En 2019, les plus riches ont capté plus de richesses que 4,6 milliards de personnes. Les inégalités explosent sur toute la planète. Ce creusement n’a rien de fatal, il est le résultat de politiques néolibérales dictées depuis le sommet des États.
La bourse, nous dit-on, a battu tous ses records en 2019. Du coup, millionnaires et milliardaires poussent comme des champignons. Et ces braves gens créent des emplois et payent des impôts, leur richesse ruisselle sur le reste du monde. Il faut s’en réjouir et saluer aussi la belle santé de l’industrie du luxe. N’est-ce pas là le signe que le pouvoir d’achat des classes moyennes se porte mieux à travers le monde, notamment en Asie, et que la pauvreté recule ?
Commentaires simplistes et pour le moins trompeurs que ces raccourcis dégainés par la presse de droite à la suite de la publication du rapport annuel de l’ONG Oxfam sur les inégalités dans le monde, à la veille du Forum de Davos (1). Les médias des hommes d’affaires et des riches regardent sans surprise la planète sous un prisme enchanteur. La réalité est autrement plus sombre pour des millions d’êtres humains.
Dans la grande et riche Amérique, ils habitent dans leur voiture en collectionnant les petits jobs, s’endettent pour se soigner ou se laissent mourir à petit feu. En Europe, les travailleurs pauvres ne sont pas mieux lotis, entre le mal-logement, la précarité et les bas salaires. Ailleurs, en Afrique, en Asie, des millions de personnes démunies sont exposées aux risques climatiques, et on y meurt de famine.
Les chiffres donnent le tournis
Puzzle de la misère et de l’opulence, ce monde n’est pas près de changer car les inégalités se creusent sans cesse souligne Oxfam. Et les chiffres donnent le tournis. « En 2019, les milliardaires du monde entier, c’est-à-dire seulement 2 153 personnes, se partageaient plus de richesses que 4,6 milliards de personnes », apprend-on. Les revenus de 1% des plus riches ont largement augmenté entre 1990 et 2015, relève pour sa part l’ONU dans le Rapport social 2020. Plus de 70 % de la population de la planète vivent une augmentation constante des inégalités, et celles-ci se sont encore creusées dans la plupart des pays développées et dans certains pays à revenus intermédiaires, dont la Chine, selon le même texte.
Cette régression qui profite toujours et encore aux nantis fait un triste au sort aux femmes en particulier. « La richesse des 22 hommes les plus fortunés est ainsi équivalente à celle de l’ensemble de la population féminine africaine ! » pointe Oxfam.
Dividendes : un boom de 31%
Les riches peuvent dormir tranquilles. Les États veillent sur leur fortune. Les politiques fiscales de la grande majorité des gouvernements à travers le monde leur font la part belle. Le président des États-Unis, Donald Trump, avait d’ailleurs fait sensation lors de sa première apparition à Davos en 2018. Sa générosité fiscale à l’égard des entreprises réjouissait les hommes d’affaires. Les 1500 milliards de dollars (1 314 milliards d’euros) de réductions d’impôts sur dix ans accordées aux entreprises américaines font rêver les patronats dans le reste du monde, même si ces réductions n’ont pas tout à fait produit les effets attendus. De plus, tandis que les salaires stagnent ou augmentent faiblement dans les pays du G7 (+ 3 % entre 2001 et 2017), les dividendes font un bond de 31 % pour la même période.
Chute des dépenses publiques
Dans le même temps, les ménages sont confrontés à des baisses drastiques des dépenses publiques dans des secteurs clé : la santé, notamment, l’éducation, les transports… « L’une des conséquences des inégalités au sein des sociétés est le ralentissement de la croissance économique, note le rapport de l’ONU. Dans des sociétés inégales, avec de grandes disparités dans des domaines tels que les soins de santé et l’éducation, les gens sont plus susceptibles de rester pris au piège de la pauvreté, sur plusieurs générations. »
Les Nations Unies identifient quatre facteurs d’influence sur les inégalités dans le monde, des « mégatendances » : l’innovation technologique, l’urbanisation, le changement climatique et des migrations internationales. Selon l’institution, ce dernier facteur agit à la fois comme « un puissant symbole de l’inégalité mondiale » et comme « une force d’égalité dans les bonnes conditions ». Les migrations bénéficient aux migrants, à leur pays d’origine, ainsi qu’à leur pays d’accueil. Les bouleversements climatiques et les catastrophes naturelles rendent en revanche « les pays les plus pauvres encore plus pauvres et pourraient inverser les progrès accomplis dans la réduction des inégalités entre les pays ».
Partout dans le monde, quant on est pauvre, ou même seulement doté d’un revenu modeste, on est, tout compte fait, sûr de le rester. Quand on est riche, très riche, on a de fortes chances de l’être davantage. Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, évoque d’ailleurs « un cercle vicieux d’inégalités, de frustrations et de mécontentements entre les générations » rappelant « les manifestations de grande ampleur, à la fois dans des pays développés et dans des pays en développement ».
Question à peine effleurée au Forum de Davos, le creusement des inégalités est une bombe à retardement à mèches multiples. Celles-ci peuvent prendre feu simultanément à tout moment dans de nombreux pays. La voix des laissés-pour-compte n’a pas fini de résonner d’un continent à l’autre, en Amérique Latine, en Asie, au Maghreb, au Proche-Orient, en Afrique et même dans les pays développés d’Europe dont les sociétés sont minées par la baisse constante du pouvoir d’achat, la pauvreté croissante et l’enrichissement indécent d’actionnaires gavés de dividendes. Les choix d’inspiration libérale, à contre-courant du progrès social, se heurtent aux attentes de millions d’hommes et de femmes à la faveur de toutes les évolutions technologiques. La généralisation de ces modèles-là participe d’une régression à l’échelle planétaire dont tirent profit une minorité de nababs.
Avec les conséquences du désordre climatique, la répartition des richesses est, à n’en point douter, un enjeu essentiel. Les riches dorment peut-être tranquilles, mais pour combien de temps ?
(1) Le sommet annuel s’est tenu du 21 au 24 janvier.
Source : LHumanité.fr