— Par Daniel Boukman —
Mésiézèdanm, bel bonswè !… Lonnè épi respé ba lasosiyasion MICELA (Maison Interculturelle des Ecrivains et des Littératures d’Améri-caraïbes) MICELA ki ba mwen lokazion vini l’AMEP pou vréyé douvan an kozé lantou Créolophonie, créolographie kivédi an fransé : parler, lire, écrire la langue créole.
Epi an bel mèsi tou ba zot ki pran anlè tan-zot an moman tan pou vini oswè-a l’AMEP pou nou bokanté pawol.
Une langue, c’est un ensemble de signes oraux ou écrits propre à une communauté d’individus qui l’utilisent pour s’exprimer et communiquer entre eux … A ajouter à cette définition que la formation d’une langue procède de circonstances historiques spécifiques. C’est ainsi que la langue française puise son origine dans un système de domination coloniale dont le latin, la langue de l’empire romain, s’est imposée aux langues de la Gaule sans toutefois parvenir à leur élimination totale ; en effet la langue dominante, le latin populaire parlé par les colons romains, a été en quelque sorte « contaminée » par l’apport des langues dominées des Gaulois, ; il s’ensuivit au fil des siècles la naissance en Europe d’ une famille de langues dites romanes : le romain, l’italien, le français, l’espagnol, le portugais, langues romanes devenues plus tard langues nationales.
Tout autre est l’histoire de la formation de la langue créole et de ses variations dialectales qui ont vu le jour dans des espaces situés
*dans l’océan indien, les Seychelles, l’ Ile Morice, la Réunion
*dans la zone américano-caraïbéene : Haïti, Guadeloupe, Dominique, Martinique, Sainte-Lucie, Trinidad
*sur le continent américain : Guyane, La Louisiane.
Dans ces espaces, la langue créole, ses variations dialectales sont issues d’un processus appelé créolisation, processus essentiellement identique mais dont le développement diffère selon le pays créolophone concerné.
La créolisation est le produit d’une situation coloniale dont en Martinique par exemple, les colonisateurs (normands, bretons, poitevins, angevins, etc), sont dans l’obligation de communiquer entre eux mais dans l’impossibilité au départ de le faire, vu qu’ils ne partagent pas le même moyen d’expression verbale, même situation relative aux populations quelles soient autochtones (kalinagos baptisés caraïbes par l’Europe) ou déportées, réduites en esclavage comme l’ont été nos ancêtres africains .
Pour répondre aux exigences d’une cohabitation forcée, avec des éléments disparates de nature linguistique, il deviendra vital de créer un parler rudimentaire pour répondre à des besoins rudimentaires, un melting pot , un mélange hétéroclite qui au fil du temps, évoluera pour donner cette diversité originelle de notre langue créole.
Voici la définition de la créolisation que donne Edouard Glissant dans son « Traité du Tout Monde » : La créolisation est la mise en contact de plusieurs cultures ou au moins de plusieurs éléments de cultures distinctes, dans un endroit du monde, avec pour résultante une donnée nouvelle, totalement imprévisible par rapport à la somme ou à la simple synthèse de ces éléments.
C’est ainsi que dans le champ lexical du créole martiniquais, on trouve des traces de ce processus de créolisation
*Mots d’origine kalinago : mannikou, touloulou, mouben, kankanbou
°d’origine bretonne : kagou / mal en point , kannik (bille)
°normande : kanni / moisi, fal / poitrine, gésier, griji / plissé, ridé
° poitevine : nennenn / grand-mère, rad / vieux vêtements, zékal / coquille
Mot d’origine africaine
°malinké : soubawou, soukougnan makandja…
°fongbé : java, kalalou, toloman…
°bantou : bankoulélé , moun, zonbi
*Mots d’origine tamoule : kolbou, chelou, mandja, vadé
*Mots d’origine anglaise ( la Martinique sera occupé pendant 14 années successives par les Anglais) : sauce pan / chaspann crawfish / kribich, pupet / pòpot pussy /pouchin
Autant d’empreintes de nature lexicale signalant le passage à Wanakaera (nom kalinago de la Martinique) autant d’empreintes de nature lexicale signalant le passage à Wanakaéré de diverses populations dont nous assumons aujourd’hui l’héritage culturel.
Un même processus de créolisation a eu lieu selon des modalités particulières dans les territoires de l’Océan indien tels les Seychelles, l’Ile Morice qui furent successivement l’objet de colonisation hollandaise, française, anglaise, de comptoirs pour la déportation esclavagiste d’Afrique, d’immigrations forcées d’Asie. De ces créolisations est issue leur langue créole respective qui, depuis leur indépendance (1976 pour les Seychelles ; 1968 pour l’Ile Morice), leurs langues créoles respectives qui de nos jours ont officiellement droit de cité dans la sphère de l’oralité comme dans celle de l’écrit.
Au sein de notre espace américano-caraïbe, à Dominique, à Sainte-Lucie, anciennes colonies tantôt françaises, tantôt anglaises, la créolisation a donné lieu à une langue créole où s’entremêlent influences africaines, française, anglaises.
Depuis leur indépendance (Dominique :1978 ; Sainte Lucie : 1979) la langue kwéyol participe du patrimoine culturel de ces pays ; son usage perdure surtout dans les campagnes et depuis quelques années, sa ré-appropriation est l’objet d’études et d’activités tant à l’écrit qu’à l’oral
Ces anciennes colonies britanniques, indépendantes depuis 1978 ( (Dominique), depuis 1979 (Sainte-Luci)
En Haïti qui a connu de 1794 à 1804 les effets de la colonisation française, en raison de la grande disparité langagière des colons venant de diverses régions françaises, en raison d’une disparité langagière non moins grande des Africains déportés en esclavage, la créolisation a donné progressivement naissance à la langue créole haïtienne pratiquée par la quasi-totalité de la population, officiellement déclarée langue officielle au même titre que la langue française, et est dotée d’une Académie, est enseignée dans les écoles et à l’Université.
Fait exceptionnel : à Cuba, en raison de l’existence de nombreux citoyens cubains descendant d’immigrés haïtiens, un créole haïtiano-cubain est officiellement représenté dans la sphère scolaire,artistique et médiatique.
Du temps où la Louisiane était colonie française de 1682 à 1803, date où elle fut vendue par Napoléon 1er aux Etats-Unis, le même processus de colonisation que connurent les autres colonies françaises de la zone caraïbe, le même processus a eu comme conséquence une nécessaire créolisation dont l’évolution a été contrariée par la pratique hégémonique de l’anglo-saxon si bien qu’aujourd’hui, le créole louisianais est en voie de totale disparition comme à Trinidad-Tobago où pour les mêmes raisons qu’en Louisiane, le créole trinidadien frère jumeau du créole martiniquais, n’est plus parlé que dans une ou deux communes, lors d’offices religieux par les gens d’anciennes générations.
En Guyane, la créolisation issue de la période de la colonisation a donné jour à la langue créole guyanaise ; aujourd’hui, celle-ci se trouve soumise aux effets de l’intrusion des nouvelles langues pratiquées par de nouveaux immigrés et qui pis est la langue créole de la Guyane est soumise aux conséquences d’une subtile politique lenguicidaire dont Réunion, Guadeloupe, Martinique, Guyane sont institutionnellement les victimes.
En dehors des frontières géographiques des pays créolophones précités, il existe un espace créolophone en pleine expansion au sein des diasporas créolophones en France, en Grande Bretagne, aux Etats-Unis, au Québec.. Ces espaces réunissent des originaires des pays créolophones de l’Océan indien, de la zone américano-caraïbe.
A Sainte-Lucie, en 1981, à l’issue d’une réunion de créolistes, a été officiellement créée en 1983, BANNZIL KREYOL (en français l’Archipel Créole) , une association se donnant comme objectif de développer et de promouvoir le fait créole dans ses multiples expressions anthropologique, artistiques, linguistiques, médiatiques..
Cette initiative est la première pierre de la mise en place d’une institution à vocation internationale pour offrir aux environ 15 millions de locuteurs créolophones à travers le monde un espace d’échanges et d’actions menés de façon égalitaire, en toute créolophonie.
Après cet état des lieux où la langue créole en ses variétés dialectales se fait entendre, il convient d’aborder maintenant l’autre aspect non moins fondamental pour assurer sa pérennité. Le dire d’un philosophe du Mali, feu Amadou Hampaté Ba, résume la situation : En Afrique quand un vieillard meurt, c’est une bibliothèque
qui brûle. Nous somme concernés par cette vérité : Matinik lè an viékò ka mò, sé konsidiré an kay-mo (an bibliotek) pri difé .
Dire cela ne veut pas chercher à opposer l’écrit à l’oral, l’oral à l’écrit mais il s’agit de faire le constat qu’aujourd’hui le temps des griots, le temps des conteurs à la mémoire infaillible est en voie d’extinction. Pour conserver intacts les trésors langagiers dont ils/ elles sont les dépositaires, il faut, ces trésors, les entreposer dans des livres imprimés ou numérisés.
Ecrire le créole n’est pas une nouveauté ; me cantonnant à la production écrite en Martinique, je pourrai citer les œuvres d’une Marie-Thérèse Julien Lung Fou, d’un Gilbert Gratiant dont l’orthographe des mots utilisés était autant de signes indiquant la nature étymologique de leur existence… En 1975, le GEREC (Groupe d’Etudes de Recherches en Espaces Créolophones ) dont le linguiste martiniquais, feu Jean Bernabé, était l’élément-moteur, le GEREC a initié un nouveau système de nature phonétique où , au contraire du système français, il n’existe pas de lettres muettes, toutes, elles parlent…Ce système GEREC 2 officiellement pratiqué dans les instances de l’Education nationale, suscite en Martinique, une adhésion grandissante. L’usage de variantes graphiques existe dans d’autres territoires créolophones mais le principe du tout ce qui s’écrit se prononce, tout ce qui se prononce s’écrit est unanimement adopté.
Tout cela dit, est-ce arrivé le moment de mettre un terme aux actions pour la Défense et l’Illustration de la langue créole ? Y croire serait faire preuve d’un optimisme trompeur…Le jacobinisme linguistique français est loin d’avoir rendu l’âme ; les conquêtes que les créolistes et autres militants ont de haute lutte remportées ne sont pas définitivement acquises ; les héritiers de la pensée de Jules Ferry, ce tueur des langues régionales de France sont toujours à l’oeuvre.
Pour déjouer leur politique linguicidaire, il faut renforcer l’entrée de l’étude du créole martiniquais dans les écoles, les collèges, les lycées, à l’université, produire le matériel pédagogique adéquat, diffuser régulièrement sur les medias les productions littéraires de qualité, dans les lieux de représentation théâtrale jeter une passerelle entre l’écrit en créole (des pièces) et leur restitution orale par le biais de leur mise en scène, généraliser la signalisation bilingue créole-français des villes et communes, encourager l’édition de poèmes, romans, nouvelles, essais , autant d’ouvrages destinés à un lectorat dont il faut augmenter le nombre par, entre autres, la mise en place d’atelier d’alphabétisation en langue créole de Martinique.
Cela dit, il ne s’agit pas là d’établir un plan de bataille pour l’expulsion de la langue française mais d’installer sur des fauteuils d’égale prestance langue française et langue créole avec en perspective d’inviter un jour à ce cénacle langue anglaise, langue espagnole, ces langues sœurs de la nôtre, qui participent au rayonnement de la culture écrite / orale de notre Caraïbe.
Mésiézédanm, mèsi anchay pou kouté pou tann zot-la. Aprèzan, lawonn pawol-la ouvè, kisiswa an fransé, kisiswa an kréyol, pa ni pies tjak !
AMEP, 23 juin 2021.