De l'esprit et de de l'esthétique
— Par Christian Antourel —
La semaine passée a vu s’achever une exposition de toute beauté. Jorge Pineda fait advenir ce qui n’a pas de visage, l’âme, la conscience, la mémoire. Excepté pour sa série de chiens qui eux, paradoxalement ont un regard presque humain. Figures sans visage, où celle du dessin rejoint celle du destin dans son mystère incarné dans le souffle. Le stylo est l’arme avec laquelle l’œuvre prend chair. Ses sculptures, aveugles toujours, sont légères… légères.
Les dessins de Jorge Pineda sont riches en volumes purs et pauvres en ornements. Il prend un malin plaisir à délayer son œuvre dans une figuration à la légèreté évidente. Le mystère du vide du papier, son accueil chaleureux le stimule, le provoque et lui permet d’exprimer toute la richesse de son goût du jeu. Et si ses thèmes de prédilection sont les enfants et les chiens, c’est que pour cet artiste à l’intériorité vivifiante, ce sont des prétextes qui permettent de percevoir la véritable apparence de l’être et du chien, au-delà de toutes les conventions et de tous les déguisements possibles. Les effets esthétiques qu’il obtient ainsi révèlent une poésie singulière. Les métamorphoses auxquelles il accède recèlent en leur sein des accidents souhaités ardemment, comme des promesses d’imaginaire. Comme une sculpture qui s’imposerait par son relief. C’est dans ce passage où la réalisation de séries devient systématique que son œuvre nous arrive comme une méditation intime livrée aux autres. Cet instant arrêté par Pineda est celui de la création. Ses « Jappy et happy » chiens toilettés, suivent la même veine d’inspiration et sa série des ninas rojas (fillettes rouges) qui font penser au petit chaperon rouge, est pleine de poésie et de fantaisie. Une fillette saute en parachute fait d’une pelote de laine. Et on pourrait croire qu’en tirant sur une extrémité de l’écheveau, le dessin va s’évaporer de ce rêve qui s’étire et rappelle certaines œuvres surréalistes par le sentiment de songe qu’il dégage, et lui confère une ambigüité séduisante, sans se détourner d’une esthétique contemporaine.
Une méditation intime livrée aux autres.
Nous notons une volonté indéfectible de passer du rouge au bleu, sans jamais mixer ces tons uniques dans le travail de l’artiste. La pratique de l’utopie, titre de son exposition, transcende la réalité, en diffusant ses pouvoirs de transparence et de lumière. Le plasticien entretient avec elle des rapports privilégiés, graves et fantasques qui répandent un univers ludique et de contes teintés d’accents mélancoliques attachants. Le jeu, cette danse du stylo à bille évoluant sur le support du papier devient la toile de nos propres facultés imaginatives, qui nous transportent et nous grisent, nous incitant à notre tour à prendre part au jeu artistique envoûtant de jorge Pineda. C’est à un véritable échange jubilatoire qu’il nous invite à partager avec lui. Il mise sur notre capacité à suivre ses inventions aux pistes d’inspirations infinies. Le papier est une matière nue, mais chaude et par essence épouse les impressions et les émotions, mieux il les mémorise. L’artiste travaille comme dans ce mouvement artistique du XIX e siècle nommé Arts and Crafts, qui privilégie les arts décoratifs «Le message parlera de la nature et de l’homme, d’ordre et de beauté, mais où tout sera douceur, simplicité, liberté, confiance et lumière »