Jusqu’au 19 septembre 2023 à la Fondation Clément
La peinture qui se déploie dans l’espace se donne pour mission de parler du temps. Que peut-il se passer l’espace de quelques « instants » ? Tout ! Une multitude de faits, répond, sans détour, Rodrigue Glombard ; cela, par l’intermédiaire d’une série de toiles montrant, dévoilant un univers qui se construit et s’agence en permanence ; à la recherche de la forme la plus adéquate ; de sa propre temporalité qu’il comble à sa guise.
Derrière la fugacité inhérente au terme « Instants », se cache un mouvement inexorable : celui d’une conquête permanente ; d’une quête de sens et de formes s’arrachant au néant de l’informel.
« Instants » : comme une succession d’instantanés au cours desquels – et sous nos yeux – se dessinent les contours d’un monde et d’une « humanité » à la recherche d’une identité et d’une… pulsation vitale, gages de soubassements et d’éternité. Ces « Instants » sont aussi des fragments d’espace, comme si le temps était un tout en quête de son unité. L’univers représenté par Rodrigue Glombard nous inscrit-il dans la déconstruction ou la genèse ?
« Epopée » : tel est le terme qui pourrait qualifier cette exposition de Rodrigue Glombard… Epopée de la vie qui, dès ses commencements, entreprend sa lutte pour s’extraire de l’informel, du néant. Cette perspective s’illustre d’emblée dans les toiles appartenant à la « Série des Murs sauvages ». Sur l’une d’entre elles, notre attention est d’emblée attirée par une flaque de couleur jaune se surimposant – pour la renforcer ? – à une sorte de glaise marron ; laquelle glaise préfigure, pour sa part, les futures traces de vie. Illustration, sous le pinceau de l’artiste, d’un chaos originel où les futures formes – encore en gestation – se chargent – déjà – en énergies constructives !
Sur l’une des autres toiles de la série, nous voyons des tracés colorés… Tracés colorés qui poursuivent la projection vitale originelle dans la mesure où ces derniers, s’imbriquant les uns aux autres, donnent vie – donnent corps – à des ensembles informels, préludes aux agencements à venir. Elément notable à cet égard : la « fragilité » de ces traits, de ces tracés (lesquels pourraient s’effacer et disparaître) mais qui – paradoxalement – porte en elle toute l’importance du processus de construction en cours… processus de construction duquel dépend notre avenir, en somme. Fragilité des traits qui restitue l’avenir incertain d’une humanité dont la richesse est précisément contenue dans cette fragilité !
Notons que les possibilités de cette future humanité sont déjà là, en témoignent ces couleurs vives traduisant une pulsation vitale dynamique.
Ces « Murs sauvages » déclinés par Rodrigue Glombard ont ceci de particulier qu’ils restituent une vie qui cherche à s’accaparer l’espace vital des origines… Une vie qui se donne à voir dans toute sa dimension primaire, en témoignent ces formes énigmatiques et inquiétantes drapées de rouge… Ce rouge qui traduit une sorte de dynamisme interne…une sorte de « conscience » agissante qui semble vouloir s’extraire de l’informel. Il est intéressant de remarquer que « l’intérieur » de cette forme énigmatique et inquiétante est également « colonisé » par quatre formes noires… Sorte d’insectes qui entreprennent, semble-t-il, une ronde précédant un assaut. Notons à ce propos que ces quatre autres formes évoluent sur une surface jaune… Illustration picturale (et symbolique) de cette énergie nouvelle qui leur donne force et consistance ! S’agit-il, pour l’artiste peintre, de figurer ainsi une vie elle-même « sauvage », saisie dans son processus perpétuel de construction ; les premières formes étant sans cesse défaites par les suivantes ?
Nous pouvons, dans le même temps, être sensibles à la dimension inquiétante d’un monde construit autour de ces insectes, de ces cloportes qui s’apprêtent à attaquer d’autres cellules. Nous pensons, alors, à ces vers de Baudelaire : « Et qu’un peuple muet d’infâmes araignées Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux. » Dimension inquiétante rendue par ces paysages déconstruits en dépit de la couleur qui vient le réhabiliter.
Ces « Instants » mis en évidence par Rodrigue Glombard sont d’autant plus effectifs et précieux qu’ils sont fragiles et… « instables ». Tout peut s’écrouler et disparaître (ce qui serait la fin de tout… et de nous) … Pourtant, tout tient. C’est précisément cet « équilibre instable » (du nom de cette autre série de toiles) qui donne leur richesse – leur diversité – à tous ces instantanés d’une construction en perpétuel devenir. Sans multiplier les exemples, relevons cette toile – placée au milieu fort à propos – sur laquelle il est possible de remarquer une… « cellule » se dissociant, se séparant en deux ensembles… Une sorte de « cellule » biologique assurant la permanence de la vie… donnant – peut-être – naissance à un être plus enrichi… Le tout sur le fond blanc de l’informel qu’il s’agit de combler. Relevons aussi cette forme qui rappelle celle d’un oiseau saisi au moment de son envol… Mouvement comme pétrifié, cela dit… en suspens ! (Mouvements d’ailes, malgré tout). Il y a aussi ces autres formes en équilibre, semblant sur le point de tomber… d’un côté comme de l’autre… Autant d’éléments nous mettant en présence d’un univers d’autant plus disparate qu’il est « incertain » dans ses positions… toujours susceptibles de changements.
Après l’« équilibre instable », place au soubassement ; à cet ancrage interne (symbole de solidité)… lui-même pourtant en proie aux changements et aux colorations…gages de perspectives futures. Evoquons, en effet, ces deux toiles où il est possible de distinguer des agencements colorés à l’intérieur de formations déjà existantes… ce nouvel espace à l’intérieur d’une crevasse (dans une perspective de réparation ; d’amélioration ?) ; ce… « visage » saisi à l’intérieur de l’écorce d’un arbre (est-ce un « sourire » qui se dessine sur la « lèvre » inférieure et qui, telle une larme qui perle, s’impose comme une promesse d’avenir ?)
Nouvelles réalisations qui apportent donc un enrichissement, une plus-value à celles qui les précèdent ! Nouvelles perspectives vitales en perspectives !
Instants : ces moments riches où le monde figuré par Rodrigue Glombard est en recherche perpétuelle de totalité, en témoignent ces toiles où il est possible d’observer une forme ronde, drapée de gris. Forme qui gagne en épaisseur, en coloration et en… matérialité… comme si elle parvenait –elle-même – à tisser une part naturelle de son être ; depuis ce cercle noir, en passant par cette fleur (ressemblant à une bouche), jusqu’à ces excroissances colorées qui s’imposent comme des balises au cœur du néant.
Instants : où la représentation, par Rodrigue Glombard, d’un monde d’autant plus complexe qu’il présente des formes et des constructions s’enchevêtrant les unes aux autres, à la recherche de la connexion secrète au moyen de laquelle elles donneront naissance à un autre « Tout ». Soulignons ce panel de toiles qui s’impose comme une succession d’ébauches ; laquelle met en avant une vitalité elle-même permanente ; une ambition manifeste d’afficher la matérialité d’une identité au cœur du vide. D’un point de vue formel, cette collection de toiles (les unes par rapport aux autres) – et qui ne semble vivre que le temps de cette mise en relation – souligne cette volonté, chez l’artiste, de restituer la tension permanente qui caractérise chaque pan de l’univers qu’il met en scène. Une tension gage de pulsation vitale.
Instants : ces « instants » où Rodrigue Glombard choisit… d’ouvrir une brèche dans le déroulé immuable de la temporalité, cherchant un espace de libertés à l’intérieur duquel il pourrait explorer d’autres possibilités. Cette veine semble illustrée sur ce relevé de données chiffrées dont le caractère sérieux et dogmatique est contrecarré d’emblée par deux faits : d’abord ces espaces laissés vierges délibérément, ensuite cette avancée colorée qui s’impose comme une « déchirure » volontaire…
éléments significatifs d’une prise d’initiatives dont est à l’origine une conscience, désireuse qu’elle est d’ouvrir un autre chapitre caractérisé par un autre dynamisme vital, de questionner – pour mieux le remettre en question – ce monde moderne qui est le nôtre. Monde articulé autour des chiffres ; de la priorité donnée à cette volonté « cartésienne » de tout percevoir par le prisme de la rationalité.
Instants ou ces moments, enfin, que l’individu met à profit pour se recentrer sur lui-même… sur sa vie intérieure. Cette perspective est illustrée concrètement par cette pièce obscure aménagée dans lequel le visiteur-la visiteuse est invité-invitée à pénétrer afin de prendre conscience de sa propre musique interne, des pulsations de son être.
Philippe Charvein, le 02/08/2023
Rodrique Glombard | Instants
21 juillet – 19 septembre 2023
HORAIRES
L’ensemble du domaine est ouvert 365 jours par an.
L’habitation et les expositions se visitent de 9h à 18h30.