— Par Olivier Joly —
Le romancier culte américain, Jim Harrison, revient avec Nageur de rivière, deux longues nouvelles, deux destins d’hommes à la croisée de leur vie et de leurs envies.
Historien de l’art mais artiste raté, Clive revient dans la ferme familiale du Michigan pour prendre soin de sa mère, ornithologue autoritaire, et renouer avec les chimères de son amour de jeunesse. Entre réminiscences et réalité, le retour aux sources va offrir à ce sexagénaire drôle et désabusé une cure de jouvence nourrie d’émois sexuels, de coups de pinceau et, au fil du temps, de prise de distance avec ses problèmes, réels et imaginaires. « Il avait rêvé du succès tel que le monde le définit, mais il était étonnamment facile d’y renoncer au profit de son premier amour », écrit le romancier au sujet de son héros, en conclusion de sa première novella, Au pays du sans-pareil.
La seconde, qui donne au livre son titre général (Nageur de rivière), conte l’histoire d’un jeune homme intuitif et insoumis, confronté au passage épineux à l’âge adulte. Thad ne trouve le bonheur que dans l’eau, grâce à ses exceptionnels dons de nageur: « La seule activité qui lui apportait un plaisir absolu et la sensation d’appartenir corps et âme à la terre… » Après avoir croisé sous l’eau d’étranges créatures aquatiques, possibles réincarnations d’enfants morts en bas âge, il décide de s’abandonner au courant sur plusieurs centaines de kilomètres, jusqu’à Chicago. Ce faisant, il en vient aussi à évoluer entre deux eaux dans le domaine amoureux : le voilà objet de désir de jeunes femmes qui ont en commun d’être aux prises avec leur père. L’un use de violence physique, l’autre du pouvoir absolu de l’argent, ce qui est aux yeux de Jim Harrison une autre forme de sauvagerie.
Avec ces deux longues nouvelles – ou courts romans -, forme caractéristique d’une œuvre foisonnante(Légendes d’automne, La femme aux lucioles, L’été où il faillit mourir, etc…), le vieil ours du Montana (76 ans) poursuit sa plongée au cœur de ses thèmes favoris : les rapports de l’homme à la nature, aux femmes et, de plus en plus, ses rapports à lui-même. Une santé précaire a certes empêché ce bon-vivant devant l’éternel de faire cet hiver son traditionnel pèlerinage en France, où il a acquis le statut d’écrivain culte. Mais le temps qui passe n’a rien ôté à la verve de sa plume, plongée dans une humanité teintée d’humour. Tout juste donne-t-il un peu plus à sa prose les couleurs chaudes du crépuscule.
Qu’importe! Les fidèles de Jim Harrison ne seront pas déçus. « Les souvenirs résident dans le paysage et se dressent devant vous quand vous revisitez une région », écrit-il. Cela peut se rapporter également à ses livres. Au pays du sans-pareil pourrait même apparaître un jour comme l’une de ses toutes meilleurs novellas, dans le droit fil de l’un de ses récits les plus émouvants, La dolorosa beige (Julip), publié il y a juste vingt ans.
Nageur de rivière, de Jim Harrison (Flammarion), 272 pages ; 19,90 euros. Traduit de l’anglais par Brice Matthieussent.
Olivier Joly – Le Journal du Dimanche
mardi 11 mars 2014
http://www.lejdd.fr/Culture/Livres/Jim-Harrison-l-ecrivain-du-sans-pareil-656657