— Par Sabrina Solar —
Une étude approfondie menée par l’Institut national d’études démographiques (Ined) révèle une dynamique intrigante au sein des couples français, où l’écart de revenus entre les partenaires, en particulier lorsque la femme gagne plus que l’homme, semble jouer un rôle crucial dans la stabilité de l’union. Selon cette étude, lorsque la femme contribue de manière significative aux finances du ménage, avec une part supérieure à 55 % des revenus totaux, le risque de séparation augmente considérablement. Ce phénomène s’applique à divers types d’unions – qu’il s’agisse de couples mariés, pacsés ou vivant en cohabitation – et se manifeste de manière encore plus marquée dans les ménages à revenus modestes.
L’étude, publiée en juin dans la revue « European Journal of Population», analyse un échantillon de près d’un million de couples vivant en France entre janvier 2011 et janvier 2017, et examine les répercussions des écarts de revenus sur la stabilité conjugale. Les résultats sont clairs : plus la part de la femme dans le revenu global du couple augmente, plus le risque de séparation s’accroît. Les couples dans lesquels la femme est la principale pourvoyeuse de revenus présentent un risque de rupture supérieur de 11 % à 40 % par rapport aux couples où les revenus sont plus équilibrés. De manière plus globale, dans 49,3 % des couples étudiés, l’homme reste le principal contributeur aux finances, tandis que 20,5 % des couples partagent des revenus équitables, et seulement 13,7 % des couples voient la femme endosser le rôle de principale source de revenus.
Les écarts de revenus : un facteur de fragilité selon le type d’union
L’étude met en lumière que la structure des revenus au sein du couple influence différemment le risque de séparation en fonction du type d’union. Pour les couples mariés, le rôle traditionnel de l’homme en tant que principal soutien financier du ménage apparaît stabilisateur. En revanche, les couples où la femme contribue davantage aux finances voient leur stabilité menacée, car cela déroge aux normes de genre traditionnelles qui, malgré une évolution des mentalités, restent ancrées dans la société.
Dans les couples en union libre, l’instabilité est plus forte dans les cas où la femme contribue majoritairement aux revenus du foyer. Cependant, un équilibre des revenus semble jouer un rôle stabilisateur dans ces couples, où une répartition plus égalitaire des revenus renforce l’union. À l’inverse, chez les couples pacsés, les écarts de revenus influencent moins fortement le risque de séparation, sans doute en raison du cadre légal intermédiaire que représente le PACS par rapport au mariage.
Une tendance qui touche toutes les générations
Une autre observation marquante de cette étude est la persistance de cette tendance, même chez les jeunes couples, pourtant plus exposés aux valeurs d’égalité des sexes. Les jeunes générations, qui ont grandi avec des idéaux de partage équitable des responsabilités familiales et professionnelles, ne semblent pas échapper à cette dynamique. Cette persistance suggère que, malgré les avancées en matière de droits des femmes et de soutien à l’emploi féminin, les attentes traditionnelles restent profondément ancrées dans les relations de couple.
Ainsi, même dans les unions où l’égalité des revenus progresse, la stabilité semble rester fortement liée à des normes de genre conventionnelles. Cette situation démontre que le dépassement des rôles traditionnels, avec l’homme en tant que principal « gagne-pain » et la femme davantage orientée vers le foyer ou la contribution secondaire, reste un défi pour de nombreux couples, y compris dans des sociétés comme la France où l’emploi féminin est soutenu par des politiques familiales favorables, telles que le congé parental, les services de garde d’enfants et les aides aux familles.
L’impact des revenus sur la décision de se séparer
Les chercheurs de l’Ined avancent une autre hypothèse pour expliquer ce phénomène. Il apparaît que les femmes ayant une plus grande autonomie financière, notamment celles qui gagnent davantage que leur conjoint, peuvent se permettre de prendre des décisions plus radicales en cas d’insatisfaction conjugale. La séparation devient ainsi une option plus envisageable pour ces femmes, car elles ont les moyens financiers de subvenir à leurs besoins sans avoir à compter sur le soutien de leur partenaire. Cette indépendance économique peut leur permettre de quitter une relation perçue comme insatisfaisante ou contraignante, sans être limitée par des considérations financières.
Cela crée une situation paradoxale où l’égalité des revenus, pourtant souhaitée et encouragée par les politiques publiques et les mouvements sociaux, devient parfois une source de tension au sein du couple. Ce constat est renforcé par les données de l’étude qui montrent que, dans deux couples sur cent, la femme est l’unique pourvoyeuse de revenus, un phénomène encore minoritaire mais en augmentation, tandis que l’homme continue à assumer seul ce rôle dans environ 14,5 % des couples.
La persistance des normes sociales dans la gestion des revenus
Les résultats de cette étude mettent donc en exergue la complexité des interactions entre revenus et stabilité conjugale. Bien que la société évolue vers un modèle plus égalitaire, les attentes traditionnelles demeurent, créant une forme de pression sociale, consciente ou inconsciente, au sein des couples où la femme gagne plus que l’homme. Cette pression pourrait expliquer une partie de l’instabilité observée dans ces ménages. Les normes sociales et culturelles liées aux rôles genrés continuent d’exercer une influence significative, même dans un contexte de modernité, où l’accès des femmes au marché du travail et aux opportunités économiques s’est considérablement accru.
En conclusion, cette étude de l’Ined dévoile un paradoxe moderne : malgré les avancées en matière d’égalité hommes-femmes, la distribution des revenus au sein du couple reste un facteur déterminant dans la stabilité des unions. Les couples dans lesquels la femme gagne plus que l’homme sont plus vulnérables aux ruptures, en raison de la persistance des normes sociales traditionnelles et des attentes associées à la répartition des rôles économiques. Cependant, ce phénomène pourrait également refléter une nouvelle forme d’émancipation pour les femmes, qui, grâce à leur autonomie financière, se sentent moins contraintes de rester dans une relation insatisfaisante. La question de l’égalité des genres au sein du couple reste donc un enjeu majeur pour les années à venir, dans un contexte où les modèles familiaux évoluent mais où les résistances aux changements persistent.