Par Pierre Mercklé
La musique adoucit les mœurs, dit-on. Mais est-ce vraiment le cas de toutes les musiques ? C’est ce qu’ont sans doute voulu déterminer des hercheurs de l’université d’Utrecht (Pays-Bas), dont les conclusions viennent d’être publiées dans la prestigieuse revue de médecine américaine Pediatrics. A partir d’une étude longitudinale sur un panel de 309 adolescents, ils « démontrent » que ceux qui, au début de l’adolescence, appréciaient les genres musicaux « bruyants » ou « rebelles » (rap, rock, punk, metal, électro…) auront une plus forte tendance à développer des comportements déviants au cours de l’adolescence, tandis que ce n’est pas le cas de ceux qui préféraient des genres musicaux conventionnels (R & B, variétés commerciales) ou « intellectuels » (classique, jazz).
On peut sourire ou s’agacer de cette étude, qui semble entériner un préjugé classique contre les musiques de jeunes, dont les rythmes, les paroles et plus récemment les clips vidéo sont régulièrement accusés d’engendrer toutes sortes de problèmes comportementaux, depuis les conflits avec les parents et les difficultés scolaires jusqu’aux comportements violents ou à risque… Mais il faut bien reconnaître qu’elle s’inscrit en réalité dans une longue tradition d’entreprises scientifiques d’incrimination des musiques adolescentes particulièrement vivace, en particulier dans la psychologie expérimentale anglo-saxonne, et qui justifient d’ailleurs dans de nombreux pays l’apposition de vignettes d’avertissement sur certains disques.
Il vaut donc mieux regarder précisément les fondements de la démonstration des psychologues néerlandais. Et c’est là que le bât blesse : certes, les adolescents qui, à 12 ans, écoutaient les musiques honnies ont effectivement plus de comportements déviants à 16 ans, mais en réalité… ils en avaient déjà plus que les autres à 12 ans ! Rien ne prouve donc que la musique est la cause de la délinquance, et il faut plutôt suspecter ce qu’on appelle un « effet de structure » : les adolescents ne sont pas plus déviants parce qu’ils écoutent du rap ou du metal, mais ils ont des caractéristiques (milieu social, conditions matérielles d’existence, contexte familial…) qui peuvent expliquer à la fois leur comportement et leurs goûts musicaux, sans qu’il y ait un quelconque lien de causalité entre les deux.
Essayons de rassurer au moins les parents français : le ministère de la culture a réalisé au même moment une enquête longitudinale de grande ampleur sur les pratiques culturelles des adolescents français (dont les données sont librement disponibles en ligne), mais sur un échantillon autrement important puisque 3 900 adolescents ont été suivis pendant six ans, entre 11 ans et 17 ans. Même si cette enquête ne portait pas spécifiquement sur les comportements délinquants, elle ne fait néanmoins apparaître strictement aucune corrélation entre leurs goûts musicaux à la fin de l’école primaire et leurs performances scolaires ultérieures, au collège et au lycée : dès lors qu’on raisonne « toutes choses égales par ailleurs », c’est-à-dire en comparant les performances scolaires d’adolescents ayant des caractéristiques (familiales, sociales…) similaires, il ne subsiste aucun « effet propre » des goûts musicaux. Le seul motif d’inquiétude concernant les adolescents fans de Booba ou de Marilyn Manson, c’est l’état de leurs tympans !
Sociologue, Ecole normale supérieure de Lyon et Centre Max-Weber (blog : Pierremerckle.fr)
Pierre Mercklé
http://www.lemonde.fr/sciences/article/2013/02/14/j-aime-le-rap-je-vais-redoubler-et-devenir-delinquant_1832924_1650684.html