J’écris ton nom, Liberté…

— Par Janine Bailly —
je_suis_un_humainNon, nul n’est tenu de proclamer qu’il est Charlie, du verbe être, ni qu’il suit Charlie, du verbe suivre. Néanmoins, ce qui, au-delà des hypocrisies — certains qui dans leur propre pays musellent la presse et bâillonnent hardiment les libertés ne s’affichaient-ils pas aux premiers rangs des manifestations parisiennes ? — ce qui donc m’a touchée ce dimanche à Fort-de-France, c’est ce rassemblement imprévu sur la Savane. Événement auquel il m’a été donné de participer grâce au message suivant, reçu à l’heure du dessert, comme un petit supplément aux pâtisseries du repas dominical :
« Suite à l’absence de marche républicaine organisée en Martinique ce dimanche 11 janvier, rassemblons-nous à 17h30 place de la Savane ( rue de la Liberté…) pour défendre les valeurs de démocratie, de liberté et de pluralisme.
Nous sommes Martiniquais.
Nous sommes Français.
Nous sommes Charlie
“Le rassemblement, c’est la plus belle réponse à ce que nous venons de vivre”
Merci de partager ce message avec tous vos contacts, par SMS, mails ou sur les réseaux sociaux ».
Nous nous sommes donc retrouvés, quelques centaines de Foyalais et autres, de tous âges, de toutes couleurs, et  sans nul doute de toutes confessions, pour partager à nouveau notre émotion, notre chagrin, notre incompréhension, mais aussi notre espoir et notre foi en l’humanité. Foi cependant difficile à faire perdurer si l’on songe aux manifestations de protestation qui éclosent dans nombre de pays musulmans, aussi bien qu’aux actes islamophobes qui sont à regretter dans certains pays européens.
Alors je veux partager encore la belle utopie de Victor Hugo qui adressait, depuis Hauteville-House, le 20 septembre 1872, une lettre aux membres du Congrès de la Paix, à Lugano. En voici la conclusion, dite en termes certes pamphlétaires et emphatiques, mais si forts et qui entrent en résonance avec ce que nous vivons aujourd’hui :
« Nous aurons l’esprit de conquête transfiguré en esprit de découverte ; nous aurons la généreuse fraternité des nations au lieu de la fraternité féroce des empereurs ; nous aurons la patrie sans la frontière, le budget sans le parasitisme, le commerce sans la douane, la circulation sans la barrière, l’éducation sans l’abrutissement, la jeunesse sans la caserne, le courage sans le combat, la justice sans l’échafaud, la vie sans le meurtre, la forêt sans le tigre, la charrue sans le glaive, la parole sans le bâillon, la conscience sans le joug, la vérité sans le dogme, Dieu sans le prêtre, le ciel sans l’enfer, l’amour sans la haine. L’effroyable ligature de la civilisation sera défaite ; l’isthme affreux qui sépare ces deux mers : Humanité et Félicité, sera coupé. Il y aura sur le monde un flot de lumière. Et qu’est-ce que c’est que toute cette lumière ? C’est la liberté. Et qu’est-ce que c’est que toute cette liberté ? C’est la paix.»
Alors je veux croire que ce beau sursaut républicain ne sera pas qu’un feu de paille, et que l’engagement de citoyens devenus responsables ira bien au-delà de ces réactions légitimes, engendrées par cet ignoble massacre accompli dans les locaux de Charlie Hebdo, dans l’épicerie kasher, et contre la jeune policière Clarissa. J’en prends pour preuve ces nouvelles proclamations, écrites sur des pancartes tenues à bout de bras jusqu’au début de la nuit :
« Je suis un Humain »,
« L’Humanité est une famille entière et indivisible » (Mahatma Gandhi),
« Que vive la liberté ».
Et enfin ce court texte en forme de poème, ajoutant une strophe à celles d’Éluard :
« Je suis Noir, Blanc, Jaune,
Je suis Musulman, Juif, Athée,
Je suis juste un être humain
Et ma vie est sacrée,
LIBERTÉS ! »
Et tant pis si l’on s’est, ce vendredi matin, arraché comme un trophée les quelque 250 exemplaires d’un nouveau Charlie arrivés en Martinique, tant pis si on ne l’avait jamais ni acheté ni lu auparavant, tant pis si déjà ce nouvel exemplaire donne lieu sur le Net à de vulgaires spéculations financières : mieux vaut regarder le verre à moitié plein que le verre à moitié vide, aurait dit mon père dans sa grande sagesse !
Janine Bailly