— Par Géraldine Delacroix —
Au concept de néolibéralisme, le chercheur Jean-François Bayart préfère celui de national-libéralisme, mêlant globalisation économique et rétraction identitaire nationaliste – qui prévaut sous les gouvernements de gauche comme de droite. « Il y a une paresse mentale, une forme d’hallucination collective qui dépassent de loin les choix des seuls François Hollande et Manuel Valls », explique-t-il à Mediapart.
Jean-François Bayart est directeur de recherche au CNRS (Sciences Po-CERI). Il avait publié aux éditions Karthala, en 2012, un recueil d’articles (dont plusieurs postés dans son blog sur Mediapart) : Sortir du national-libéralisme. Croquis politiques des années 2004-2012.
Mediapart. Vous avez fait paraître en 2012, au lendemain de l’élection de François Hollande, un recueil d’articles intitulé Sortir du national-libéralisme, concept que vous avez résumé par cette formule lapidaire, « le libéralisme pour les riches, et le national pour les pauvres ». En sortir, c’était renvoyer Nicolas Sarkozy, sans être sûr toutefois, écriviez-vous alors, que « François Hollande ait fait le diagnostic juste des maux qui rongent la société française ». Aujourd’hui, le duo Valls-Hollande est-il à son tour happé par le national-libéralisme ?
Jean-François Bayart. Disons qu’il s’agissait là d’une définition polémique, que j’assume complètement : une façon de désigner le style politique invraisemblable de Nicolas Sarkozy, ce mélange de populisme identitaire et sécuritaire, de mépris des corps intermédiaires, de vulgarité bling bling, de virilité de coquelet, de soif effrénée d’argent, de libéralisme économique mal enrobé d’intentions régulatrices après la crise financière de 2008. Il faut revoir les images de l’époque pour savoir que, de ce style, nous sommes sortis, avec François Hollande. On peut ne pas aimer sa politique, trouver l’homme sous-dimensionné par rapport à la fonction, le juger engoncé dans ses costumes pas trop bien taillés – mais il a redonné une certaine dignité à la magistrature suprême en dépit de sa bonhomie naturelle, de quelques bévues monumentales de communication, et de la cruauté des éléments naturels qui se déchaînent à plaisir dès qu’il tient cérémonie publique.
Même Manuel Valls en Camargue, avec ses clins d’œil appuyés au story-telling de Sarkozy et son symbolisme lourdingue emprunté au monde de la tauromachie, est loin du compte de ce que nous avons subi de 2007 à 2012, bien qu’il s’efforce d’avoir l’air aussi mauvais que son modèle inavoué. J’ai trop lu le grand historien de l’Antiquité tardive, Peter Brown, pour ne pas accorder d’importance à ce que nous dit le « style de commandement » privilégié par les acteurs du pouvoir ou l’époque. Et le « style » du hollandisme est beaucoup moins « national-libéral » que celui du sarkozysme…
Le concept de national-libéralisme désigne la combinatoire entre la globalisation des marchés et l’universalisation de l’Etat-nation – une combinatoire dont différentes formes de rétraction identitaire ont été les expressions politiques paradoxales depuis le XIXe siècle.
Nicolas Sarkozy a été un national-libéral conséquent : libéral pour les riches, national pour les pauvres. Faute d’avoir jugulé la finance globale, dont il a été un fondé de pouvoir, il a flatté les bas instincts de la nation pour essayer de se faire réélire. Mais n’allons pas croire qu’en ayant supprimé le symptôme nous sommes guéris de la maladie national-libérale. Et rien ne dit que le bon docteur Hollande ait fait le diagnostic juste des maux qui rongent la société française, tant la gauche socialiste a contribué, depuis les années 1980, à l’instauration de ce mode de domination politique, quitte à essayer de lui donner un « visage humain ».
Ce recueil de croquis politiques, souvent acerbes, en débat avec ironie, passant de la micro-ethnologie d’un quartier de Paris à l’étude des pratiques d’exclusion ethnoconfessionnelle dans la République française, de l’analyse du new public management de la recherche et de l’université à la critique de la politique étrangère de Nicolas Sarkozy en Afrique, dans le Bassin méditerranéen et au Moyen-Orient.
(Présentation de l’éditeur)
Jean-François Bayart, directeur de recherche au CNRS (SciencesPo-CERI), est un spécialiste internationalement reconnu de sociologie historique comparée du politique. Il est notamment l’auteur de L’Etat en Afrique. La politique du ventre (1989), de L’Illusion identitaire (1996), de Le Gouvernement du monde. Une critique politique de la globalisation (2004) et de L’Islam républicain. Ankara, Téhéran, Dakar (2010). Il a publié en 2010, dans cette même collection, Les études postcoloniales, un carnaval académique.