* Lettre ouverte à Mr le Préfet et Mr le DGARS (État) ; Mr le Président du CE de la CTM ; Mr le Président de l’Association des maires (collectivités)
— Par Christian Ursulet, directeur général honoraire de l’ARS —
Afin de gagner du temps dans cette situation de crise épidémique, je m’adresse à vous par ce moyen* afin d’apporter, si possible, une modeste contribution à notre lutte dont je n’ignore aucune des difficultés dans le contexte martiniquais. Je me réfère pour me permettre cette démarche à 10 ans de gestion de crises multiples (cyclone Dean, H1N1, séisme, Haïti, dengue et chikungunya, volet sanitaire de 2009 etc.).
Les conditions de succès dans la gestion de crises importantes que nous avons apprises d’expérience, les préfets successifs et moi-même sont :
1) Le pilotage coordonné au niveau préfecture-État des principaux décideurs (préfet, DGARS, CTM, Association des maires), s’appuyant sur un COPIL (comité de pilotage) technique quasi quotidien ;
2) La mise en place dès le départ d’un Comité scientifique indépendant des autorités politico-administratives ;
3) L’anticipation des mesures incontournables à prendre au vu des données épidémiologiques par tous les moyens possibles ;
4) L’autonomie dans la résolution des difficultés spécifiques à notre situation, quand bien même la solidarité nationale serait essentielle ;
5) L’implication totale et coordonnée des équipes de terrain des administrations d’État compétentes, des municipalités et des professionnels de santé ;
6) La communication quotidienne, transparente et sincère, mettant à disposition de la population toutes les informations disponibles, y compris les erreurs, les incertitudes ou les carences en tout genre, destinée plus à indiquer les actions en cours et le chemin suivi qu’à rassurer coûte que coûte en sacrifiant parfois bon sens et intelligence.
Héritage perdu ?
Bien que constatant l’important travail fait par tous les acteurs, en tout cas aujourd’hui, je ne suis pas sûr que cet héritage ait perduré.
Trop d’initiatives éparses, trop de copié-collé sans pour autant avoir les moyens de l’Hexagone, trop de retard à l’allumage notamment au niveau Collectivité, trop peu d’initiatives propres et d’anticipation (depuis janvier au moins) en tant qu’autorité politique ayant le souci et la capacité d’initiative pour aider la Martinique et les Martiniquais à se protéger, à protéger les emplois etc., trop de contradictions, voire d’approximations et de manque de coordination encore une fois (même épidémiologiques) dans la communication, en absence d’un Centre unifié de gestion de crise. Un tel Centre unifié de décision n’est-il pas l’un des facteurs déterminant de la réussite coréenne ? Ne vous appartenait-il pas à vous aussi Monsieur le Préfet, dans une démarche d’efficacité et de pragmatisme, de proposer sa mise en place au même titre que certains de vos prédécesseurs ? Une telle instance de pilotage unifié n’a rien à voir avec une réunion hebdomadaire d’information et d’échange.
Si pour le moment la Martinique bénéficie d’un impact mesuré de l’épidémie (du fait sans doute du confinement plus précoce au regard de la courbe épidémique et peut-être, selon certaines autorités scientifiques nationales et internationales, au regard d’une activité moindre du virus entre 27 et 30°), il n’en est pas moins vrai que nous devons tout faire pour réussir le déconfinement de la population.
Propositions de mesures et principes
À ce titre, je me permets enfin de partager avec vous, comme contributeur à la réflexion, les principes et mesures qui me semblent devoir guider notre action ici en Martinique : nous serons vraisemblablement à 1,35 ou 1,45 % de taux de contamination de la population vers le 11 mai.
Une épidémie virus corona ne stoppe qu’avec un taux avéré, selon les avis d’experts, de 40% minimum et 70% maximum de contamination conduisant à une immunisation collective !
Sinon, en absence donc d’un taux d’immunisation collective suffisant et d’un système de dépistage et de protection généralisé, le moindre virus en circulation ou réintroduit sera en capacité de relancer l’épidémie…
Quoi faire ? Confiner très durablement est évidemment pour tous impossible… autant pour des raisons familiales, sociétales qu’économiques.
Comment faire alors ?
Il faut infléchir encore plus, plus vite et sans tergiverser la politique de protection menée jusqu’ici, en combinant :
1) Le confinement des plus fragiles (malades chroniques, diabétiques, insuffisants cardiaques, personnes très âgées notamment…) ;
2) Le port généralisé de masques, obligatoire à l’extérieur, et notamment dans les transports et dans tous lieux de regroupement de personnes ;
3) Les tests généralisés et surtout obligatoires au moindre symptôme (mais pas seulement) ;
4) L’isolement immédiat et le contrôle biquotidien des cas testés positifs, qu’ils soient symptomatiques ou asymptomatiques…
Renforcer, mobiliser et coordonner
Pour cela le dispositif actuel devrait pouvoir se renforcer, mobiliser et coordonner :
1) Les moyens performants du CHUM ;
2) Les lits de certains hôpitaux de proximité pour suivi post-CHUM et pour les cas non graves à suivre hors du domicile afin d’éviter le facteur de recontamination de l’entourage ;
3) La mise en place de 4 centres ambulatoires de proximité pour consultations et suivi des cas à domicile, tant au niveau somatique que psychologique (fonctionnement avec les personnels libéraux volontaires (médecins, kinés, infirmières…), CTM et communaux) ;
4) Le maintien de centres d’isolement voire leur extension à la réouverture des lignes aériennes, pour mise en « quatorzaine » des personnes arrivant sur le territoire (Vauclin et Batelière-Schœlcher et Nord (Marouba ou autre…).
Se posent alors 2 autres questions : celle de la disponibilité des tests et leur fourniture en nombre suffisant et celle de l’eau en quantité suffisante pour assurer le respect des gestes barrières : si la pénurie précédente en masques, gels, gants, tests etc. est déplorable et significative à la fois du manque d’anticipation et de l’insuffisante réactivité de l’État, elle est aussi la marque du manque d’ambition de la CTM à représenter, équiper et protéger la population martiniquaise au moins jusqu’à la mi-mars.
Mettre en avant les intérêts de la population avant les postures politiciennes
Déclarer vouloir rester dans le cadre de ses seules compétences, lancer un appel d’offres fin avril alors qu’il était manifeste que la Martinique n’était pas dans les régions prioritaires de l’État et alors que la spirale épidémique était lancée dès décembre-janvier est pour le moins regrettable.
Par conséquent aujourd’hui, les moyens de l’État associés à ceux de la CTM et autres collectivités, voire à ceux du privé, doivent s’additionner impérativement pour équiper la population martiniquaise durablement en masques, gants et gels hydroalcooliques, et les labos en tests suffisants.
S’agissant de la fourniture en eau, notamment pour les habitants du Sud-Centre, il est maintenant clair pour la population douée de bon sens, que selon les informations données par l’association PUMA, il est possible en un mois maximum de mettre en place avec accord des parties une canalisation de 800 mm déjà sur place, sur une longueur de 83 m transportant le volume largement suffisant et à un coût bien inférieur aux coûts des réparations provisoires répétitives pour des volumes insuffisants.
Si la volonté de tous est bien de mettre en avant les intérêts de la population martiniquaise avant les postures politiciennes éculées face aux enjeux vitaux que nous impose le coronavirus, il n’est pas à douter que notre Martinique réussira.
Dans l’espoir que mon courrier sera reçu comme une contribution engagée et de bonne volonté pour le bien public, je vous souhaite pleine réussite dans cette entreprise de gestion de crise exceptionnelle qui nous engage tous à un titre ou à un autre.
* Lettre ouverte à Mr le Préfet et Mr le DGARS (État) ; Mr le Président du CE de la CTM ; Mr le Président de l’Association des maires (collectivités)