Jandira de Jesus Bauer précise dans un entretien à Madinin’Art le pourquoi et le comment de la pièce de Koffi Kwahulé qu’elle monte ici en Martinique pour la première fois.
Roland Sabra : Jandira Bauer vous êtes de retour parmi nous pour honorer ce dicton qui dit que la Martinique est l’ile des revenants, avec une nouvelle pièce de théâtre que vous nous présentez :
Jandira Bauer : Oui il s’agit de Jaz de Koffi Kwahulé un texte écrit en 1998
R.S. : Nous connaissons bien l’auteur qui a été monté plusieurs fois ici en Martinique à Tropiques-Atrium notamment par Hassane Kassi Kouyaté. Qu’est qui a motivé ce choix ?
J.B. : C’est le résultat de tout un travail, plus précisément d’une exigence personnelle de recherche d’une densité textuelle pas toujours évidente à trouver, et d’un défi à relever. Alors que j’avais déjà travaillé sur des textes de cet auteur au cours des 18 ans passés j’ ai découvert un peu par hasard ce texte il n’y a pas si longtemps. Je l’ai lu un soir et le lendemain au réveil un impératif s’est fait jour. Je devais monter Jaz. Je ne sais pas vraiment pourquoi mais je sais que je devais monter Jaz.
R.S. : j’ai du mal à vous croire quand vous dites que ce choix relève un peu du hasard ! Si je reprends quelques unes de vos dernières créations qu’il s’agisse de « Madame Marguerite », des « Bonnes », de « Psychose 4.48 », d’ « Agôn », des « Pleurnicheurs », « Du vieux qui lisait des romans d’amour » on est assez loin du comique de boulevard.
J.B. : Oui, je ne cherche pas la facilité. Je suis fascinée par la force d’un texte, son caractère polysémique, voire énigmatique. Qu’est-ce qu’un texte peut me dire d’autre que ce que les précédents m’ont dit ? En quoi sa nouveauté, sa richesse, me dérange-t-elle ? Quelles difficultés vais-je avoir à surmonter pour le mettre en scène.
R.S. : Au delà du dérangement n’y-a-t-il pas un attrait pour la dimension parfois scandaleuse d’un texte ?
J.B. : Le vrai scandale n’est-il pas dans les conditions d’existence qui sont réservées à des centaines et des centaines de millions d’hommes et plus encore de femmes. Mes choix théâtraux vont vers des textes qui donnent voix aux exclus, à la folie qui les guette, à la solitude infinie qui les cerne, à la détresse qui les oppresse. Dans Jaz de Koffi Kwahulé il s’agit d’une femme, Jaz , qui vit dans un appartement tellement délabré qu’il n’y a plus d’accès aux toilettes et elle a du apprendre à dompter son corps pour se soulager à heures régulières, le matin, dans une sanisette en face de l’immeuble. Un dimanche matin, à l’heure de la messe, au moment ou elle va pénétrer dans la sanisette, un homme, un voisin, surgit derrière elle, la pousse à l’intérieur et la viole. Le crime détermine un avant et un après qui va la hanter. C’est une histoire violente, dense, déchirante. Où est le scandale ? Dans l’acte lui-même ou dans le texte le dénonce ? Mettre des mots sur l’innommable pour ne pas tomber dans la folie, voilà ce que Jaz va tenter de faire. La parole pour Jaz est une bouée de sauvetage.
R.S. : Koffi Kwahulé dit avoir écrit ce texte comme un automate. Le texte s’imposait de lui-même, venu d’un ailleurs indiscernable. Quel est votre parti-pris comme metteur en scène pour monter ce texte superbe, d’une telle force, d’une telle puissance ?
J.B. : Je me suis fixé comme objectif de faire en sorte que le récit de cette histoire individuelle, celle d’une femme violée dépasse le cadre de l’événement. Le viol n’est pas seulement une arme de guerre, c’est une pratique sociale largement répandue. Le récit de Jaz concerne des millions de femmes, de toutes conditions, de tous âges, de tous pays. Comme femme je suis juge et partie, mais comme artiste femme j’évite tout pathos, toute dramatisation, je m ‘efforce, au plus près du texte de Koffi Kwahulé de parler d’ une menace et d’un fait qui concernent toutes les femmes. Ce n’est pas parce que Jaz est pauvre et qu’elle doit sortir de chez elle pour se soulager qu’elle a été violée. C’est parce qu’elle est une femme, c’est-à dire une victime potentielle de l’ordre masculin. Je demande à ma comédienne, Jann Beaudry d’avoir cela constamment en tête. Une façon d’être la plus fidèle au texte de Kwahulé.
Jaz fait le récit de son drame, elle passe par tous les états de son traumatisme, et la violence de l’acte dont elle a été victime lui revient comme un boomerang lorsque la plainte qu’elle dépose est banalisée : une ordinaire main courante.
R.S. : A propos de fidélité au texte, vous avez fait preuve dans le passé d’une certaine liberté en ce domaine. Qu’en est-il cette fois-ci.
J.B. : je suis de la plus grande sagesse, impressionnée par sa structure, sa force et sa beauté. Le texte est là. En entier. Sans coupe. Sans modification. Sans déplacement.
R.S. : Ce travail que vous présentez autour de la thématique de la violence faite aux femmes comment est-il reçu ici en Martinique ?
J.B. : Connaissant l’important travail fait par des féministes en Martinique depuis des années il était impensable pour moi ne ne pas prendre contact avec les associations qui les représentent. Je travaille dés le départ en partenariat avec Culture Égalité, je répète à l’Oeuf une maison d’artiste à Fort-de-France.