—- Par Selim Lander —
Se confronter à une œuvre abstraite est toujours une expérience intime. Certes, cela est vrai de tous les arts puisque ceux-ci, dès lors qu’ils nous touchent, nous font découvrir une part de nous-même que nous ignorions. Mais tandis que l’art figuratif impose d’emblée une forme et un sens, orientant fatalement notre propre perception, l’art abstrait, comme la musique, nous laisse d’emblée indécis, nous contraint à l’interprétation et cela est encore plus vrai de l’abstraction lyrique, celle pratiquée par Isabel Tronçon, que de l’abstraction géométrique.
Interpréter, ici, signifie moins décrypter l’histoire que – peut-être – raconte le tableau que d’entrer en nous-même pour chercher quels sentiments ils éveillent. Une expérience se situant quelque part entre l’introspection et la méditation voire le rêve éveillé.
À en croire Guy Mamès dont un texte accompagne l’exposition, I. Tronçon se reconnaîtrait dans la Poétique de la relation glissantienne. S’il est évidemment difficile de le vérifier sur la base de tableaux qui ne véhiculent par définition aucun message explicite, on comprend aisément qu’une artiste qui se trouve transplantée en Martinique depuis sa Normandie natale puisse être séduite par une philosophie mettant en avant sous le terme créolisation l’enrichissement inhérent au croisement des cultures.
Plus vérifiables les influences esthétiques dont se réclame l’artiste, laquelle cite Nicolas de Stael, Zao Wou Ki, des rapprochements en effet pertinents. Cela étant, comme le démontre l’exposition en cours, I. Tronçon n’a pas qu’une seule manière de peindre et l’on pourrait facilement trouver d’autres sources de son art. Comme les écrivains se nourrissent de leurs lectures, les artistes s’inspirent les uns des autres.
« Rognure de bois », la première œuvre reproduite ici fait figure d’exception dans cette exposition puisque, délaissant pour une fois la toile, I. Tronçon a peint sur des morceaux de planches irrégulièrement découpés et accolés. Au-delà de son apparente simplicité, cette œuvre qui n’est pas tout à fait un tableau donne pourtant à chercher et peut-être à s’émouvoir.
La seconde intitulée « L’entremêlement contemporain », qui a servi pour le carton d’invitation au vernissage, et qui est bien quant à elle un tableau peint sur de la toile de lin, hésite entre l’abstrait et le figuratif. Chacun essaiera peut-être de découvrir ce que l’artiste a voulu représenter et donnera, en tout état de cause, à ces formes noires la signification qu’il voudra : ville en ruine, forêt hantée, etc. Ou bien se laissera emporter par des sensations indéfinissables comme en écoutant une belle musique.
Pour une ouverture au monde, exposition à la Bibliothèque Schoelcher du 4 au 25 février 2023.