— Par Max Dorléans (GRS) —
La critique que nous formulions il y a quelques années au sujet de l’attribution par la CTM d’une subvention de 15000 € à tout jeune martiniquais (diplômé) pour venir s’installer au pays, vaut également sur le fond, pour l’attribution de terres à des jeunes dans l’agriculture.
Non pas que nous soyons, loin de là, opposés à cette attribution de terres (nous n’avons cessé, dans d’autres cadres, d’exiger de cette institution, sous Marie- Jeanne et Lise notamment, de puiser dans sa banque de terres pour en mettre à la disposition de jeunes ou pas, désirant faire de l’agriculture leur activité professionnelle), mais plus prosaïquement, il nous semble que ce type de mise à disposition risque de n’avoir pas l’effet recherché – l’autonomie alimentaire – si elle ne s’inscrit pas dans un plan global (un concept qui fâche les libéraux) visant l’intérêt général.
En effet s’il importe de produire de quoi nourrir la population, et de réduire, ce faisant, notre dépendance alimentaire, une agriculture visant prioritairement la satisfaction des besoins alimentaires de la population, ne peut pas se contenter de productions agricoles pensées individuellement et déconnectées du choix d’autres agriculteur/trices, c’est-à-dire sur la base de choix strictement personnels visant l’intérêt individuel. C’est malheureusement la direction prise.
Car « relancer la production locale et atteindre l’autonomie alimentaire » comme l’indique Letchimy, c’est à dire viser la satisfaction des besoins alimentaires essentiels, et donc produire pour la consommation alimentaire locale n’a de sens – et ne s’inscrit dans la réduction de notre dépendance alimentaire – que si d’une part la production elle-même est déterminée par les besoins alimentaires arrêtés par la population elle-même, et que si d’autre part, elle est adossée à un schéma global, à un plan général dans lequel, la production de chacun se réalise en fonction des besoins de la population déterminés collectivement. Et non en fonction du marché !
Ce qui signifie que le modèle économique pensé dans le but de la satisfaction des besoins de la population, ne peut être la somme de projets individuels isolés les uns des autres. C’est malheureusement le risque encouru avec ce type de mise à disposition actuelle de parcelles de terres à de jeunes agriculteurs/trices par la CTM, indépendamment des aides et mesures opportunes qui leurs sont apportées. Sans même parler des choix de production contraints qu’ils/elles devront faire en raison de données indépendantes de leur volonté !
Notre démarche tourne donc le dos aux projets strictement individuels, au chacun pour soi, aux choix arrêtés individuellement à partir de la perception que les uns et les autres ont de la « réalité » du marché …Avec le risque de productions agricoles identiques par beaucoup, en fonction des profits attendus !
Letchimy a lui-même évoqué que l’installation de jeunes agriculteurs restait un processus très difficile (France Antilles du 5 février 2025). Très surement, mais pas essentiellement pour les raisons qu’il avance. Dès lors, persister à « offrir » des terres sans en même temps ne pas envisager une planification globale indiquant, à partir des besoins alimentaires de la population martiniquaise exprimés démocratiquement, le modèle agricole alternatif visant la satisfaction de ces besoins, c’est se fourvoyer sur son propre projet de « relancer la production locale et atteindre l’autonomie alimentaire ».
Cependant, viser l’autonomie alimentaire, et donc entamer le processus de réduction de notre dépendance alimentaire, ne peut se satisfaire du seul principe et moyen de la planification. Ni non plus de petites parcelles indépendantes les unes des autres.
Le couple taille significative des terres cultivées/planification constitue donc l’élément central. Sans compter d’autres questions ici non prises en compte : réforme agraire, POSÉI et sa profonde révision, coopératives de production et autres, méthodes coopératives de production, terres en friche, chlordécone, rémunérations de l’ensemble de la profession agricole, modes et modèles de consommation, environnement, santé…
Toutes choses objets de discussions démocratiques en profondeur, incontournables si nous voulons sortir de ce modèle économique mortifère pour le plus grand nombre ! Et pour les agriculteurs/trices eux-mêmes !
Max Dorléans (GRS)