Jean-Claude Bonne : Anlasman

— Par Fernand Tiburce Fortuné —
Le lieu, La Fontane des distingués bals Ti-Tane des Mardi-Gras, somptueux, magique et accueillant était idéal pour organiser ce que Jean-Claude Bonne préfère appeler une réunion d’amis qu’une exposition, qui viendra plus tard.
Il y avait du beau monde pour admirer les nombreuses figurines qui illustraient le retour aux « Anlasman ». Ils étaient là aussi pour admirer cette autre facette de la créativité de JCB, qui pour l’occasion s’et transformé en potier.
JCB continue tranquillement son travail d’artiste. Il est passionné par la création artistique, il est plongé corps et âme dans une recherche esthétique personnelle et son œuvre, déjà importante ne laisse pas indifférente une bonne partie des amateurs d’arts martiniquais ou d’autres qui vivent en Martinique. Même si JCB n’est pas toujours mis en valeur dans la presse diverse et les institutions idoines, son œuvre n’est pas pour autant confidentielle.

Son travail actuel est une confession intime. Il nous exprime la douleur vécue pendant la pandémie. La distanciation lui a paru insupportable en ce qu’elle éloignait les corps, supprimait le toucher, l’essentiel de la relation, nous faisait oublier que les corps sont présence et amour.

Voici le texte que j’ai prononcé le 29/11/2023 à la Fontane.

Monsieur l’Artiste !
Mesdames, Messieurs
JCB nous indique par ces nouvelles œuvres que le corps est présence au monde, que le corps donne et accueille ce qu’il y a de plus vivant en nous, qu’il est le lieu même de toutes les relations, l’ancrage du vivre-ensemble.
C’est pourquoi il est bon, ce jour, de le rappeler, car la pandémie, avec ses injonctions et sanctions de toutes sortes, a tenté de nous le faire oublier.
Se méfier de son corps, ne pas voir celui de l’autre en face, en avoir peur comme de la mort. Voici résumé le dessein de ceux qui étaient à l’œuvre.
Oublier son corps, s’éloigner des autres pour laisser place à la distanciation. Distanciation sociale. Ceux qui nous ont imposé cette terrible formule l’ont fait tout naturellement, car ils vivent en permanence dans la distanciation sociale. Donc, ils ont déposé dans nos esprits, à la fois la distanciation sociale qui est leur mode de penser habituel, et la distanciation physique qui nous a concernés au premier chef. La charge mentale fut énorme, le poids sur nos épaules fut considérable. Il nous a fallu tourner le dos à notre corps, voire le rejeter comme son propre ennemi.
Plus de corps, interdiction de l’analyse contradictoire, annihilation de l’esprit critique, pour nous conduire plus facilement, la peur au ventre, vers un non-vivre ensemble ou un mal-vivre ensemble, tout cela bien ficelé et conceptualisé, car nous étions en guerre.

La pandémie fut le rejet de la chair comme beauté et ivresse. Avec la Covid, la folie amoureuse a quitté les corps qui progressivement, dans une douleur indicible, ont sombré sans souffle vers la mort. Ce n’était plus là, le halètement de ces corps entremêlés qui se perdent dans des cris reptiliens, avant de s’effondrer, heureux, repus.

Mais cette pandémie nous a laissés nos yeux – admirablement révélés par les masques – pour voir et pour comprendre, pour se comprendre et se parler. Jamais les yeux n’ont été aussi visibles grâce aux masques. Les masques, s’ils cachent un visage, une identité, une singularité n’ont pu occulter les yeux qui, aujourd’hui, sont les témoins indiscutables, qui rapportent les manques et les souffrances vécues. Les rares moments de joie aussi !

Avec « Anlasman », nous assistons à un renversement de la situation. La revanche des corps. La réunification enfin du corps et de l’esprit, disjoints pour un temps.
On imagine que le désarroi, que la colère de JCB l’ont poussé à s’évader de ce corps rendu inutile, et qu’il a habité comme une prison. L’attente a été longue et insupportable. Comme une irruption spontanée, comme une éruption violente, le geste esthétique de JCB veut changer la donne et l’oblige à revenir au devant de la scène avec un esprit novateur.

Il lui fallait donc ré-accéder à la vie sur un mode majeur. Il fallait que JCB remodèle la vie. Il abandonne collage et pinceaux pour jouer avec la vie en la pétrissant avec ses mains, certainement émues d’unir, d’embrasser, d’enlacer enfin de nouveau ces corps aimants, dociles, malléables, enthousiastes.

JCB devient un démiurge, un créateur d’humanité. La Femme et l’Homme de nouveau à l’origine du monde avec comme corolaire, l’irrésistible rencontre des corps, la nécessaire fusion des corps. Ces œuvres sont là pour témoigner la passion des corps à cœurs et le bonheur des cœurs à corps. « Anlasman » c’est le vlopé mwen doudou, murmuré dans un bel abandon.

Avec « Anlasman », on retrouve le toucher, l’effleurement, les frissons gardés en réserve, pendant la pandémie, pou si an ka. Avec « Anlasman », on revient à la poésie pour dire la bouche :

Boire
Insatiablement à ta
Bouche
Insolente de fraîcheur
Ne pas tarir la source
Et s’y couler avec délices.

Avec « Anlasman », c’est la complicité des mots retrouvés, c’est le retour à la séduction la plus « agaçante », la plus émouvante, la plus érotique. Retrouver le corps dans l’essence même de la poésie jubilatoire:

Ton corps nu est si beau.
Je le devine ce soir
Plus voluptueux encore.
Tu m’attends.
Je me penche sur toi,
Sur ce si joli petit ventre pour
Parcourir chaque parcelle de ta chair
De baisers qui l’effleurent à peine.
Juste ce qu’il faut de douceur câline.
Ne pas rester en lisière du bonheur,
Mais aller le chercher
Au fond même de tes yeux
Qui n’en peuvent de briller,
Au cœur même de ta joie ».

Et Joseph Polius, un poète lamentinois est allé plus loin encore dans l’ « Anlasman », en s’inclinant ainsi devant elle :

Femme
Je te salue
Pour la somptueuse déraison
Que tu jettes
Au ventre des Hommes

Pour conclure, je confirme que « Anlasman » est bien la « Création du Monde » de Jean-Claude BONNE !

Depuis toujours, il y a eu des enlacements dans l’œuvre et le travail de JCB. Il magnifiait ce qui était beau dans la rencontre. Mais ici, nous sommes à un niveau de réflexion autre. Il s’agit de la vie, il s’agit de ré-enchanter la vie en pétrissant la glèbe première. Il s’agit de profiter de l’occasion de ce retour à la vie et à l’échange confiant, pour revisiter notre vivre-ensemble martiniquais.
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Dans ce lieu magique, où évoluent ses œuvres, il y a ceux qui vont fermer les yeux pour goûter, se souvenir et se dire : « J’enlace, donc je suis ». D’autres fermeront les yeux pour ne pas voir « ça ». Ceux-là ne sont pas encore revenus à la vie, ou alors, ils ne l’ont vécue que comme une routine quotidienne. Ceux-là n’ont pas compris que la vie, c’est aussi la relation-passion-enlacements, et non pas juste un passage sur terre.

Merci JCB.

ANLASMAN
29-11-2023
La Fontane
Fort de France
Martinique

Fernand Tiburce FORTUNE
Ducos
Le 27/11/2023

Publications de Jean-Claude Bonne