— Par Jean-Luc Wachthausen —
Dans ce drame historique qui a valu l’Oscar à Daniel Kaluuya, Shaka King raconte le destin brisé d’un chef des Black Panthers abattu, en 1969, par le FBI.
Sean O’Neal est bien montré du doigt dans Judas and the Black Messiah, le film de Shaka King qui évoque la courte vie chaotique et la mort brutale, à 21 ans, de Fred Hampton, le leader du parti des Black Panthers de Chicago. Abattu lors d’un raid de la police et du FBI, le 4 décembre 1969, après avoir été dénoncé par celui qui assurait sa sécurité. Judas, c’est bien lui, Sean, petit voleur de voitures qui zone avec son faux badge de flic. Retourné par les fédéraux, qui lui proposent d’effacer l’ardoise, il deviendra la taupe au sein d’un mouvement radical qui fit trembler les politiques et déchaîna les foudres du directeur du FBI, le redoutable et paranoïaque J. Edgar Hoover. Lequel cibla, dans une note interne, les meneurs des Black Panthers sous le code de Black Messiah.
Au-delà du drame historique qui restitue avec minutie le contexte de l’époque au sein de la communauté afro-américaine – marquée par le double assassinat de Martin Luther King et Malcom X, sans oublier la guerre du Vietnam –, Shaka King se concentre sur l’histoire de cette trahison entre vrais et faux frères d’armes. Elle va de pair avec les désillusions et les impasses des Black Panthers, enfermés dans une pratique de la violence qui se retourna contre eux. Deux solides acteurs portent ce film violent qui marie la contre-culture de la fin des années 60 et le poing levé. Tous deux sont charismatiques à tel point qu’il est difficile de décider qui l’emporte dans ce faux biopic, le héros sacrifié ou l’antihéros bourreau, le chef prometteur ou le voleur minable. Le Britannique Daniel Kaluuya, qui prête sa fausse bonhomie et sa révolte au premier, ou l’Américain Lakeith Stanfield, traître rongé par la mauvaise conscience et la peur face à son agent traitant, joué par le glacial et retors Jesse Piemons ? Les votants de l’Académie des Oscars ont tranché, accordant la statuette du meilleur acteur dans un second rôle à l’acteur britannique, déjà primé aux récents Golden Globes.
Propulsé par ce duo opposé, le réalisateur Shaka King est bien armé pour raconter, sous l’ère Richard Nixon, cette période de haute tension sociale dans la communauté afro-américaine, déjà en proie à la violence policière et qui paie cher son combat pour les droits civiques. Enfants perdus de Marx et Coca-Cola, rebelles d’une cause qui n’a plus de leader, les Black Panthers vont occuper ce vide politique et idéologique, prônant l’action révolutionnaire, l’union et le soulèvement des classes défavorisées noires, blanches et latinas dans une « coalition arc-en-ciel » (l’intersectionnalité d’aujourd’hui) anticapitaliste et antiraciste. Un programme d’inspiration marxiste qui prévoit également une véritable action sociale basée sur la nourriture, l’éducation et l’accès aux soins. Le tout porté par la violence et la haine de la police qui vont dégénérer en guerre ouverte dans une Amérique déchaînée contre tout ce qui se rattache au communisme. Au fil de l’intrigue, Shaka King nous montre que tout cela se terminera en tragédie, sous l’impulsion d’un Fred Hampton d’à peine vingt ans, condamné à la prison, obsédé par sa mission et qui sait comment manipuler et haranguer la foule avec des slogans simplistes et mobilisateurs.
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