— Par Dominique Widemann —
Judas, de Rabah Ameur-Zaïmeche. France. 1 h 39.
De « Wes wesh qu’est-ce qui se passe ? » au « Dernier Maquis » en passant par « les Chants de Mandrin », Rabah Ameur-Zaïmeche ne cesse de mettre en œuvre la puissance du cinéma pour faire bouger les lignes. Cette fois, il réinvente « Judas » et son rôle dans un film superbe.
D’entrée, l’immensité verticale d’une falaise de pierre confère au paysage une dimension mythologique. Nous éprouvons avec celui qui la gravit à pas d’homme la durée de l’ascension, la ferveur qui le hisse à un trou de roche élevé. Autour, le désert, étiques broussailles agitées par le vent, sentes tracées par les troupeaux. Judas (Rabah Ameur-Zaïmeche en personne) accueille Jésus (Nabil Djedouani) qui vient de regagner la terre de Judée où l’attendent ses disciples. Judas, le plus proche de ses compagnons de vie, le garde et le guide, assure l’intendance et le parcours de ce maître spirituel dont la lumière lui a toujours comblé l’âme. Cette lumière nous parvient par la plénitude joyeuse du regard de Judas, le soin fraternel de ses gestes quand il arrange autour du front de Jésus les plis d’un châle, oriente vers Jérusalem ses épaules qu’il vient de revêtir d’un manteau de laine et le contemple rejoignant son peuple, beau comme un fiancé.
Une rythmique très étudiée,
Des épisodes qui nous sont connus du chemin de Jésus jusqu’à son procès dans une Judée sous la férule de Rome, tout dans le film de Rabah Ameur-Zaïmeche va concourir à privilégier la place humaine de Jésus, l’humanité de chacun des protagonistes selon un dessein délesté des sacralisations de la Passion christique. Jésus lave les pieds de ses disciples, leur délivre en actes de haute portée son enseignement, chasse avec eux les marchands du Temple, reçoit des mains de Bethsabée l’oint des huiles les plus précieuses que lui vaut l’absolu de la foi. Le cinéaste, son équipe, la distribution concourent à ce que les moyens cinématographiques produisent une narration nouvelle, une nouvelle représentation expressive et profonde au point de reconfigurer la parabole. Dans les cadres frontaux, les compositions usent de la chaleur humaine des harmonies de bruns, d’une rythmique très étudiée, du langage d’un réalisme illusoire qui emprunte à la grande peinture des XVe et XVIe siècles, Holbein et Rembrandt. Les souffles tempétueux installent l’éternité. La musique de Rodolphe Burger fait vibrer les façades d’argile percées de seuils bas, des scènes qui relèvent à la fois du mythe et du quotidien, ce dernier atteignant à la puissance du symbole. Des effets de clair-obscur saisissants accroissent le sentiment de profondeur enveloppante émanant des personnages et situations.
Primauté du verbe
Le film fait valoir la quintessence de la parole de Jésus, primauté du verbe dans une œuvre très peu bavarde. Judas en est le gardien qui détruira à mains furieuses les transcriptions que s’était autorisées un scribe, brisant les jarres où s’enroulaient les parchemins…
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