le monde.
L’école française en Guadeloupe a déjà fait suffisamment de dégâts sur notre cerveau, notre conscience et notre équilibre en tant qu’hommes et femmes. L’école qui prétend instruire nos enfants n’arrive toujours pas à accepter que l’enfant guadeloupéen a deux langues, le créole et le français. Elle continue à brimer le créole guadeloupéen et tout l’apport de notre langue maternelle, ce déjà-là, à la construction de l’enfant guadeloupéen. Cette même école figée dans son jacobinisme primaire ne peut admettre que la Guadeloupe est une entité propre, différente de la France, avec sa géographie, son histoire, sa culture, son environnement, sa relation au monde. En Guadeloupe, on continue à nier notre histoire propre, notre géographie, notre culture qu’on veut folkloriser tout au plus. L’école française en Guadeloupe prépare les petits Guadeloupéens à l’exil.
L’école de la République française en Guadeloupe est l’un des maillons forts de la domination française et du maintien du système colonial qui nous opprime. Cette école n’est pas faite pour nous. Son rôle est de nous assimiler et nous faire accepter la domination française. Cette école doit nous renforcer dans notre esprit d’assisté, d’être inférieur qui ne peut s’assumer sans la présence autoritaire des grands papas blancs. C’est l’école de l’assujettissement.
L’école est le lieu où, en principe, l’on apprend la fierté d’être, la fierté d’appartenir. En Guadeloupe, l’école essaie de développer une fierté de ne pas être. L’enfant guadeloupéen dès ses premiers contacts avec le livre et les imaginaires de l’école, pénètre un monde qui lui est autre et où il n’a aucune chance de se reconnaître. Il apprend à ne pas être et à se considérer comme inférieur. La fierté d’appartenir lui est refusée parce qu’il ne trouvera au sein de l’école aucune histoire, aucun personnage, aucun événement glorieux pour lui rendre fier de ses semblables sauf quand l’enseignant s’engage personnellement à cela. Il devra se réfugier dans des personnages éloignés de lui, souvent qui le méprisent, une école qui montre un autre qui lui est désigné comme supérieur. Dans des lieux éloignés qu’on le forcera à rêver.
Les conséquences en sont désastreuses. Souvent, le jeune Guadeloupéen soi-disant formé n’aime pas son pays, n’a pas envie d’y vivre, le considère comme trop petit, surtout s’il a fait de bonnes études et acquis de nombreux diplômes. Il aura poursuivi plus de 15 ans de scolarité sans vraiment connaître son pays, ses grands hommes, ses lieux historiques. S’il n’a pas trouvé dans sa famille, dans des associations, chez des amis la chance de découvrir quelques éléments de l’histoire de son pays, il sera de même totalement ignare quant à la géographie, l’histoire, l’environnement caribéen, la biodiversité, la culture patrimoniale de son pays.
Il deviendra peut-être enseignant en Guadeloupe, s’engagera dans l’éducation d’autres enfants tout en ne connaissant que très peu de ce qui fait qu’il est Guadeloupéen. C’est inacceptable !!!
La mémoire des héros qui ont fait que nous pouvons prétendre à la liberté et à une égale dignité aujourd’hui, doit être nourrie. Il ne s’agit pas que des Delgrès, Ignace, Massoto, Solitude et des autres héros de 1802. Il faut que nos enfants connaissent la lutte de tous nos ancêtres depuis les razzias en Afrique et même avant, depuis les bateaux négriers, les plantations, les usines à sucre et autres ateliers au sein desquels nos ancêtres se sont battus. Il faut que nos enfants apprennent les luttes de nos ancêtres depuis 1848, pour l’accès à la dignité, la reconnaissance de leurs droits, leur refus de plier l’échine malgré la barbarie du colon et des défenseurs de la suprématie blanche et française. Les noms de personnages comme Achille René-Boisneuf, Hégésippe Légitimus, Henri Sidembarom, Gerty Archimède, Paul Valentino, Rosan Girard, Jacques Nestor, Fred Pineau, François Casimir, Jacques Berthelot, Michel Uranie, doivent devenir des références pour nos enfants. L’héritage des artistes comme Vélo, Guy Conquet, Robert Loyson, Robert Mavounzy, Gérard Lockel, Jacob Desvarieux, Patrick Saint-Eloi, les noms et les œuvres d’écrivains ou poètes comme, Guy Tirolien, Maryse Condé, Albert Béville alias Paul Niger, Florette Morand, Max Rippon, Sony Rupaire, Jean-Pierre Sainton et bien d’autres, doivent entrer dans la construction de l’enfant guadeloupéen.
Que veut l’UPLG ? Nous voulons une école de la réussite pour nos enfants. Une école qui construit un enfant équilibré, sûr de lui-même, qui sait qui il est et d’où il vient, et qui l’aide à trouver son chemin. Ce ne peut être l’école de l’aliénation et du refoulement de ce qu’on est. Mais une école de l’épanouissement et de la verticalité. Nous invitons les enseignants guadeloupéens à refuser de baisser les bras et à relancer le combat pédagogique et politique pour le redressement dans la politique éducative en Guadeloupe.
Il faut sortir de cette école au sein de laquelle on enseigne dans la peur, où trop d’enfants sont incontrôlables, où trop de parents sont en difficulté ou se sentent abandonnés, où les résultats ne sont pas au rendez-vous. Nous refusons la faillite de l’école. Nous invitons à aller vers une école dynamique, exigeante, rassurante et épanouissante pour tous : enfants, parents, enseignants et autres personnels.
Une école de la fierté guadeloupéenne. Cette école est possible si elle devient porteuse des espoirs de notre Guadeloupe.
Qu’exige l’UPLG ? L’école en Guadeloupe doit maîtriser les avantages du bilinguisme, créole/français et proposer aux enseignants des outils appropriés à l’enseignement des langues à partir de la langue maternelle de l’enfant. Prendre en considération et valoriser la langue maternelle de l’enfant c’est lui rendre sa dignité d’apprenant. Vivre et travailler en Guadeloupe nécessite une connaissance du pays et de ses deux langues pour mieux assurer l’accueil des travailleurs, des malades, des personnes âgées dans les associations culturelles et autres centres d’accueil. L’apprentissage du créole guadeloupéen, langue étrangère, doit s’inscrire dans tout projet de développement culturel et économique du pays Guadeloupe.
Le combat pour le redressement guadeloupéen sera gagné si nous éduquons les enfants dès l’école maternelle à l’estime de soi, à la confiance culturelle, à la reconnaissance sociale… à l’amour du pays Guadeloupe. Ce combat doit se mener dans les familles, dans les associations, dans notre vie de tous les jours mais surtout dans l’école. Car c’est là que nos enfants passent la plus grande partie de leur temps de vie. Nous devons reprendre le contrôle de notre devenir. L’enfant guadeloupéen ne sera pas perdu si nous refusons qu’il le soit.
Nous appelons les enseignants guadeloupéens à faire preuve de courage et à installer dans leurs pratiques tous les éléments qui permettent aux enfants guadeloupéens de grandir dans un environnement scolaire leur permettant d’évoluer en harmonie avec eux-mêmes, leur culture, leur histoire et leur géographie. Les outils existent pour faire mieux que ce qui est offert aux élèves actuellement. L’héritage du combat pour une école au service du pays est là. Le travail de nos chercheurs et pédagogues est là. L’expérience acquise par des générations d’enseignants guadeloupéens, malgré les fortunes diverses nous a permis d’éviter le naufrage total de l’école. Mais sans un engagement dans un processus de redressement nous allons à la catastrophe. Ce temps d’agir, c’est maintenant.
Nous appelons tous les enseignants qui participent à l’éducation en Guadeloupe, à s’engager dans leurs pratiques à bâtir une école qui prend en compte l’enfant guadeloupéen dans son environnement naturel et culturel, dans un objectif de l’aider à réussir tout en lui permettant de s’ancrer dans son propre milieu, de s’approprier d’autres modes de vie, et de s’assumer en tant que citoyen guadeloupéen responsable et bâtisseur.
Nous appelons les parents et les familles à s’engager aux côtés des enseignants dans la bataille pour une école au service du pays, pour une réussite qui favorise l’émergence d’un homme guadeloupéen debout, sûr de lui-même et porté par les valeurs de liberté, de justice, de dignité, de solidarité et de responsabilité pour une Guadeloupe qui veut se battre pour se construire.
Nous invitons tous les politiques, les syndicats, les associations familiales et d’éducation populaire, les enseignants, les pédagogues, les penseurs et toutes les bonnes volontés à se mettre ensemble pour la mise en œuvre d’un grand chantier pour bâtir et promouvoir une école du redressement de la Guadeloupe.
Penser l’école guadeloupéenne.
Lékòl a yo pa bon pou nou, fò nou sav sa ! Fò nou chanjé’y !
Pointe-à-Pitre le 6 septembre 2023
Le bureau exécutif de l’UPLG