— Par Stefanie Schüler —
Ce mercredi 6 janvier, le Congrès américain doit certifier la victoire de Joe Biden aux élections de novembre dernier. Alors que Donald Trump conteste toujours sa défaite, le président élu prépare sa future administration. Après les premières désignations, les observateurs s’accordent pour dire que Joe Biden sera à la tête du gouvernement le plus divers de l’histoire des États-Unis. Et le visage qui représente ce virage est celui de Kamala Harris.
À 56 ans, la nouvelle vice-présidente est à elle seule tout un symbole. Jamais, avant elle, une femme n’a accédé à ce poste. Avec un père jamaïcain et une mère indienne, elle incarne parfaitement cette Amérique diverse et métissée que Joe Biden a promis de mettre en avant. Son ascension au pouvoir suscite l’espoir mais aussi des attentes. « Qu’elle se batte pour que tout le monde soit traité de manière juste et équitable ! Pas seulement les Noirs, tout le monde ! », réclame Sandra, rencontrée à Philadelphie par Christophe Paget, du service international de RFI. Cette retraitée afro-américaine estime qu’avec l’arrivée de Kamala Harris en tant que numéro deux des États-Unis, « une lumière s’est allumée. Maintenant, tout devient possible ».
Dans cette nouvelle administration américaine, la première vice-présidente des États-Unis n’est en effet pas la seule à écrire l’histoire. Plusieurs choix de Joe Biden pour constituer sa future équipe sont emblématiques, estime Raymonde La Raja, professeur en sciences politiques à l’université de Massachussetts.
Une administration qui ressemble à l’Amérique
« Pour la première fois dans l’histoire du pays, [Joe Biden] a choisi un ex-général noir comme secrétaire à la Défense, un ancien immigrant pour diriger le département de la Sécurité intérieure. Nous aurons la première secrétaire au Trésor féminine, une femme noire dirigera le ministère du Logement, un fils d’immigrants mexicains le ministère de la Santé, énumère le politologue. Donc, Joe Biden a fait beaucoup d’effort pour que son administration ressemble à l’Amérique sur les aspects ethnique, racial et de genre. »
À cette liste non exhaustive, on pourrait ajouter le choix d’une Amérindienne pour piloter la gestion des ressources naturelles ou encore d’un Afro-Américain pour mener les actions contre le changement climatique. Pour Françoise Coste, professeure à l’université de Toulouse, Kamala Harris a pesé en coulisse sur ces désignations. La future vice-présidente « incarne l’arrivée au premier plan d’une nouvelle génération, estime la professeure. En faisant monter tellement de nouvelles têtes et des têtes différentes, Joe Biden et Kamala Harris sont clairement dans l’optique d’une présidence de transition. On sent chez eux le souci de préparer le futur du parti avec une vraie administration du XXIe siècle. »
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Le président élu et sa numéro deux sous pression
Comme après chaque élection, les différents groupes d’électeurs qui ont permis la victoire demandent à être représentés au sein du nouveau gouvernement. C’est particulièrement vrai cette année pour la communauté afro-américaine après la mort de George Floyd et le succès du mouvement Black Lives Matter. Pour garantir de vraies avancées dans la lutte contre le racisme systémique et les violences policières, les Noirs voudraient voir l’un des leurs au poste stratégique d’attorney general, le ministre de la Justice.
« C’est le ministre de la Justice qui chapote le FBI et toutes les questions de police aux États-Unis, rappelle Françoise Costes. Il ou elle aura du pain sur la planche, parce qu’il ou elle va devoir gérer les conséquences de Black Lives Matter. C’est sûr que sur ce poste-là, Joe Biden va être attendu au tournant. »
Le gouvernement Biden doit être opérationnel immédiatement
Autre point important pour le nouveau président : il doit choisir une équipe capable de gérer dès le 20 janvier une crise sanitaire et économique sans précédent. « À la différence de Donald Trump qui avait choisi un certain nombre de gens qui n’avaient aucune expérience gouvernementale, Joe Biden s’appuie sur des gens qui ont déjà travaillé à des positions importantes pour le gouvernement fédéral et qui sont depuis longtemps proches de lui, constate Paul Schor, maître de conférences en civilisation américaine à l’université Paris VII. Donc, le cabinet de Joe Biden ressemblera énormément au cabinet Obama. »
Mais certains estiment que c’est justement là que le bât blesse. Puisque force est de constater que les personnalités déjà choisies par le président élu sont toutes ou presque des centristes modérés, de quoi inquiéter l’aile progressiste de l’électorat démocrate.
Les progressistes inquiets d’une administration qui rappelle l’ère Obama
« Les minorités aux États-Unis, et les Noirs en particuliers, attendent bien plus qu’une vice-présidente et une série de membres de cabinets noirs, explique l’historienne et américaniste Sylvie Laurent. Ils veulent des politiques qui changent la vie des communautés marginalisées des États-Unis. Et ça, ça reste encore à voir. Parce que malheureusement, tous ces nouveaux fonctionnaires et hommes d’État, qui sont certainement très méritants au niveau individuel, sont quand même très conservateurs. Donc, il ne suffit pas d’être noir, gay ou hispanique pour porter une parole véritablement émancipatrice pour les communautés les plus fragiles aux États-Unis. »
Les électeurs trumpistes confortés dans leurs peurs des minorités
De l’autre côté de l’échiquier politique, il y a les 70 millions d’Américains qui ont voté en novembre dernier pour Donald Trump. La diversité affichée au sein de la nouvelle administration suscitera l’angoisse dans cette « partie de l’électorat blanc conservateur qui sera confortée dans l’idée que les minorités sont en train de prendre toutes les places et qu’eux deviennent étrangers dans leur propre pays, prévient Paul Schor. Il y a des propagandes en ce sens. Quand Joe Biden nomme des membres de minorités à des postes de responsabilité, les républicains les plus conservateurs vont envoyer un message à leurs électeurs blancs, conservateurs et surtout masculins. Et ce message dira : « Vous voyez, c’est vous les vrais oubliés. » »
Curieusement, une séquence importante de la possible composition du futur gouvernement américain se jouera ce mardi 5 janvier en Géorgie. C’est dans cet État du sud du pays que se tiendront des élections pour deux postes de sénateurs à Washington. De ces scrutins dépendra qui détiendra la Chambre haute du Congrès américain pour les deux années à venir. Si le Sénat, qui doit valider bon nombre de ministres et de secrétaires d’États, reste entre les mains des républicains, Joe Biden doit choisir des candidats susceptibles d’être acceptés par les conservateurs.
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Source : Rfi