— par Kélian Deriau. —
De retour de Montréal où elle apporte sa conception d’une danse particulière, décloisonnée de l’Art et enrichie son œuvre au contact d’une diversité chorégraphique multiple, Josiane Antourel était au programme de la biennale de Danse à l’Atrium. Dans la « Soirée des chorégraphes » et avec « Wouvè la won’n. De la musique pour les yeux »
Qu’elle le veuille ou non la critique est fondée sur des valeurs de dogme, sur des certitudes, sur ce que l’on comprend comme des vérités opérantes absolues. Nous vivons bien des fois sur des acquis culturels imprégnés de valeurs et de modèles ambiants, mais qu’on ne peut justifier en regard de la danse et sans volonté aucune d’ostracisme rebelle, car il faut bien considérer que cette danse existe hors du langage, elle n’existe qu’à partir où les mots manquent. Essayer alors de la résumer dans un agglomérat, de mots, lui dire son fait à travers un compte rendu, un papier critique, est simplement improbable. De ce point de vu, a commencer par ce qui pourrait passer pour prétention, controverse ou apories majeures : critiquer la danse est « usurpation, abus de pouvoir », c’est ramener l’œuvre chorégraphique au rang de matière. On ne parle pas de la danse comme d’un carré de théâtre, impossible de lui appliquer la théorie cohérente de la musique, une harmonie de couleurs et encore moins l’équilibre d’un art plastique. Ces disciplines dans leur éclectique beauté, ne peuvent parvenir à l’assomption extatique du corps : cette manifestation singulière de la danse. Ainsi applique t’on pour un temps des idées d’un « prêt a penser » qui sont admises affectivement, plus que reconnues rationnellement et sont finalement en contradiction avec les idéaux et les pratiques culturelles que réclament les Arts dans le domaine de leurs sphères institutionnelles réciproques. « C’est peut-être un truisme de rappeler que toutes les idées ne sont pas viables et ne contribuent pas nécessairement à un progrès humain. Mais l’expérience montre que le rappel d’une telle évidence n’est peut être pas inutile ». C’est bien la lecture de l’émotion dans la danse qu’il faut décrypter sans critiquer. Ni démonstration, ni simple compte rendu, mais à la fois source d’informations et support a un avis, à un jugement de goût ; Est ce bien d’une émotion, d’une perception dont il reste à parler ? D’une telle interrogation, aucune réflexion ne peut faire l’économie. Mais nous ne sommes désormais plus dans cette position, où il faut une réponse à chaque question et l’émergence d’un débat subjectif reste la seule alternative. Un tel débat dépasserait les possibilités de ces lignes, et sans en arriver là, il fallait tirer au clair certains points théoriques simples. Si percevoir la danse infère une compréhension sans prétention d’interprétation, ceci n’induit pas pour l’artiste de glisser dans une distraction ontologique abusive ni pour le public d’admettre cette logique intempestive que n’importe qui serait a même de donner libre cours à des élucubrations libres de sens et d’indécence. Déjà, il n’y a d’observation possible qu’après l’accumulation d’une expérience de spectacles, supérieures à la moyenne et l’acquis d’une histoire de la danse, autorisant une appréciation efficace et éclairée. Et puis sans doute, une sensibilité émoussée, où l’honnêteté tiendrait tête à une impartialité à tout crins.
Formée à l’école de la danse classique, dans ce carcan académique qui forge et le corps et l’esprit, puis rapidement courtisée par un moderne jazz qui fait a l’autodiscipline la part belle. Josiane s’et frottée au vocabulaire de plus en plus précis d’une gestuelle à l’origine de la danse afro caribéenne, les pieds nus, sur la terre balafrée des carêmes de notre île. Depuis elle métisse sa calligraphie rythmique d’une élocution « nourrie au corps par l’esprit ; » « une danse empreinte d’austérité joyeuse » « Mouvement fondamental et processus créatifs » sont à la base de son écriture chorégraphique, qu’elle définie comme « afro contemporaine.»
Le dynamisme et la force d’une personnalité dépendent de sa richesse et de son dialogue intérieur, une conversation poétique énorme, grande, qui ne peut être entendue, et ce n’est pas là seulement. C’est encore dans une danse qui serait encore un mystère. La démarche fluctuante, mais imparable de son solo « Une de perdue, une de perdue » s’initie puis s’éteint, comme une fumée d’encens chahutée par le vent. Il y a des moments comme ça, où seule la magie sait le corps de l’artiste qui se donne. Comment lui réclamer, à ce corps, une réalité conceptuelle ? Sa réalité est simplement différente et sa danse ne se limite pas seulement à ses seuls gestes, ici une alchimie intérieure, cette efficience a lire, mais pas nécessairement lisible : l’intime conviction de la danse. Des fois, c’est troublant parce que ça ne ressemble a rien ni a personne. La chorégraphe, exprime un surréalisme sans ambiguïté, où ni l’effet de curiosité, ni l’intérêt émotionnel ne semble la concerner. Elle danse dans sa tête et pour ceux qui la captent ; aux autres, elle offre le visible et sa ponctuation à définir. Dès lors il ne faut pas absolument être ému par les personnages, mais comme les danseurs. A l’opposé du raisonnement mathématique, ou consensuel d’un art bling bling, qui se vend. Pas objet de luxe ostentatoire dans l’acception décorative du spectacle, dans le regard, ou dans l’écriture gestuelle d’une leçon apprise. Sourde aux vibrations extérieures tentaculaires. Pas une chorégraphie victime, aux ordres de nos phantasmes ou de nos références ; la danse de Josiane tutoie les silences et les amplifie, dessine sa réflexion et réveille le caractère ombrageux et le swing du tambour et du jazz. Josiane l’interprète dans ce brouillage librement consenti dans sa démarche d’auteur, sans jamais s’aliéner les superstitions du tangible et sans pour autant renier sa tradition, qui est bien vivante, donc contemporaine.
Complexifiant son propos par résonance collective, dans « Wouvè la won’n, de la musique pour les yeux » Josiane Antourel, instaure sur la scène une hypersensibilité non feinte, accusant ses racines ardentes, avec une extraordinaire bonté où sa vraisemblance s’impose, a l’endroit qu’elle avoue, entre la réalité et sa vérité conjuguée. Cette altération de l’image chorégraphiée qui disparaît derrière la musique et cède sa place, est une action culturelle sans commune mesure : l’extraordinaire solidarité où se tissent tous ces niveaux artistiques, quand chacun travaille, dans le même sens qui les projette dans une dimension sacrée, universelle…qui résonne…encore…
Pour en revenir a notre point de départ, il n’est donc pas inutile de dire, qu’un dogme peut en cacher un autre…mais que cette danse doit rester libre…définitivement libre !
Mai 2010. Kélian Deriau.