— Par Hugues Corriveau, Collaborateur du journal Le Devoir —
Dans son essai Joël Des Rosiers. L’échappée lyrique des damnés de la mer, Jean-Jacques Thomas veut tout aborder, prendre à bras-le-corps les divers aspects de l’oeuvre poétique d’un auteur qu’il admire, et ce faisant, il se répète. C’est bien là le plus grand défaut de cet essai qui, par ailleurs, est pénétrant et éclaire de façon méticuleuse les voies à emprunter pour en décoder le désir.
Ce que l’essayiste souligne chez Des Rosiers, c’est « d’abord un refus radical et absolu d’une poésie tout entière dominée par le devoir de mémoire déploratrice. » Ce point de départ capital met en lumière le projet intrinsèque du poète, à savoir : « faire une oeuvre québécoise originelle et personnelle sans le poids du pathos déploratif incrusté dans le regret du “pays natal”. » Ainsi libérée du poids du fétichisme ancestral, la poésie de Des Rosiers va s’incarner dans les territoires nouveaux qu’elle découvre, va se mettre au présent de l’émotion.
Jean-Jacques Thomas va aussi du côté d’une forme étonnante de psychocritique, alors qu’il rappelle que le poète, premier bébé haïtien né d’une césarienne, a eu les mains blessées alors qu’il tenait la lame du bistouri qui le délivrait. Naissance dans un sang prémonitoire en somme, main meurtrie qu’il associe au passé du pays d’origine, alors que le galion menant les conquérants à l’île sera retrouvé éventré entre les récifs ouverts en forme de main de calcaire libérant ainsi les marins du bateau échoué. Ces passages surlignent de façon ébouriffante les secrets portés par une création livrée avec panache. Il faudrait même reconnaître la coupure originelle dans la marque du tréma (remarquons-le dans le prénom Joël) alors qu’il impliquerait un sens de coupure, de rupture affirmée dans les titres des recueils de Des Rosiers Caïques et Gaïac. Heureuse et surprenante vision.
En fait, « les “damnés de la mer” ont trouvé la terre… », tout comme le poète renonce au passé pour affronter le présent et l’avenir, forcément. Des Rosiers « valorise explicitement le “déracinement” […] comme une chance pour une évolution, pour une installation dans un autre sol. » Il faut entendre ce « sol » comme un territoire extramétropolitain, ouvert aux pays de passage et d’appartenance, mettant l’universel de la littérature française en avant. Pour Thomas, cette œuvre sera donc « transnationale ». D’ailleurs, il va longuement analyser les relations difficiles entretenues par Des Rosiers avec, entre autres, les oeuvres de Césaire ou de Fanon.
Pour Des Rosiers, « le travail poétique est donc d’abord un “délit d’effraction” dans le corps de la langue », c’est-à-dire recherche formelle, langue transgressive, aventure des profondeurs. Et à cet égard, on aurait souhaité que l’essayiste s’attarde à des analyses littéraires plus poussées pour nous faire voir plus concrètement l’apport nouveau de cette écriture. N’empêche, voici un livre parfois ardu et savant, mais éclairant, et qui permet d’accompagner une oeuvre importante et d’une grande richesse.
Joël Des Rosiers L’échappée lyrique des damnés de la mer
★★★★
Jean-Jacques Thomas, Nota Bene, Montréal, 2022, 216 pages
Source : Le Devoir