Les enfants les plus pauvres sont trois fois plus souvent hospitalisés pour des problèmes psychiatriques que les autres
La santé mentale des enfants est un indicateur essentiel de leur bien-être global. Cependant, une étude récente menée par l’Assurance maladie et Santé publique France met en évidence des inégalités frappantes dans la santé mentale des enfants en fonction de leur statut socio-économique. Selon cette étude, les enfants vivant sous le seuil de pauvreté sont trois fois plus susceptibles d’être hospitalisés pour des problèmes psychiatriques, tels que des retards mentaux ou affectifs, par rapport à leurs pairs plus aisés.
Cette étude, basée sur l’analyse de millions d’actes médicaux réalisés en 2018 chez plus de 13 millions d’enfants en France, révèle une réalité préoccupante. Parmi les deux à trois millions d’enfants bénéficiant de la couverture maladie universelle (CMU), réservée aux plus modestes, les pathologies psychiatriques apparaissent plus fréquemment. Philippe Tuppin, de l’Assurance maladie, souligne que sur les dix maladies les plus fréquentes observées, six sont d’ordre psychiatrique, mettant en avant les retards mentaux et affectifs.
L’étude met également en lumière l’impact direct de la précarité et du cadre de vie sur la santé mentale des enfants issus de milieux défavorisés. Le Dr. Philippe Tuppin pointe du doigt un problème d’encadrement familial et de prise en charge tardive, soulignant la lourdeur de ces pathologies pendant des périodes sensibles du développement de l’enfant.
Maria Melchior, épidémiologiste à l’Inserm, élargit la discussion en mettant en avant les facteurs sociaux des troubles mentaux chez les enfants défavorisés. Elle explique que si la biologie joue un rôle, les événements de vie des enfants et adolescents, l’environnement social, le stress et la qualité des interactions parentales sont tout aussi déterminants. Elle souligne également que la naissance prématurée, plus fréquente dans les milieux défavorisés en raison des problèmes d’accès aux soins, est l’un des principaux facteurs de risques des troubles du neurodéveloppement.
Ces constats ne se limitent pas aux enfants. Une enquête de Santé publique France en décembre 2022 révèle une détérioration significative de l’état de santé mentale de la population française depuis le début de la crise sanitaire. Les taux d’anxiété, de dépression et de pensées suicidaires ont augmenté de manière alarmante. Cette détérioration est particulièrement marquée chez les jeunes, avec une multiplication par deux du nombre de passages en court séjour suite à des tentatives de suicide ou d’automutilation chez les 10-14 ans.
Face à ces réalités inquiétantes, des experts appellent à une action immédiate et coordonnée. Ils soulignent la nécessité de mieux adapter l’accès aux soins aux besoins des populations les plus vulnérables. Maria Melchior insiste sur la coordination de l’offre de soins avec les besoins du territoire, soulignant que les endroits les plus pauvres cumulent souvent les plus grandes difficultés, notamment l’éloignement du système de santé.
Les inégalités en matière de santé mentale sont profondément ancrées dans la société française. Les personnes se situant dans les premiers déciles de revenus ont entre 1,5 et 3 fois plus de risque de souffrir de dépression, d’anxiété ou de problèmes de santé mentale que les personnes les plus riches. Cette réalité est d’autant plus préoccupante que le système de santé mentale, déjà fragilisé par des décennies de gestion comptable et un manque de considération envers les professionnels, semble incapable de répondre à cette détérioration de la santé mentale de la population.
Depuis plusieurs décennies, les établissements de psychiatrie, essentiellement publics, subissent un sous-financement chronique, avec seulement une augmentation de 12,5% de leur financement par rapport à une augmentation de 24% du budget national dédié à la santé. Ces lacunes se traduisent par la suppression de 60% des lits hospitaliers psychiatriques en 40 ans, créant un report de la demande de soins vers l’hôpital public. Certains services connaissent des taux d’occupation moyens supérieurs à 115%, et la part des soins sans consentement augmente de manière significative.
Les inégalités territoriales exacerbent encore davantage la situation. La densité de psychiatres varie de 1 à 4 entre les départements les mieux dotés et les moins bien dotés, créant de véritables déserts pour trouver un professionnel de la santé mentale. Les écarts sont également frappants en ce qui concerne la densité de lits en hôpital psychiatrique et l’accès aux psychologues.
Ce délitement du système de santé mentale est d’autant plus incompréhensible que le coût total pour la société des troubles liés à la santé mentale était estimé à 163 milliards d’euros en 2018. Face à ce diagnostic sévère, le gouvernement français a pris des mesures jugées tardives et insuffisantes par de nombreux experts.
Depuis 2017, deux feuilles de route ont été présentées, mais elles ont été critiquées pour leur manque de vision globale et d’allocation financière suffisante. Le besoin de reconstruire le système de santé mentale est pressant, et des mesures concrètes doivent être prises. Les experts appellent à des investissements significatifs pour lutter contre la pénurie de personnel, améliorer l’équité territoriale et garantir un accès équitable aux services de santé mentale.
En parallèle, la lutte contre la pauvreté est également mise en avant comme une stratégie efficace pour améliorer la santé mentale des populations défavorisées. Des études montrent que des aides financières aux familles en difficulté contribuent à réduire la dépression chez les parents et les problèmes de comportement chez les enfants.
L’accès aux soins doit également être repensé pour répondre aux besoins spécifiques des personnes souffrant de troubles mentaux. Coordination de l’offre de soins, prévention, repérage précoce et prise en charge adaptée sont autant de leviers qui doivent être activés pour inverser la tendance actuelle. Il est crucial de briser le cercle vicieux où les enfants issus de familles défavorisées sont plus susceptibles de développer des troubles mentaux, perpétuant ainsi ces problèmes d’une génération à l’autre.
Une attention particulière doit être accordée à la santé mentale des jeunes, qui subissent de plein fouet les conséquences de la détérioration de l’état de santé mentale de la population. Les dispositifs actuels, tels que le remboursement des consultations de psychologues, doivent être évalués et ajustés pour répondre aux besoins réels de la population.
En conclusion, la santé mentale ne peut plus être reléguée au second plan dans le système de santé. Il est impératif de reconnaître son importance, de lui allouer des ressources adéquates et de mettre en place des mesures concrètes pour lutter contre les inégalités sociales qui affectent la santé mentale des enfants et de la population en général. L’avenir de la société dépend en grande partie de la santé mentale de sa jeunesse, et il est temps d’agir de manière décisive pour assurer un avenir meilleur pour tous.
M’A