Delphine Horvilleur, qui est rabbin, ne manque pas de critiquer le patriarcat au sein de la tradition juive. Elle s’interroge ici sur le discours de certaines femmes.
Le scénario est connu et trouve fréquemment le chemin des plateaux télés. Une femme à la tête couverte, généralement élégante, cultivée et se disant «féministe», est invitée à témoigner devant un homme politique, un journaliste ou un intellectuel. Ses arguments sont le plus souvent ainsi énoncés: «Je choisis librement de me voiler. Mon droit est bafoué par une société qui décide à ma place que mon voile est un étendard dont je devrais me justifier.»
Cette femme dit « JE », et pourtant il y a comme un malentendu: y résonne étrangement le «NOUS» de revendications communautaires, la voix de groupes identitaires qui s’abritent derrière l’histoire individuelle. Tel est un des effets du communautarisme sur notre société: les groupes d’appartenance remplacent les individus, les identités collectives réclament des droits qui revenaient jusqu’alors seulement aux personnes. Et soudain, la triste règle du JE est que l’individu parle au pluriel même quand il parle au singulier.
Dans ce contexte, le débat sur le voile fait marcher la laïcité sur la tête. On y suggère que c’est elle qui empêche des femmes (ou des hommes) de dire JE, et d’être des sujets pleinement aux commandes de leur existence, des individus capables de décisions autonomes, alors que c’est justement cette laïcité qui offre à l’origine cette possibilité de dire «JE». C’est elle qui garantit la possibilité, quelles que soit les croyances d’un individu, ses ancrages ou sa culture, d’exister et de parler dans l’espace public, sans pression d’un NOUS collectif, qui imposerait les codes ou les dogmes d’un «groupe» d’appartenance.
Le scénario est connu et trouve fréquemment le chemin des plateaux télés. Une femme à la tête couverte, généralement élégante, cultivée et se disant «féministe», est invitée à témoigner devant un homme politique, un journaliste ou un intellectuel. Ses arguments sont le plus souvent ainsi énoncés: «Je choisis librement de me voiler. Mon droit est bafoué par une société qui décide à ma place que mon voile est un étendard dont je devrais me justifier.»
Cette femme dit « JE », et pourtant il y a comme un malentendu: y résonne étrangement le «NOUS» de revendications communautaires, la voix de groupes identitaires qui s’abritent derrière l’histoire individuelle. Tel est un des effets du communautarisme sur notre société: les groupes d’appartenance remplacent les individus, les identités collectives réclament des droits qui revenaient jusqu’alors seulement aux personnes. Et soudain, la triste règle du JE est que l’individu parle au pluriel même quand il parle au singulier.
Dans ce contexte, le débat sur le voile fait marcher la laïcité sur la tête. On y suggère que c’est elle qui empêche des femmes (ou des hommes) de dire JE, et d’être des sujets pleinement aux commandes de leur existence, des individus capables de décisions autonomes, alors que c’est justement cette laïcité qui offre à l’origine cette possibilité de dire «JE». C’est elle qui garantit la possibilité, quelles que soit les croyances d’un individu, ses ancrages ou sa culture, d’exister et de parler dans l’espace public, sans pression d’un NOUS collectif, qui imposerait les codes ou les dogmes d’un «groupe» d’appartenance.
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Ces femmes qui disent légitimement «Je suis un sujet de plein droit, autonome et souverain dans sa décision» ont raison de l’affirmer mais elles oublient de dire qu’elles le sont grâce à la République… et sûrement pas grâce aux interprètes traditionnels de leur tradition religieuse, qui précisément leur nient cette possibilité, et font toujours du féminin le genre de la dépendance, de l’éclipse ou de la soumission.
Elles oublient de rappeler qu’aujourd’hui encore, bien des femmes sont menacées par les traditions religieuses, précisément quand elles essaient d’exercer cette autonomie de sujet, et que dès lors, le «féminisme» qu’elles revendiquent les engage, notamment à reconnaître que certains vêtements ou certains rites sont «chargés» de la douleur de celles à qui on dénie ce statut d’individu souverain.
La liberté de sujet que ces femmes revendiquent les oblige, comme elle oblige chacun d’entre nous, à exiger que d’autres y accèdent. Ne pas le reconnaître est un refus de responsabilité.
Voilà ce qui continue de m’étonner quand j’entends ce discours «féministe religieux»: il exige de la République ce qu’on n’entend pas ces femmes exiger de la pensée religieuse, à savoir la possibilité d’y être entendues et autonomes, en possession de leur corps, sujets dans la discussion et pas sujets de discussion, capables d’interpréter le texte et de condamner la violence exercée en son nom contre les femmes…
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