— Par Yves-Léopold Monthieux —
Après le grand bravo qu’a suscité, en Martinique aussi, l’impressionnant succès des champions guadeloupéens aux JO de Paris, tous les Martiniquais ont la question au bout de la langue. Comment un aussi grand succès des Guadeloupéens aux jeux olympiques de Paris a-t-il été possible ? Pourquoi, en comparaison et malgré l’exception de quelques enfants d’origine martiniquaise issus du BUMIDOM, assiste-t-on à une absence aussi évidente de la Martinique à la fête ? On est tenté de répondre que c’est le résultat de deux politiques inverses, datant de la même époque, au début des années 1980, l’une basée sur l’auto-exclusion, l’autre sur la participation. L’une, sur la prépondérance des idéologies, l’autre, la prédominance des hommes et des femmes. La prépondérance des utopies sur les réalités, en Martinique, une appréciation plus mesurée de ces notions, en Guadeloupe. Ainsi de la présence ou non de ministre martiniquais ou guadeloupéen au sein du gouvernement français, notamment dans le domaine du sport : sujet réglé en Guadeloupe, tabou en Martinique. On est invités à n’en tirer aucune conclusion : le “lui c’est lui moi c’est moi” est de rigueur. N’empêche qu’à l’occasion des JO nous avons tous été des Gwada boy.es.
En effet, on aurait bien aimé ces jours derniers, dans nos cases et nos villas, sur nos bateaux, peut-être, être un peu Gwada et se retrouver au centre de la fête. Même si celle-ci était plutôt bleu-blanc-rouge, quitte alors pour nos élus rouge-vert-noir à se pincer un peu le nez. D’où l’on se prend à envelopper leurs champions dans un “nous” propice, fusse-t-il inattendu et éphémère. Mais ça ne se dit pas et ça ne doit pas faire débat. Sans vouloir provoquer les grincheux, il ne se dit pas sur un autre plan que les Martiniquais aimeraient peut-être voir l’un des leurs devenir ministre de France. Mais ils sont minoritaires, majoritaires peut-être à 90%, mais minoritaires ! Ainsi donc, nous aimerions bien fêter un Teddy Riner martiniquais, vivre le souvenir d’une Marie Jo Pérec ou d’un Lylian Thuram, par ailleurs le sportif le plus intellectuel de France ; glorifier un Marius Trésor qui a fait le bonheur de la France et de Gwada au moment même où son coéquipier Gérard Janvion, le dernier champion martiniquais en Équipe de France, se faisait descendre en flèche en Martinique, le transformant en contre-modèle pour les jeunes. Top là l’énumération de l’impressionnant aréopage qui a fait connaître la Guadeloupe à l’international à un point tel qu’un dirigeant de cette collectivité envisagerait, à l’occasion d’une fête qui leur serait dédiée, de réunir tous les anciens et actuels champions déployés dans le monde.
Cependant, ne soyons pas envieux de nos amis de l’Archipel, car comme Gwada, Mada a réussi sa politique : celle de l’exclusion et du repli sur soi, celle de la surbrillance des antagonismes avec la Métropole, celle de la nostalgie du temps des Césaire, Fanon et Glissant, celle des promesses non tenues. Bref, celle du passé, au lieu de ce bouclier sportif qui sert in fine à protéger le colonisateur. Au reste, l’intelligentsia politique martiniquaise qui ne produit plus d’enfant prodige depuis les mousquetaires de la Créolité, aujourd’hui désunis, n’a que peu de goût pour le genre mineur qu’est le sport et bien moins encore lorsqu’il est pratiqué sous les couleurs de l’ancien colonisateur. D’ailleurs pourquoi toujours se complaire à jouer du muscle et de la voix à la face du monde quand d’autres montent sur la lune ou alignent des prix Nobel avant les titres olympiques ? C’est la question de Raphaël Confiant.
Laissons donc Paris à son éclat d’été et préparons-nous à notre cher hivernage, celui de l’intellectualité martiniquaise.
Fort-de-France, le 13 août 2024
Yves-Léopold Monthieux