Refus du passé colonial, gêne des antiracistes… En France, on a du mal avec le mot « noir ».
— Par Jadine Labbé Pacheco —
Oumou, 20 ans, a un joli visage aux traits fins. D’origine sénégalaise et mauritanienne, la jeune femme est mannequin. Sa famille vit en France depuis deux générations.
C’est en mettant un pied dans l’univers de la mode qu’elle est confrontée pour la première fois au terme « black ». Dans son entourage proche, personne ne l’emploie. Elle rectifie :
« Je suis noire, pas black. »
Elle l’a entendu depuis, « des centaines de fois ».
« Souvent, pendant des castings, on me dit qu’on recherche des Blacks ou qu’au contraire je suis trop black. Ils pensent bien faire. »
Patiente, Oumou répond toujours poliment qu’elle est noire. Pas « black ». Elle reçoit des excuses à chaque fois.
« Il y a des Noirs en France »
Pour Louis-George Tin, ancien élève de l’Ecole normale supérieure (ENS), professeur de littérature à l’université d’Orléans et président du Conseil représentatif des associations noires de France (Cran), il subsiste un malaise autour du terme « noir ».
Un héritage direct de la traite négrière, reconnue crime contre l’humanité depuis la loi Taubira adoptée en 2001.
Au téléphone, Louis-George Tin nous dit :
« La France a commis un crime contre l’humanité contre les Noirs. Un crime commencé à la fin du XVe siècle et qui a duré quatre siècles. Et en même temps, la France se veut la patrie des droits de l’homme… »
Pour le président du Cran, dire « black » reflète un malaise vis-à-vis de ce passé colonial. L’association, fondée en 2005, revendique l’utilisation du terme « noir » en France.
« Les mots sont importants. Il y a des Noirs en France. Il faut en parler et les désigner. C’est simple : ça tient en quatre lettres. Noir, N-O-I-R. »
Selon Louis-George Tin, les antiracistes n’osent pas non plus employer le terme « noir »… de peur d’être catalogués de racistes.
« Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, il n’y a plus de races. Donc il n’y a plus de race noire. Donc on ne parle plus de ‘Noirs’. »
Antiracisme d’indivisibilité
L’historien François Durpaire, auteur de l’ouvrage « France blanche, colère noire », l’affirme : cet antiracisme est un « antiracisme d’indivisibilité ». Selon l’article 1 de la Constitution française du 4 octobre 1958, « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Notre égalité passe donc par « l’indivisibilité des personnes », et non par un « antiracisme de reconnaissance ».
« En France, on prétend ne pas voir la couleur de l’autre car il ne faut pas accentuer ses différences. »
Aussi, il rejoint l’avis du président du Cran là-dessus, cet embarras face au mot « noir » est lié à une absence de travail sur le passé colonial et sur son vocabulaire. Un pan de l’histoire complètement occulté « par rapport à l’histoire telle qu’elle est présentée au sein de notre société diverse ».
« Si vous demandez aux passants dans la rue de vous parler d’histoire, ils vous citeront Napoléon ou Louis XIV. Une histoire principalement monarchique. »
Bien sûr, « il ne s’agit pas de jeter Jeanne d’Arc dans les orties », précise l’historien. Mais « tant qu’il y aura tous ces angles morts, on s’interdit de penser la société telle qu’elle est aujourd’hui ».
« L’enjeu serait de reconnaître l’autre sans néanmoins le réduire à cette différence. Car dire ‘noir’ ne doit pas être le prétexte pour racialiser à toutes les sauces. »
Black, une histoire non française
La dénomination « black » est empruntée aux anglo-saxons. « Un terme souvent destiné à euphémiser le terme noir », souligne François Durpaire. Alors qu’à l’inverse, aux Etats-Unis, le terme « black » est politique, revendicatif et puissant….
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