— Par Guy Gabriel —
Julieta , film de Pedro Almodovar avec Emma Suarez, Adriana Urgate, Daniel Grao
Julieta s’apprête à quitter définitivement Madrid avec son compagnon, pour s’installer au Portugal ; mais une rencontre impromptue avec Bea, l’amie d’enfance de sa fille Antia, l’amène à changer ses projets. Bea lui apprend qu’elle a croisé Antia, il y a quelque temps. Julieta nourrit alors l’espoir de la retrouver alors qu’elle ne l’a pas vu depuis des années. Elle décide d’abandonner tout désir de partir, au grand dam de son compagnon ; elle décide, en même temps, d’écrire à Antia tout ce qu’elle a gardé secret depuis toujours.
Voilà que, du coup, que le film va parler de destin, de culpabilité, de lutte contre une incertitude déstabilisatrice, du mystère insondable que représente l’abandon de ceux qu’on aime, les effaçant d’un trait.
Comment une femme mûre décidée à se construire un futur va se retrouver obligée de replonger dans son passé, pour le reconstruire, en faisant resurgir rancœur, remords, regrets ; autant de notions qui vont faire apparaître celle de culpabilité.
Mais coupable de quoi donc ?
C’est tout l’objet de Julieta, portraits de femmes (au pluriel) à la recherche de rédemption !
On retrouve les thèmes chers à Almodovar :La mort, La maladie, La complexité des rapports humains, mais surtout des personnages qui ont du mal avec le temps qui passe.
D’où ce désir du retour en arrière. Ici, la construction n’est pas sans rappeler le Hitchcock de « Une femme disparaît », L’Inconnu du nord-Express », « La mort aux trousses », par l’importance du train ;
En effet, tout semble se nouer dans la séquence du train, dans laquelle démarre, ce qui ressemble à une quête de soi, de l’autre(Antia), quête qui est, en même temps une interrogation de ce passé, pour essayer de comprendre ce qui a bien pu entrainer ce présent qui se révèle chaotique ; avant de dénouer, mais aussi se tordre, se distordre et donc se compliquer.
Cela donne un récit en forme de mystère à éclaircir (pourquoi Antia a disparu ?) qui suit une trace très polar qui, contrairement à ce qu’on ait pu penser ne manque d’attraction émotionnelle. Almodovar ne cherche pas à juger les comportements, mais à les comprendre, et nous avec ;
Une manière de nous dire que la vie n’est ce long fleuve tranquille qu’on voudrait qu’elle soit, mais faite de hasard (la rencontre avec Bea, l’amie de Antia, sa fille), d’accidents, de pertes de retrouvailles, entre autres.
Donc, ici pas de libido en surchauffe, pas d’énergie libératrice, mais juste la douleur d’une mère qui se réveille et servira de moteur à l’ensemble, sans oublier l’importance des lieux où se déroulent les différentes étapes de cet itinéraire mouvementé. Une mise en scène élégante, des actrices (Adriana Urgate : Julieta de 25 à 40 ans et Emma Suarez à partir de 40ans) superbement filmées pour un « drame dur avec un parfum de mystère » (Almodovar).
Comme pour La piel que habito (Thierry Jonquet), Almodovar va utiliser un matériau littéraire, en l’occurrence les trois nouvelles de la canadienne Alice Munro publiées sous le titre Fugitives, œuvre dont on dit qu’elle se développe dans une atmosphère mélancolique et douce-amère ; trois nouvelles qui racontent les grandes étapes de la vie Julieta (Juliet dans la nouvelle), une jeune doctorante en lettres classiques ;trois nouvelles dont la première, Hasard, montre le sentiment de culpabilité à la suite du suicide sur la voie ferrée d’un passager que la jeune femme vient d’éconduire ; la deuxième, Bientôt, qui met en scène le difficile retour au domicile des parents, en compagnie des sa fille ; là, elle découvre la maladie de sa mère, l’infidélité de son père ; la troisième, Silence, qui évoque la douloureuse quête de Julieta après la disparition de sa fille, parce qu’elle était « affamée de choses qui ne lui étaient pas accessibles dans son foyer », dixit la mère supérieure du dit-foyer .
Sous forme épistolaire Julieta va nous parler d’une douleur sourde sur fond de drame qui prend tout au long du film des allures de tragédie grecque ; du coup, on se rend compte que ce n’est pas un hasard (tient donc !) que l’héroïne est sur le point de devenir professeur de grec et est passionnée de mythologie ; ce qui donne des scènes très symboliques comme celle où elle parle d’Ulysse à ses élève ou encore, celle, en apparence, anodine, où elle est explique à son amie Ava, sculptrice, la création de l’homme dans la mythologie grecque. Autant de scènes qui sont comme des mises en abîme de la vie de Julieta. Finalement un film très « almodovarien », celui d’un Almodovar apaisé, loin de la tourmente de la période de la Bovida, un apaisement qu’il souligne lorsqu’il dit : « Je prends de l’âge…Je n’aurais jamais pu réaliser un tel film avant », film qu’il résume en disant également : « Dans ce film, le destin est très présent. Julieta est la victime de des événements de sa vie » ; ce que confirme Julieta, lorsqu’elle dit dans sa lettre :
« Je me sentais coupable de la mort de ton père. Je t’ai transmis ma culpabilité comme un virus ».
Guy Gabriel