Vendredi 18 mars au samedi 02 Avril
— Par Fernand Tiburce Fortuné * —
Centre Auto, Place d’Armes au Lamentin Martinique
Cette exposition de Jean-Claude Bonne (JCB) nous donne à voir des femmes. Non pas que le thème de la femme ait été absent de son œuvre depuis longtemps, mais ici, il la donne toute, la dévoile, en fait une véritable statue, et le symbole du siècle, qui l’a rehaussée à l’égalité, à la fraternité, à la liberté, après ses combats, ses défaites et ses victoires, enfin.
Nous entrons, grâce à ses œuvres, si caractéristiques qui définitivement portent l’empreinte de Jean-Claude (son graphisme unique, ses couleurs et surtout cette ligne dans laquelle il a créé son mythe féminin), dans une sorte de mémorial, qui nécessairement fait remonter dans notre inconscient l’histoire de leurs luttes, et en même temps dans une actualité gourmande de liberté et d’expression de cette même liberté à travers les corps libérés, les corps que l’on montre, les corps que l’on cache pour mieux les révéler, comme pour dire : « me voici, me voilà, j’existe ! ».
L’actualité aussi, c’est l’affirmation de soi dans la modernité de l’habillement clin-d’oeil, de la « chaussure-je sors », du « sac-je-suis-au –top », qui parlent, qui affichent cette liberté, même l’arrogante force de cette liberté, qui s’impose dans les couleurs, les formes, les attitudes, les choix, l’audace, les pauses et postures. Et tout cela dans une parole invisible et pourtant audible.
Voir, regarder, entendre.
Car JCB, dans ses derniers tableaux ne nous fait pas partager seulement son sens de la création et son éternel bonheur dans l’émerveillement. Il fait voguer notre esprit et demande notre assentiment sur l’idée générale qui parcourt l’exposition, c’est–à-dire, comprendre ces femmes qui disent « JE SUIS ».
Voir.
D’abord, comme du déjà vu. C’est JCB, sa peinture, son style, ses vibrations arc-en-ciel, ses femmes protéiformes baignées dans une sorte d’érotisme conquérant. La qualité de l’encadrement. Puis la surprise, dans la conception des œuvres, la matière est davantage présente et le collage est plus affiché que jamais. Puis, progressivement, on sent, on voit qu’il y a derrière ces coups de pinceaux, un projet qui se révèle peu à peu. Enfin, plus le temps passe, plus ces toiles racontent une histoire. Une histoire de femmes.
Regarder.
S’approcher des œuvres, aller vers l’éblouissement. Regarder encore. Elles ne nous voient pas. Yeux absents, têtes absentes. Et plonger dans le cœur de ces femmes, dont la tête est ailleurs et partout à la fois, c’est penser que cette absence – au sein du projet universel de l’artiste- est une façon pour lui de la rehausser au niveau d’une fraternité élargie, universelle, apaisée et de leur reconnaître leur vraie place parmi nous. Ici, la femme n’est pas l’icône chargée de séduction. Elle n’est pas là pour plaire, mais pour exister.
Ecouter aussi.
« Le plus souvent, dans ma vie, j’ai écouté les hommes parler, me confier ce en quoi ils croyaient, ce qu’ils n’aimaient pas; ce qu’ils avaient réalisé ou planifié et comment. J’étais autorisée à écouter, mais je ne devais pas faire de commentaires ou émettre mon opinion et je m’en accommodais. J’étais dans le secret de leurs rêves et je savais comment ils s’y prendraient pour les réaliser. Ils m’ont toujours parlé. Je me posai la question de savoir si les hommes avaient jamais pensé que je pouvais ajouter une idée importante à tous leurs projets, leurs rêves, leurs opinions; et s’ils n’y avaient pas pensé, pourquoi, alors, s’adressaient-ils malgré tout à moi ? »
(Elieshi Lema, Parched Earth, A love story-Tanzanie, 2001)
Totalement en contradiction avec ce texte (à paraître en français), JCB introduit (mais en réalité confirme avec éclat) dans l’œuvre de ce jour une révolution, car il se met à nu, donne son opinion, livre sa pensée sans retenue, clame là, une belle philosophie au service des femmes. Ces tableaux sont à eux seuls une pawol majeure qu’il fait écouter, qu’il sait faire écouter.
Ecouter les femmes, c’est se frotter l’esprit contre l’esprit, à égalité, et non pas opposer intelligence à intuition.
Les femmes ici, sont parmi nous, dans le monde, visibles, actives, créatrices, plongées dans l’air du temps, sérieuses, sexy, quotidiennes, érotiques, responsables d’elles–mêmes, de nous et du monde. Les écouter, vivre avec elles un projet partagé, c’est goûter en profondeur au bonheur d’exister à côté d’elles.
Voici pourquoi, l’émotion toute naturelle qui nous saisit avec ce triptyque, voir, regarder, écouter est, anmizi anmizi, remplacée par la réflexion et la force de l’esprit qui veulent saisir, dans une vision globale, à la fois le dit de l’artiste et le sillon profond tracé par le pinceau qui y féconde les certitudes de JCB. Réflexion et force de l’esprit qui poussent l’encadreur, enveloppée dans la poésie et la vérité de la toile, à accompagner au meilleur niveau possible l’acte de création premier. Ce faisant, l’encadreur y imprime sa propre passion, pour nous rendre l’œuvre encore plus belle et sa lecture plus accessible. Puis, bien que consubstantiellement présente à l’œuvre et en fusion avec le projet, elle s’effacera devant le geste plastique de JCB.
Car, il faut, pour que les cadres soient si uniques pour chaque toile, si appropriée à chaque idée exprimée sur la toile que l’artisan, elle aussi, en accord avec JCB, ait rejeté ce que l’on peut lire dans le même ouvrage déjà cité.
« J’ai observé que quand les femmes se rencontrent pour parler entre elles, les hommes s’invitent dans la conversation et leur racontent des choses invraisemblables. Ils jugent ce qui est bon pour elles et produisent des idées que les femmes intériorisent. Ils créent pour elles une vie sur mesure dans laquelle elles doivent se fondre et se trouver pleinement satisfaites et tout cela fait que les femmes s’accrochent aux hommes. Je suppose que c’est ainsi que la voix des femmes est assassinée, en douceur, si bien qu’elles sont plus tard sans résistance, n’émettent aucune récrimination quand elles se retrouvent devant les hommes, bâillonnées ».
Nos femmes, les femmes symboles et guerrières de JCB, ont déjà relevé mille défis et ont su nous imposer la parole partagée.
« Elles on tissé des rêves autour de leur vie. Elles ont vécu ces rêves. Les plus courageuses d’entre elles, « les scandaleuses », se sont lancées timidement sur la scène de la vie dominée par les hommes. Et puis il y a celles qui ont cherché, avec audace et détermination un espace de liberté plus largement ouvert sur d’autres vies, celles-là, ont été cataloguées de déviantes, voire de folles ».(ouvrage cité)
Avec ses lignes, ses couleurs, ses collages, sa créativité, son sens du dessin, son art d’entrelacer les corps et les lignes du corps, avec sa volonté de nous montrer des femmes, conquérantes, sûres d’elles-mêmes, heureuses d’épouser l’air du temps, JCB nous lance un message, expose un dessein, ouvre une voie pour le Pays-Martinique. Les femmes ont eu raison, contre nous, les hommes, voire contre certaines d’entre elles, de nous pousser à la raison, voire de nous imposer comme normale, comme toute simple, comme naturelle, la relation d’égalité et de respect mutuel des deux sexes.
* Fernand Tiburce FORTUNE
Ancien Président du Groupe de plasticiens Fwomajé
Ducos, le 12 janvier 2016
Martinique