Khokho René-Corail: un artiste En Marge !

— Par Roland Sabra —

Le mot est de Victor Permal lors de sa conférence donnée dimanche 24 septembre 2017 à La Fondation Clément devant une salle archi-comble. Les amis, les proches, les connaisseurs de l’œuvre de l’artiste étaient grandement majoritaires. Ils ont interpellé, commenté , et même complété sous la forme d’un conte créole les dires de l’orateur, ravi d’une telle complicité.

L’exposition est une ébauche d’une rétrospective souhaitée pour un avenir proche. Elle donne à voir un bel aperçu, forcément fragmentaire de l’œuvre foisonnante, tourbillonnante, protéiforme, d’un homme épris avant tout de liberté. Sans Dieu, ni maître ? A celui qui le dira, ou l’écrira dans ce pays où la pensée magique a encore de beaux restes, on opposera la participation de l’artiste à l’iconographie religieuse. On citera à comparaître comme témoins les « Christ », guérillero ou pas, « La  Sainte Famille », «  La Sainte Face », « Les âmes du Purgatoire », « Le Cœur Immaculé de Marie » etc. A Victor Permal qui dit que KhoKho Corail s’il n’était pas religieux était au moins croyant on pourrait proposer le terme de mystique, défini comme une production psychique, révélatrice des conflits à travers lesquels se constitue l’identité de chacun dans le rapport que l’existence du Sujet entretient avec la limite et la mort. Qui peut y échapper ? Freud affirme : «  Tout individu intelligent a bien une limite où il se met à devenir mystique, là où commence son être le plus personnel. » (G.Groddek, Ça et moi, Paris, Gallimard, 1977, p. 65). Il semble bien que toute la vie de Khkho Corail est été celle d’une confrontation, voire d’un combat, avec les limites dans la quête d’un impossible. Son engagement politique lié de façon irréfragable à son œuvre en témoigne.

Les limites, ce sont celles de l’ordre politique oppressif de la colonisation, celles des différents genres artistiques, celles de leurs techniques marquées du sceau de leurs origines, la plupart occidentales. Il se les approprie, les transforme, les fait siennes, les retourne contre leurs maîtres en utilisant les matériaux de son île. Il va en Afrique, au Sénégal, pour en apprendre d’autres. En tout et pour tout Khokho Corail est transgressif. Il est la subversion incarnée et néanmoins fidèle à ses origines, à sa culture, à son pays, à sa terre. Khokho Corail est un homme de désir, de tension, de passion, se projetant avec violence inouïe vers un ailleurs que lui seul entrevoit et dont il laisse sur le chemin, ses toiles, ses sculptures , ses céramiques offertes au regard comme les indices d’un devenir commun en gésine. A celui qui regarde, de découvrir, de comprendre et de faire. Mais plus encore, et c’est sans doute le plus déroutant, certaines de ses ouvres sont de purs signifiants dont le mystère qu’elles portent, loin de toute transcendance, ne renvoie qu’à elles-mêmes. C’est là le génie de Khokho René-Corail.

Dans «  Saint-Pierre, 1987, technique mixte sur aggloméré » la ville en col de vase est composée de bris de céramiques collés sur la planche tandis que dans la baie le chaos des voiliers et vapeurs peints refuse l’engloutissement. Seuls éléments identifiables, navires venus d’un autre monde, porteurs d’un désastre d’un autre genre, ils surnagent face aux ruines qui les cernent. Quand il peint la mer, il n’oublie jamais de peindre le vent, sa force et l’orage naissant. L’océan est un combat.

Les animaux du bestiaire de Khokho René-Corail sont ceux d’une ferme, celle de son enfance. Mammifères, bêtes à cornes ou animaux de basse-cour, sans attache, sans corde, sans carcan, sans harnais, ils sont fécondité, puissance et opulence, non réductibles à un panthéisme quelconque. Les taureaux les chevaux, les cabris d’ocre et de cendre ne sont rien d’autre que la vie. C’est-dire-tout !

Dans «La rue Case Nègres, 1993, technique mixte » figure au premier plan une charrette qui porte un personnage, homme ou femme on ne sait pas,est tirée par deux bêtes cornues. C’est la partie la plus floutée du tableau. Au second plan les maisons de la rue Case-Nègres sont clairement dessinées. Devant elles un four imposant. Qu’importent celles et ceux qui vivent là. Ils sont permutables et interchangeables. Les biens matériels ont plus d’importance que celles et ceux qui les utilisent.

Il faut aller voir «  La vie secrète d’une révolte » exposition magnifique, qui touche par l’intimité avec l’identité martiniquaise, qu’elle dévoile et qu’elle magnifie.

R.S.

25/09/2017

Jusqu’au 1er novembre 2017 à la Fondation Clément