-— Par Michel Pennetier —
« Journal intime », parce que je n’ai rien à dire sur les mesures que prend le gouvernement, sur les polémiques autour d’une médication appropriée etc …, ce n’est pas de ma compétence. En revanche, exprimer mon ressenti qui peut être à des nuances près celui de tous mes compatriotes et de tous les êtres humains à travers le monde sous la menace du virus, oui, c’est possible. Mais au-delà, j’aurais à exprimer quelques idées sur le rapport de l’homme moderne à la nature et sur le lien possible entre le phénomène de la mondialisation et l’extension des épidémies, enfin j’essaierai d’imaginer les conséquences possibles, fastes ou néfastes, de cette pandémie. L’un de ses effets, c’est déjà qu’elle donne à penser et à penser fondamentalement sur la condition humaine !
Décembre 2019 à février 2020 , Wuhan
Je vois à la télévision des images de la ville de Wuhan, rues désertes, les rares passants sont chassés par la police et sommés de rentrer chez eux. Ambiance crépusculaire de catastrophe.
Je connais Wuhan, ville immense criblée de tours. J’y ai connu quelques personnes et je pense à eux. Je me souviens du musée de la préhistoire qui montrait des vestiges des débuts de l’humanité et je pense au chemin de l’homme depuis qu’il a dressé sa tête vers le ciel, et accompli tant de choses. Mais voilà qu’un microscopique virus anéantit l’activité d’une ville de 12 millions d’habitants !
J’envoie des mails à mes amis de Chongqing, ville située à 500 kilomètres de Wuhan où j’ai séjourné un an. Ils me rassurent, rien ne s’est passé chez eux. Mais je ne le suis qu’à moitié, car je connais la propension des Chinois à relativiser le négatif et à présenter un visage optimiste.
On dit que l’origine du virus aurait été dans le grand marché de Wuhan où l’on vend toutes sortes d’animaux bizarres comme le pangolin au long museau et au corps recouvert d’écailles qui sont utilisées en médecine traditionnelle. Mais le pangolin ne serait qu’un intermédiaire entre la chauve-souris, véritable porteuse du virus, et l’homme.
Dans les restaurants de Chine, on ne m’a jamais présenté ni viande de pangolin ni steak de chauve-souris. Je crois que ce sont là des mets très rares et particulièrement délicieux. Mais les Chinois vous disent fièrement que dans leur cuisine on mange tout ce qui a deux ou quatre pattes, des ailes ou juste un corps ( les serpents, les poissons, les coquillages). Sur les marchés on me proposa des « œufs de cent ans », des œufs pourris en quelque sorte qui avaient fermenté longtemps et donc subi une transformation chimique à la manière des fromages. Le goût en était étrange mais délicieux. Je ne sais si on doit accuser seulement la cuisine chinoise, l’une des meilleures du monde d’être à l’origine de l’épidémie. Il y a sans doute aussi d’autres causes que j’essaierai d’analyser plus tard. Ou plutôt, le marché de Wuhan ne serait que la cause immédiate et non la cause profonde.
Je ressentis de la compassion pour les gens de Wuhan, mais bon ! J’étais à l’autre bout du continent eurasiatique, et il n’y avait pas de quoi s’inquiéter pour mes proches ou pour moi-même. C’était une affaire locale.
Fin-février, mars 2020. L’inquiétante étrangeté
Cette manière de me rassurer était évidemment tout à fait illusoire. C’était ignorer l’intensité des relations d’aujourd’hui entre toutes les parties du monde. A cela d’ailleurs rien de nouveau depuis les débuts du Néolithique, depuis que les populations se sont regroupées dans des villes, que les états se sont fait la guerre, ont conquis des territoires lointains , ont fait du commerce entre eux. La civilisation est porteuse des épidémies, comme si chaque progrès apparent devait se payer d’une façon ou d’une autre par des calamités, guerres, massacres, asservissement, épidémies.
Je ne pris que peu à peu conscience du danger et des mesures à prendre. Quelques cas apparurent en Italie, puis rapidement l’épidémie se répandit dans toute l’Europe et dans le reste du monde. L’Afrique épargnée un temps semble aujourd’hui elle aussi infectée. Il se fit un décalage entre mon esprit et ce qu’enregistraient mes yeux et mes oreilles : hôpitaux surchargés, comptabilités des morts et des populations infectées. Mais je pensais encore à mon voyage à Marrakech prévu pour le 2 avril, j’escomptais encore aller voir un spectacle à Paris ou participer à une réunion. Un appel téléphonique de mes enfants qui étaient encore en Espagne m’alerta. Je me réjouissais de les revoir bientôt. Mais ils me dirent sévèrement « Papa, tu n’es pas conscient ! Nous allons nous confiner, et toi, tu restes absolument chez toi! ». Les alertes médiatiques firent le reste. Je basculai dans l’autre monde, celui du Coronavirus.
Pour définir mon ressenti face et dans ce nouveau monde, je ne vois pas d’autres mots que le mot allemand « Das Unheimliche » que l’on peut traduire par « l’inquiétante étrangeté ». « Das Heim » c’est le foyer, le chez soi, le familier, « heimlich » ce qui est secret, du domaine domestique. « unheimlich » c’est ce qui surgit, radicalement étranger, soudain au cœur de notre fragile réalité, la fissure, la détruit comme une fragile carapace et fait intervenir une autre dimension incompréhensible et terrifiante. La littérature allemande a particulièrement évoqué ce sentiment, à l’époque romantique avec les contes d’Hoffman par exemple, et au 20e siècle avec Kafka : « Gregor Samsa se réveilla un matin et constata qu’il était métamorphosé en un gros et hideux scarabée ». Le romancier japonais Murakami a lui aussi évoqué cette imprégnation lente et têtue, imperceptible au début mais peu à peu envahissante de « l’inquiétante étrangeté« qui dévore lentement le quotidien, le submerge, fait perdre tous les repères si bien que l’on ne sait plus si l’on est toujours dans la réalité quotidienne du narrateur ou dans un autre monde où l’on est privé de repères.
L’inquiétante étrangeté est très différente de l’horreur ( Das Grauen) qui se présente manifestement par un événement destructeur , bombe atomique, accident nucléaire, bombardement, dont on comprend l’origine. L’inquiétante étrangeté est beaucoup plus subtile, elle submerge le quotidien et l’infiltre en douceur sans détruire ses coordonnées et pourtant elle est là absolument présente et invisible, sournoise.
L’être humain ordinaire, vous, moi, vit quotidiennement avec les coordonnées de son corps, la vue, le toucher, l’audition, l’odorat dans une certaine mesure. Nous nous servons abondamment des ondes – radio, téléphone, télévision, internet – mais qui en connaît véritablement la réalité et le fonctionnement à part le spécialiste ? Il y a là déjà quelque chose d’étrange qui inquiète certaines personnes qui croient que ces ondes peuvent être dangereuses pour la santé. Quant à la pollution de l’air, elle est à la fois imperceptible quand nous prenons notre voiture et accentuons cette pollution et perceptible quand nous tombons malades et en mourons, mais alors il est déjà trop tard ! Il y a donc dans notre quotidien tout un ensemble de phénomènes invisibles ou peu ou mal perceptibles, accessibles seulement par un savoir scientifique, qui rendent notre quotidien moderne quelque peu « unheimlich », nous ne sommes plus tout à fait nous-mêmes en tant qu’être vivant qui a essentiellement besoin d’eau potable, d’air pur, de soleil, de lumière, d’arbres et de plantes , éventuellement de quelques animaux si nous sommes carnivores, pour vivre heureux et satisfaits, même s’il lui reste à méditer sans fin sur le sens de ce qui lui arrive dans une nature énigmatique qui le confronte à l’inquiétante étrangeté d’être là dans ce monde. Celle-ci n’apparaît pas seulement dans le quotidien comme phénomène particulier, bien plutôt elle est le symptôme profond de notre être au monde. Elle est une question métaphysique.
Une société dans la tourmente, fin mars 2020
Dans mon quotidien, c’est l’inquiétante étrangeté quand je descends dans ma rue pour faire quelques courses. Je ne rencontre que quelques ombres fuyantes, le parc est fermé … où prendre l’air, se promener un peu ? Cafés fermés, impossibilité d’acheter un livre : je voulais lire ou relire « La nature de la nature »d’Edgar Morin, précisément pour nourrir cet article. Mon amie aveugle a quelques problèmes pour les courses et son ordi est en panne, mais il m’est impossible de trouver un réparateur.
Le « confinement » ne me pose pas vraiment de problème. Mon appartement est mon « Heim » avec les livres, les masques dogon et les peintures chinoises, j’aime y rêver, y penser, refuge bien précaire en contraste avec l’extérieur. Ce qui me manque, ce sont les relations, mais on se téléphone beaucoup ou on s’écrit des mails. J’allume trop la radio ou la télé pour voir et entendre la déferlante de nouvelles inquiétantes. J’admire l’abnégation des personnels hospitaliers qui travaillent au risque de leur santé et même de leur vie. Dans les situations exceptionnelles s’exprime souvent le meilleur de l’humanité, quelquefois le pire. Le gouvernement navigue à vue, conseillé par les scientifiques. En cette période, je m’abstiens de toute polémique. Ce gouvernement doit gérer le délabrement de l’hôpital public et l’imprévoyance des gouvernements précédents et de lui-même. La solution la meilleure me semble celle qu’a adoptée la Corée du Sud : tester toute la population et mettre les porteurs du virus à l’écart. Mais la France et la majorité des pays n’en ont pas les moyens. Je ne suis pas particulièrement inquiet pour moi-même par une sorte de confiance en mon destin ( l’intuition que ce n’est pas l’heure) , aussi par une forme de fatalisme ( je ne suis pas maître de mon destin, cela ne me concerne pas). Il reste cependant une légère angoisse, pas pour moi-même, mais pour la situation de l’humanité et son avenir. C’est pourquoi, j’essaie de creuser ce concept d’inquiétante étrangeté.
Notre rapport à la Nature ( fin mars)
Je vois la Nature ( avec un grand N, pour la distinguer de ce que l’on nomme généralement nature : ce qui n’est pas produit par le travail humain, les plantes sauvages, les animaux, la géologie etc… Ainsi parle-t-on des sciences naturelles et des sciences humaines ) , je vois donc la Nature comme la totalité infinie de ce qui est et dans laquelle l’homme et son activité ne sont qu’une infime parcelle. Descartes a très bien défini le rapport à la nature de la modernité : « Se rendre comme maître et possesseur de la nature » ( il a eu la prudence de dire « comme » car il était croyant et ne voulait pas mettre l’homme à la place de Dieu, mais l’évolution de la techno-science montre bien qu’elle s’est vite passée du « comme »). Je considère donc le rapport de la modernité à la nature comme une forme d’agressivité et de combat qui est une immense erreur que l’humanité paie de plus en plus cher ( pollution, réchauffement climatique, énergie nucléaire etc …).
La Nature nous a tout donné : la Vie. Mais il ne faut pas interpréter cette formule de manière anthropomorphique, la Nature n’est pas une déesse ayant des intentions. Il n’y a pas de finalité dans la Nature. Elle est en son fond une énergie, une force qui va, dont l’origine nous reste définitivement mystérieuse, et sans doute n’a-t-elle pas d’origine, elle EST de toute éternité et de toute éternité produit-elle des milliards de galaxies, des trous noirs, des cosmos qui vivent et meurent pour en faire ressurgir d’autres. Sur notre toute petite planète, son « inventivité » est extraordinaire, elle a doté les êtres d’une immense capacité d’adaptation, de défense et et de résilience. On a pu voir la vie végétale et animale comme un grand combat pour la survie, le struggle for life darwinien. Mais Darwin souligne lui-même qu’il n’y a pas seulement combat pour la vie mais beaucoup plus souvent coopération et entraide entre les espèces, des échanges chimiques qui sont comme des langages . On peut donc dire qu’il y a dans la Nature toujours dualité et que c’est le jeu entre les termes opposés de cette dualité qui fait le ressort de la vie. La pensée chinoise (le taoïsme) a merveilleusement compris ce mouvement de la Nature entre le Vide (Dao) et l’existence, entre le yin et le yang, entre flux et reflux, et de nos jours, le penseur de la complexité, Edgar Morin a analysé la vie de la Nature en termes d’oppositions complémentaires, de boucles rétroactives, de créations et destructions, d’ordre et de désordre, une pensée qui dépasse le pur déterminisme logique qui ne pense les choses que dans le schéma linéaire cause-effet.
Le corps humain est constitué d’une infinité de particules qui coopèrent entre elles, parfois de particules ennemies pour l’ensemble du corps mais qui peuvent s’intégrer aussi dans l’ensemble de l’organisme et fonctionner à son profit. ( c’est le principe génial de la vaccination). Il peut aussi y avoir des particules saines, utiles au fonctionnement de l’organisme qui dégénèrent et produisent un cancer. L’être humain trouve dans la Nature tout ce qu’il faut pour assurer sa vie, pour la soigner ( plantes médicinales), pour la renforcer. Mais il trouve aussi des poisons qui mettent sa vie en danger, ou des ingrédients qui à forte dose sont mortels et à faible dose des médicaments. C’est là tout le savoir des médecines traditionnelles taoïstes, ayurvédiques, africaines, amer-indiennes etc … La médecine occidentale fondée sur la chimie a apporté de grands progrès mais aussi des effets secondaires néfastes parce qu’elle ne respecte pas la globalité infiniment complexe de la vie du corps, ni non plus le rapport entre le corps et l’esprit.
Donc la Nature n’est ni bonne ou ni mauvaise Mère, pour le dire métaphoriquement mais les deux à la fois, ou plutôt c’est au discernement humain d’apprendre ce qui lui est profitable ou dangereux. Les animaux par ailleurs eux aussi « savent » ce qu’il leur convient ou non ( par expérience ? Par instinct programmé ?)
Les virus posent un problème particulier. Ils sont invisibles ( sauf avec la technologie moderne) et insaisissables, ils se propagent à une vitesse folle. La créativité de la Nature est en ce domaine extraordinaire puisqu’il en naît toujours de nouvelles espèces et la science ne peut répondre assez rapidement à ces nouvelles créations. Si les virus n’étaient pas des ennemis de l’être humain on pourrait s’émerveiller de cette créativité et admirer la beauté de ces êtres microscopiques ( avez-vous vu les belles photos de cet être microscopique ?) .
Comme je l’ai dit en introduction, les pandémies ont accompagné l’humanité depuis les débuts du néolithique, depuis la création des premières grandes civilisations. Je n’ai pas d’informations en ce qui concerne le paléolithique et peut-être ne peut-il pas y en avoir. Mais homo erectus puis sapiens vivant en petites communautés séparées où les rencontres étaient rares, une épidémie ne pouvait être que très locale bien que homo sapiens ait beaucoup voyagé mais très lentement sur des dizaines de milliers d’années à travers le monde et que différentes branches d’homo sapiens se soient rencontrées. J’en reste donc pour l’instant à l’idée que les pandémies sont la conséquence de la concentration humaine dans les villes et de la rencontre de populations nombreuses par les conquêtes, aussi bien que de la misère et de la sous-alimentation des masses populaires vivant entassées dans les grandes villes dans des conditions d’hygiène déplorable. Ce tableau concerne aussi bien l’Antiquité, que le Moyen Age, que l’époque moderne qui avec la découverte de l’Amérique apporta toutes les maladies de l’Occident qui décimèrent les populations indiennes de l’Amérique.
La situation mondiale actuelle est des plus favorables à la multiplication et à l’expansion des virus : les concentrations urbaines de population, l’extrême mobilité des marchandises et des êtres humains, la réduction jusqu’à la disparition des aires naturelles qui préservaient un équilibre écologique. On voit par exemple qu’en Asie du Sud-Est la réduction des forêts où vivaient les chauves-souris porteuses de virus a conduit ces dernières à s’installer dans les villages et donc à contaminer les humains. La créativité de la Nature dans le domaine des virus est plus rapide que la recherche scientifique et cette dernière quelle que soit sa compétence aura toujours un train de retard par rapport à l’apparition de nouveaux virus.
Cette humanité qui se croyait maîtresse du monde et rêvait de conquérir l’espace ou de prolonger indéfiniment la vie humaine et de la doter de super-pouvoirs , est incapable de gérer la vie sur la planète, ou plutôt les conditions de vie qu’elle s’est données ( la mondialisation, la concentration humaine, le déséquilibre qu’elle a institué dans son rapport à la Nature). Les grandes épidémies sont à mettre dans le même registre que celui du changement climatique qui est aussi en grande partie la conséquence du comportement humain à l’égard de la Nature ( exploitation du charbon et du pétrole). Nous faisons dans une large mesure notre propre malheur, sans sous-estimer le fait qu’il peut y avoir aussi des menaces purement naturelles.
Il me vient entre temps une idée bizarre : on peut voir la Nature comme un méga-corps, constitué d’une infinité de parties. Sur l’une de ces parcelles, la Terre, peut-être la seule ou l’une des rares, est née la vie biologique et finalement l’être humain capable de penser plus ou moins l’infini grand corps , du moins de l’imaginer, de le deviner : une merveille ! Le problème est que cette créature est devenue un virus qui attaque la vie de cette parcelle, la Terre. C’est peu de chose pour le Grand Corps, il poursuivra son chemin. Mais c’est dommage pour la petite planète qui était unique en son genre, une merveille. Mais il est possible que ce virus « homme » perde de sa virulence et devienne par sa conversion un agent utile à la Vie du Grand Corps !
Ce ne sera plus jamais comme avant ? Les conséquences d’une pandémie. Début avril 2020
Après tout grand bouleversement, tout grand malheur d’origine naturelle, sociale, économique ou politique, les peuples ont crié « Ce ne sera plus jamais comme avant ! ». Effectivement après la grande peste noire du Moyen Age qui fit périr les deux tiers de la population européenne, ce ne fut plus tout à fait comme avant : le servage fut aboli car les campagnes manquaient de main d’oeuvre et les propriétaires durent accorder des salaires pour attirer de nouveaux paysans dans les campagnes. Après la Révolution Française, rien ne fut plus comme avant car les pouvoirs et privilèges de la noblesse furent abolis, mais il fallut un siècle pour que le suffrage universel soit une réalité et l’exploitation de la classe ouvrière dans la grande industrie du 19e siècle équivaut au servage. En France et en Allemagne après 1918 on a cru que c’était la « der des der », et « Plus jamais la guerre ». Sans commentaire. Après 1945, on put croire en Occident que se développaient une économie du plein emploi et de la consommation, un bien-être généralisé, et un progrès sans limite ( mais sous l’égide de la menace de la guerre nucléaire !). Or précisément, c’est ce développement de la production et de la consommation qui nous a conduit aux problèmes d’aujourd’hui, ceux de la destruction de l’environnement, de la pollution et du dérèglement climatique qui laissent pointer à l’horizon la perspective d’une « fin du monde », du moins de notre monde humain.
La pandémie actuelle ravive nos angoisses et en même temps naissent de nouveaux espoirs. En regardant vers l’avenir, il faut bien distinguer ce qui est d’abord une prospective rationnelle et réaliste sur la base des éléments dont nous disposons et une aspiration affective qui nous fait croire que « ce ne sera plus jamais comme avant »( c’est-à-dire que nous aurons appris et que ce sera mieux, que nous aurons appris de nos erreurs). La prospective rationnelle sera plutôt pessimiste et l’aspiration affective ( l’espérance) sera plutôt optimiste. Mais aucune des deux ne sera assurée de porter l’entière vérité ou plutôt chacune porte une part de vérité ou d’erreurs et d’illusion. Enfin, si l’aspiration affective est assez forte, elle sera un ingrédient de la réalité qu’ausculte la prospective rationnelle. Il y aura « inter-action et rétro-action » entre les deux pour employer le vocabulaire d’Edgar Morin !
La prospective rationnelle nous est donnée par exemple par le chercheur israëlien Yuval Noah Harari qui a réfléchi d’une part sur l’origine de l’homme et d’autre part sur le futur de l’humanité. Dans son article paru il y a quelques jours dans l’Express « Le monde dans lequel nous vivrons après l’orage », il explique comment les mesures actuelles des gouvernements, nécessairement autoritaires vont conduire à une accentuation de la surveillance des citoyens, sans limite grâce au progrès technologique de surveillance par les téléphones portables qui permettent d’enregistrer toutes les conversations, tous les parcours des personnes, de les repérer dans la rue par le système de reconnaissance faciale, on pourra ( si cela n’est déjà fait) contrôler leur température. De quoi se sentir en sécurité ! C’est ce qui est désormais à peu près réalisé en Chine. Nous entrerons donc dans le monde prédit par Orwell dans son roman « 1984 ».
Par ailleurs, il n’y a pas lieu de croire que le système financier, commercial, économique de la planète qui a conduit à la crise écologique actuelle, soit s’effondrera soudainement, soit se réformera profondément par une prise de conscience de ses acteurs. Non ! Les affaires continueront « as usual ». A preuve, une nouvelle récente de la revue « Capital » : les « hedges funds » achètent massivement à bas prix les entreprises en difficulté à travers le monde pour faire plus tard de grandioses bénéfices. Il faudrait un mouvement d’opinion mondial pour que cela change.
Pourtant, il y a aussi des signes d’espoir. La situation de confinement actuelle de la population peut provoquer chez un grand nombre de personnes une réflexion sur la vie qu’elles mènent habituellement : son incohérence, son absurdité, sa fatigue. Peut-être prendront-elles conscience de l’inanité des plaisirs de cette vie : la consommation, la voiture, les absurdes voyages à l’autre bout du monde sans préparation culturelle, ce qui fait que ce ne sont pas des rencontres avec d’autres personnes de culture différente. Le confinement peut provoquer une « conversion » à un nouveau mode de vie et à une réflexion sur l’essentiel. Bien sûr, la réalité est à double facette : on parle aussi de la crise des couples qui ne se supportent plus, et de la recrudescence des violences familiales. Le « confinement » est le révélateur des souffrances que recouvrait la vie ordinaire.
Lueur d’espoir : c’est l’engagement des personnels hospitaliers dans l’aide physique et psychologique aux malades et c’est la solidarité massive et la gratitude de la population à leur égard.
Lueur d’espoir : ce sont aussi les appels téléphoniques, la sollicitude de chacun pour l’autre.
Lueur d’espoir : le ciel est plus bleu, l’air est meilleur ( mais il contient peut-être le virus), le silence des villes n’est pas qu’inquiétant, il est aussi apaisant, les animaux sauvages reprennent leur espace, les voitures ne polluent plus ni les avions pour la plupart à l’arrêt. Ce sont là des indices d’un environnement nouveau, plus beau.
On peut imaginer à partir de cette constatation une économie moins polluante, davantage axée sur la proximité entre le producteur et le consommateur, on peut imaginer une multiplication du télétravail et des vidéoconférences afin d’éviter les transports. La voiture doit devenir un usage d’exception, l’avion aussi.
Dans ce possible nouveau monde, il faudra penser à la fois global et local. Penser la globalité de la Nature dont nous sommes une parcelle (écologie), penser la globalité de l’espèce humaine dont nous sommes membre (solidarité), mais vivre à échelle humaine avec nos proches, à proximité de ce que nous donne la nature environnante et l’économie locale ( il faut diminuer radicalement les transports)
Bien sûr, ces lueurs sont fragiles, elles pourront vite s’éteindre. Il dépendra de nous de les garder dans notre cœur, mais surtout de les faire vivre dans le monde de demain qui sera ce que chacun de nous fera de ces espoirs. Alors peut-être : demain ne sera plus jamais comme avant.
Rambouillet, janvier-avril 2020