Avec « Perdre son sac » puis « Ranger », Pascal Rambert met en scène deux de ses textes qui parlent chacun d’amour et de désespoir, avec deux comédiens au bon tempo.
— Par Gérald Rossi —
Avec « Perdre son sac » puis « Ranger », Pascal Rambert met en scène deux de ses textes qui parlent chacun d’amour et de désespoir, avec deux comédiens au bon tempo.
Face public, au centre d’une immense bâche de plastique bleu, elle parle, se raconte, dit ses espoirs et ses colères. Surtout ses colères. Elle ne quitte guère un espace limité, une planche carrée, d’un mètre de coté seulement, ou d’à peine un peu plus, qui résonne, qui claque, sous les talons de ses bottines. Avec son « bac plus cinq » comme elle le répète, elle lave des vitrines, enfin celles des commerces qui veulent bien payer quelques euros en échange. Jeune fille, sans doute venue de loin, elle survit. Voyage aussi avec son père. Avec qui elle partage plus de rancoeur, de haine même que d’amour, puis elle tombe amoureuse folle de Sandrine, une des vendeuses d’un magasin de cosmétiques.
Dans « Perdre son sac » tout cela défile dans le désordre, dans un tourbillon, une débauche de passions. Lyna Khoudri, seule sur cette scène, entourée d’une poussette à provisions, et de tout un attirail de ménage, raclettes, sceau, chiffons… interprète avec fougue passion, désespoir et sensibilité l’étrange texte de Pascal Rambert, à qui l’on doit aussi la mise en scène.
C’est lui aussi qui a écrit pour Jacques Weber « Ranger ». La mise en scène est plus complexe, avec une chambre d’hôtel grandeur nature, qui occupe tout le plateau parisien des Bouffes du nord. Un univers très futuriste, tout de meubles et de murs blanc et d’acier brillant, dans lequel il soliloque autour de l’amour mort, de l’Asie et de la Chine. Des thèmes éloignées et proches à la fois dans ce théâtre parisien des Bouffes du nord, créé en 1876, fermé en 1952 et quasi oublié, puis, réouvert en 1974 par Peter Brook et Micheline Rozan, conservé dans son jus, et finalement classé monument historique en 1993.
« Ranger » est l’histoire d’un homme qui classerait sa vie, son histoire propre avant d’en finir avec l’existence. Il est presque vieux maintenant, passé les 70 ans, mais surtout il est seul. Auteur à succès reconnu dans le petit monde des stratégies internationales, il évoque son passé, et surtout son amour, la femme avec qui il a partagé un demi siècle. Ce n’est pas vraiment au public qu’il parle, mais à elle ou plus précisément à sa photo. Cette femme dont on ne saura pas le nom est morte depuis un ans.
Avec des traces d’humour, sous une lumière crue, blanche, blafarde, agressive, qui pique méchamment les yeux, Jacques Weber est cet homme. Entre le lit, la table, le bar réfrigéré, la vue imprenable dont il n’a que faire, avec quelques accessoires comme une gerbe de roses ou un petit ours en peluche, il fait partager son intimité, la vie de celui qui n’a jamais imaginé vivre seul. Il le joue avec tendresse, angoisse, et assez de retenue aussi pour que l’on soit pris dans les mailles de la toile qu’il tisse. Sobre (façon de dire) ou égaré. Pas de pleurnicherie au coin du lavabo pourtant. Juste le souvenir, aussi des regrets, forcément éternels. Et l’on sort de cet étrange moment assez remué, avec encore au creux de l’oreille ou de l’estomac la toute dernière réplique : « et puis je tai aimé, ce n’est déjà pas si mal ».
Jusqu’au 18 février aux Bouffes du Nord, Paris 10e, téléphone, 01 46 07 34 50. Ranger est ensuite en tournée : 24 février Pully en Suisse; 18 mars Marciac; 21 et 22 Pau; 24 Agen; Du 28 au 31 Béthune; 6 avril Villefranche; 13 avril Redon…
Source : L’Humanité