— Par Hélène Lemoine —
James Earl Jones, l’une des voix les plus emblématiques de l’histoire du cinéma, s’est éteint le 9 septembre 2024 à l’âge de 93 ans, dans sa maison du comté de Dutchess, New York. Né le 17 janvier 1931 à Arkabutla, Mississippi, il a laissé derrière lui un héritage colossal marqué par plus de soixante ans de carrière dans le cinéma, la télévision et surtout au théâtre. Acteur aux talents multiples, il est mondialement connu pour avoir prêté sa voix à Dark Vador dans la saga Star Wars, ainsi qu’à Mufasa dans Le Roi Lion.
Une enfance difficile et un destin peu probable
Rien ne semblait prédestiner le jeune James Earl Jones à devenir l’une des figures les plus marquantes du paysage artistique américain. Fils de Robert Earl Jones, acteur et boxeur, et de Ruth Connolly, une enseignante, James est né dans un contexte difficile marqué par la ségrégation raciale du sud des États-Unis. Abandonné par son père peu après sa naissance, il grandit dans la ferme de ses grands-parents maternels dans le Michigan. C’est là que l’une des batailles les plus ardues de sa vie commence : le bégaiement. Traumatisé par son adoption et les changements dans sa vie familiale, il perd complètement l’usage de la parole à l’âge de cinq ans.
Son mutisme, qui durera huit ans, aurait pu lui fermer de nombreuses portes. Cependant, c’est grâce à la persévérance de l’un de ses professeurs, Donald Crouch, qu’il parvient à retrouver sa voix. Ce dernier remarque le potentiel de Jones pour la poésie et lui demande de réciter des vers à haute voix chaque jour en classe. Progressivement, James surmonte son handicap, transformant cette faiblesse en l’une des plus puissantes armes de sa carrière.
Une éducation diversifiée et des débuts modestes
Malgré ses difficultés initiales à parler, Jones brille à l’école. Après avoir terminé ses études secondaires, il rejoint l’Université du Michigan avec l’intention de devenir médecin. Cependant, ses expériences dans l’armée, qu’il a rejoint via le Reserve Officers’ Training Corps (ROTC), et son amour croissant pour le théâtre le conduisent à abandonner la médecine pour se consacrer pleinement à l’art dramatique. Son passage dans l’armée durant la guerre de Corée lui permet d’accéder au rang de lieutenant, mais il quitte rapidement la carrière militaire pour tenter sa chance sur scène à New York.
En 1955, il obtient son diplôme universitaire et déménage à New York pour suivre des cours à l’American Theatre Wing. Dans cette métropole artistique, ses débuts sont modestes. Travaillant la nuit comme concierge pour subvenir à ses besoins, il nettoie des toilettes pendant que le jour, il poursuit son rêve de devenir acteur. James Earl Jones fait ses premiers pas sur les planches à Broadway en 1958 dans *Sunrise at Campobello*, une pièce sur Franklin D. Roosevelt. Ce n’est qu’un début, mais son talent ne tarde pas à attirer l’attention.
La consécration théâtrale et l’éclosion au cinéma
Les années 1960 marquent l’ascension de Jones sur les planches de Broadway. Il devient une figure centrale du théâtre américain en remportant en 1969 son premier Tony Award pour son rôle dans *The Great White Hope*. Cette pièce, dans laquelle il incarne Jack Jefferson, un boxeur afro-américain inspiré de la vie de Jack Johnson, premier champion du monde poids lourd noir, lui vaut une reconnaissance nationale et internationale. L’année suivante, la pièce est adaptée au cinéma sous le titre *L’Insurgé* et lui vaut une nomination à l’Oscar du meilleur acteur, une première pour un acteur afro-américain depuis plus de vingt ans. Sa performance puissante et nuancée dans ce rôle ouvre la voie à une carrière cinématographique prolifique.
En parallèle, Jones fait ses premiers pas au cinéma sous la direction du légendaire Stanley Kubrick dans Docteur Folamour (1964), où il interprète un jeune officier militaire à bord d’un bombardier B-52. Ce rôle mineur est le début d’une longue série d’apparitions marquantes au cinéma, bien que ce soit véritablement sa voix, plutôt que son visage, qui laissera une empreinte indélébile sur la culture populaire.
Dark Vador et l’immortalité cinématographique
En 1977, George Lucas, le créateur de Star Wars, cherche une voix pour donner vie au personnage de Dark Vador, l’antagoniste principal de la saga intergalactique. Lucas avait d’abord pensé à Orson Welles, mais s’était finalement tourné vers James Earl Jones pour incarner la voix du Seigneur Sith. Le rôle de Dark Vador, considéré comme l’un des méchants les plus iconiques de l’histoire du cinéma, propulse Jones dans une autre dimension.
Jones, pourtant modeste, a d’abord refusé d’être crédité au générique des premiers films Star Wars, considérant que son rôle se limitait à un effet sonore, tandis que l’acteur David Prowse interprétait le personnage à l’écran. Mais c’est bel et bien sa voix caverneuse et puissante qui a marqué les esprits, notamment à travers la réplique immortelle : « Je suis ton père », qui reste l’une des plus célèbres de toute l’histoire du cinéma.
Au-delà de Star Wars, James Earl Jones est également connu pour avoir prêté sa voix à Mufasa, le père de Simba dans Le Roi Lion (1994), un autre rôle vocal marquant qui a touché une nouvelle génération de spectateurs. Ce double rôle de figure paternelle, aussi bien dans Star Wars que dans Le Roi Lion, renforce son image de mentor et d’autorité bienveillante.
Une carrière variée et des distinctions multiples
En plus de ses rôles dans Star Wars et Le Roi Lion, Jones a enchaîné les performances remarquables dans des films variés tels que Conan le Barbare (1982), où il interprète Thulsa Doom, un antagoniste charismatique face à Arnold Schwarzenegger, ou encore dans des films d’action comme À la poursuite d’Octobre Rouge (1990) et Jeux de guerre (1992), où il joue l’amiral Greer, mentor du héros Jack Ryan.
Jones s’est aussi distingué à la télévision. En 1991, il réalise un exploit unique en remportant deux Primetime Emmy Awards pour ses rôles dans la série Gabriel Bird et le téléfilm Heat Wave. Sa polyvalence et sa présence imposante sur scène et à l’écran lui ont valu de nombreuses récompenses, dont deux Tony Awards, un Grammy Award, un Golden Globe et un Screen Actors Guild Life Achievement Award.
En 2012, l’Académie des Oscars lui décerne un Oscar d’honneur pour l’ensemble de sa carrière, un hommage à une vie passée à captiver et inspirer des générations de spectateurs. En 2022, le Cort Theatre de Broadway est rebaptisé en son honneur, une reconnaissance ultime de son impact dans le monde du théâtre.
Une fin de carrière marquée par la rétrospection et l’adieu à Dark Vador
En vieillissant, James Earl Jones continue de travailler, mais choisit ses projets avec soin. En 2019, il reprend son rôle de Mufasa dans le remake en animation 3D du Roi Lion, et en 2021, il apparaît une dernière fois dans le rôle du roi Jaffe Joffer dans Un prince à New York 2. Cependant, en 2022, à l’âge de 91 ans, il annonce officiellement qu’il prend sa retraite du rôle de Dark Vador après avoir prêté sa voix une dernière fois dans la série Obi-Wan Kenobi. Il autorise néanmoins l’utilisation de sa voix grâce à des archives numériques pour d’éventuels futurs projets, garantissant ainsi que l’ombre de Dark Vador continuera de planer sur la galaxie cinématographique.
Un héritage indélébile
James Earl Jones a marqué à jamais l’histoire du cinéma et du théâtre. Sa voix, reconnaissable entre mille, a transcendé les écrans pour devenir un symbole de puissance et de profondeur. Sa carrière exemplaire, qui a su défier les obstacles de son enfance et les barrières raciales de l’époque, reste un modèle pour les générations d’acteurs à venir.
Sa mort a suscité une pluie d’hommages. Mark Hamill, son partenaire dans Star Wars, a réagi avec émotion en déclarant sur X : « Repose en paix papa », tandis que des figures du cinéma comme Barry Jenkins et Ava DuVernay ont salué un maître du métier. « Tu nous as donné le meilleur de toi-même », a résumé l’acteur Colman Domingo.
James Earl Jones laisse derrière lui un héritage artistique exceptionnel, une vie dédiée à l’excellence et un exemple de résilience face à l’adversité. Sa voix continuera de résonner dans les cœurs et les esprits pour les générations à venir, à travers les rôles inoubliables qu’il a incarnés. Repose en paix, maître.