—Par Jean-Marie Nol, économiste —
En Martinique, des extrémistes identitaires ont percuté les valeurs républicaines de l’Etat. En dépit d’arguments sanitaires puissants, une grosse majorité de la population martiniquaise se montre rétive à la vaccination contre la covid . La spécificité de la crise identitaire en Martinique réveille de nouveaux « rebelles » aux décisions du président de la République, pourtant destinées à stopper net une recrudescence du virus et ainsi sauvegarder l’économie voire sauver des vies humaines. Et comment comprendre que le gouvernement reculera face à une poignée d’irréductibles quand on sait que plus de 64,6 millions d’injections ont été réalisées depuis le début de la campagne en France, selon le bilan quotidien de la DGS. À ce jour, plus de 30,1 millions de Français présentent un schéma vaccinal complet. Les antivax Martiniquais jouent avec le feu en croyant que des mesures comme le pass sanitaire pourraient être annulées sous la pression d’une minorité de français. Jusqu’à aujourd’hui à ce que je sache, la Martinique est soumise à l’identité législative de l’article 73 de la constitution française. Mais certains, au détriment de la raison, ne sont pas prêts à lâcher le morceau, quitte à faire fi du caractère indivisible des lois de la République qui s’appliquent mécaniquement à tous les territoires de la République française. Ainsi à preuve, de violents affrontements ont éclaté à fort de France (samedi 17 juillet) entre les forces de l’ordre et des manifestants contre les mesures sanitaires. Tirs de gaz lacrymogène, incendies de voitures et de l’agence EDF , dégradations du palais de justice , pillage des commerces : une soirée de fortes tensions qui laisse un sentiment de désolation en Martinique. Ces événements violents sont indissociables d’un courant politique nationaliste qualifié de rouge-vert-noir et autres activistes portés par la xénophobie, l’insécurité culturelle et la diabolisation de l’Etat français. C’est là un nouveau signe de l’extrémisme croissant d’une fraction de la société Martiniquaise plongée dans la marmite identitaire. Le paradoxe est que la liberté que réclament les organisateurs et participants des récents défilés et autres manifestations violentes est en fait celle de contaminer les autres, en toute irresponsabilité. Il ne s’agit pas d’incivilités, comme on en voit souvent, mais d’un défi à l’autorité. Toutefois, certaines spécificités apparaissent dans ce mouvement de rejet. D’ailleurs, le profil des réfractaires ne recoupe pas forcément celui d’autres « rebelles » en matière de dénonciation du scandale du chlordécone. Il y a, dans cette attitude, une façon de désobéir à un gouvernement qu’ils n’approuvent pas ou d’exprimer un rapport de défiance plus large vis-à-vis de l’État et de l’autorité en général.
Que signifie ce refus de l’autorité ? Comment le comprendre ? Ces réfractaires ne représentent qu’une minorité, mais s’estiment soutenu par la majorité des Martiniquais. Cela n’a donc rien d’anecdotique , car ce type d’attitude non condamné par la population pourrait aller jusqu’à déstabiliser le socle du vivre ensemble au sein de la démocratie. Car une autorité qui n’obtient pas de résultats est une autorité qui perd sa légitimité. Et c’est le cas actuellement de la France en Martinique. Mais cette crise est ancienne. Elle trouve ses origines dans le mot d’ordre politique de l’autonomie décrété par aimé Cesaire : dès ce moment, la promesse politique se heurte à la carence du système départemental. Aimé Cesaire a marqué durablement de son empreinte idéologique le peuple Martiniquais. De fait, les martiniquais ont augmenté l’estime qu’ils ont d’eux-mêmes. J’y vois le produit d’un désengagement civique, qui est l’un des marqueurs de l’utopie identitaire contemporaine. On s’éloigne de toutes les institutions de la République française et l’on promène un regard très critique sur le passé. L’enjeu est de taille. Car se joue aussi, derrière ces réactions de rejet de l’autorité de la République, une crainte réelle de l’avenir. À travers le refus de l’autorité, il y a aussi le refus d’un futur redouté, de voir la crise transformer radicalement la société, avec comme conséquence la peur de perdre une part d’identité et de liberté ; et où les rapports sociaux et intimes seraient bouleversés pour longtemps. Cette défiance se manifeste également par la montée des contestations sur la Toile : Internet est devenu une gigantesque machine à critiquer les hommes politiques et à débattre de la méfiance envers les représentants de l’Etat. Tenter d’expliquer cette méfiance qui trouve sa traduction dans la violence de rue impose de relativiser les arguments strictement économiques réduisant traditionnellement ce phénomène à une conséquence de la crise et au malaise d’une partie de la population la plus durement touchée par elle, pour l’envisager plutôt comme une réaction identitaire plus profonde face au processus de mondialisation qui bouleverse les cadres de vie et la configuration de la société Antillaise. Ces manifestants violents fondent leur substrat idéologique sur la promotion d’un nationalisme identitaire qui défend la primauté du cadre local et l’homogénéité du peuple Martiniquais.
D’ailleurs, certains citoyens Martiniquais veulent prendre leur destin en main et n’obéissent plus qu’à eux-mêmes, persuadés que toutes les autorités sont là pour les rouler. Nous avons donc là le reflet d’une société martiniquaise qui, n’attendant plus rien de l’autorité, assume son dérèglement sans culpabilité et multiplie les gestes de désobéissance civile. Conclusion : l’image d’un pays en rébellion, d’une communauté de citoyens quasi délinquante à certains égards, et adepte d’un système D extrêmement amplifié. Cette désobéissance tire ses racines d’une identité éclatée, mais aussi d’un rapport particulier à l’autorité qui découle de la période esclavagiste et coloniale.
« La crise consiste dans le fait que l’ancien meurt et que le nouveau ne peut pas naître » (Antonio Gramsci)
En conséquence, il va bien falloir un jour qu’on arrive à purger ce malaise identitaire par une décision d’ordre politique (référendum sur la souveraineté ou autres mesures). En cas d’immobilisme de l’Etat , nous prenons le risque d’entrer désormais en Martinique dans le règne de la démocratie déceptive, de la violence et de la radicalisation des esprits. Et là réside le véritable danger d’un futur chaos économique et social !
Jean-Marie Nol économiste