Jean-Marc Hunt et le Marché d’art à la Fondation Clément

— Par Selim Lander

Negatalent, Jean-Marc Hunt

Avec, d’une part, la seconde exposition personnelle de Jean-Marc Hunt suivant celle de 2015 et, d’autre part, une nouvelle édition du Marché d’art, l’été de la Fondation Clément s’avère particulièrement riche.

L’exposition Jean-Marc Hunt compte pour sa part une soixantaine d’œuvres réparties en trois séries : Negropolitan Museum, Récits cosmogoniques (voir la première photo) et Jardins créoles poursuivies en parallèle par l’artiste, des toiles auxquelles s’ajoutent quelques sculptures. Les deux premières séries peuvent être qualifiées de néo-expressionnistes, la première avec ses silhouettes anthropomorphes esquissées, la deuxième avec les dessins et les messages inscrits en blanc sur des fonds colorés qui peut être même rapprochée de la figuration libre. On y reconnaît l’artiste engagé qui entend, de son propre aveu, « recenser les questionnements dus à la condition noire et antillaise ». Selon Pascal Blanchard, un historien de la mouvance décoloniale qui signe la préface, Hunt « interroge la notion d’afro-français et d’afro-descendant, il révèle les origines de la culture créole et n’a de cesse de bousculer le passé colonial dont les héritages sont toujours présents » (1).

A ces deux séries, qui appartiennent au côté du message voulu par l’artiste – et l’on sait son importance pour nombre de plasticiens contemporains – répond la troisième série où le peintre donne libre cours à son talent de coloriste. Ces toiles qui entremêlent les formes végétales en jouant harmonieusement sur les couleurs, qui sont faites pour plaire à l’œil, contrastent agréablement avec celles des deux autres séries dont l’atmosphère est plus sombre, les dessins volontairement plus maladroits dans un geste proche de l’art brut. Car il s’agit bien de représenter (représenter, pas copier) la réalité d’une certaine condition nègre dans sa brutalité .

série Jardin Créole (2022)

Métis, né à Strasbourg mais vivant à la Guadeloupe, Jean-Marc Hunt n’a pas eu de difficulté pour se mettre au diapason des artistes antillais, nombreux à travailler le passé douloureux des ancêtres tout en dénonçant l’aliénation contemporaine. Il dit lui-même que « la culture aux Antilles se nourrit des épreuves, notamment celle de l’esclavage ». Il dit également : « Il est important pour moi de fonder une imagerie qui recense les questionnements dus à la condition noire et antillaise ». Sans oublier tout à fait la grande ville et plus précisément les « quartiers » de sa jeunesse : « Mon travail recense toujours cette urbanité dans laquelle j’ai grandi et cette nature dans laquelle je vis actuellement ».

On hésite cependant à parler de synthèse entre les deux tant les œuvres relèvent de deux esthétiques différentes. Comme s’il y avait deux peintres, l’un pour les curateurs du circuit international qui privilégient les œuvres à portée critique (de fait, Hunt a exposé certains de ses tableaux à la Biennale de Venise, au San Francisco Art Institute, en Allemagne, en Turquie, au Maroc), l’autre pour les amateurs de belles toiles décoratives. Repérer une telle versatilité n’est pas, de notre part, un reproche, plutôt un compliment : s’enfermer dans un seul genre, une seule manière, un seul discours, n’est-ce pas le risque de la répétition et de la sclérose ?

Jean-Marc Hunt, Négatalent, Fondation Clément, Le François, Martinique, 28 juin – 18 août 2024

(1) Toutes les citations sont extraites du Catalogue, préface de pascal Blanchard, introduction de Mary-Lou Ngwe-Secke, commissaire de l’exposition.

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Le Marché d’art à la Pinacothèque

Bruno Pédurand – Maryse (2024)

Les œuvres de la Fondation Clément, exposées par roulement à la Pinacothèque, laissent la place pour l’été à un marché ouvert aux principaux artistes de la région, des artistes qui, le plus souvent, ont été déjà accueillis pour une exposition individuelle. Quarante-deux plasticiens sont présents cette année, chacun avec deux œuvres. Il s’agit bien d’un marché, les prix sont affichés avec le contact de l’artiste, la Fondation n’intervenant pas dans les transactions. Les prix s’étagent entre 800 (une peinture à l’acrylique – 80×80 cm – de Mickaël Caruge et 11000 € (encore une peinture à l’acrylique – 140×140 cm – de Hamid). Les formats demeurent raisonnables (inférieurs à deux mètres de côté).

Si nombre de femmes peignent, mais souvent sans faire de leur art le centre de leur vie, le fait est qu’elles sont ici en minorité (treize sur quarante-deux). Il y a par ailleurs peu de « vétérans » : seulement cinq peintres (dont une femme) sont nés avant 1950, soit le doyen, Victor Anicet (né en 1938) puis Michèle Charles-Nicolas (née en 1943) et enfin trois représentants du « baby-boom » de l’immédiat après-guerre qui se suivent à une année d’intervalle, Henri Guédon (1944-†2006), Ernest Breleur (1945) et Fred Eucharis (1946).

Cela étant, les amateurs martiniquais retrouveront quasiment tous les peintres qu’ils ont l’habitude de voir exposés à la Fondation Clément et c’est une occasion particulièrement intéressante que de les voir les uns à côté des autres, c’est la possibilité en effet de comparer, de conforter ou non notre jugement sur chacun d’eux, de nous retrouver face à certaines œuvres qui attirent immédiatement notre regard parce que la manière du peintre nous est familière et que nous l’apprécions depuis longtemps ou, au contraire, devant des œuvres sur lesquelles nous passerons sans nous arrêter parce que nous aurons reconnu, cette fois, un style de peinture qui ne parvient pas à nous émouvoir. Car si être sélectionné par la Fondation Clément est a priori un gage de qualité, il peut y avoir des exceptions (certes très rares) et, surtout, puisque tout est permis dans l’art contemporain, il est fatal que certaines œuvres nous demeurent toujours étrangères.

Robert Manscour – Bwa Bwa (verre teinté dans la masse – 2024)

Marché d’art – Exposition collective, Fondation Clément, Le François, Martinique, 28 juin – 18 août 2024